[Juridique] Réquisition : l'antithèse de l'achat
Pour s'opposer à la réquisition, la seule voie de droit envisageable est la saisine du juge administratif (non suspensive), le cas échéant par la voie du référé liberté, lequel permet d'être fixé sous 48 h. Dans l'attente du jugement, la personne requise doit se conformer à l'ordre de réquisition.
Je m'abonneRevenu au coeur de l'actualité suite à l'épidémie de Covid-19, la réquisition n'est pourtant pas inconnue des acheteurs publics. Cet acte de police administrative, pouvant viser aussi bien les services, les biens que les personnels, quand bien même ces derniers ne sont pas ou plus disponibles sur le marché, est à l'antithèse de la commande publique.
Son intérêt principal tient donc à son champ d'application plus large, bien que ce mode d'action exceptionnel demeure sous le contrôle du juge. En effet, il reste un outil "subsidiaire" possible qu'en cas d'impossibilité d'aboutir au résultat recherché à l'aide des moyens de droit commun. Ainsi, il n'est ouvert au préfet que lorsque "les moyens dont [il] dispose (...) ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police" (art. L.2215-1 CGCT). Récemment, l'État a réquisitionné 4 millions de masques destinés à la région Grand-Est.
Types de réquisition et conditions
En sus des réquisitions militaires (art. L.2211-1 et s. du Code de la défense) et civiles (art. L.2215-1 CGCT ; art. L.143-5 du Code de l'énergie), il existe les réquisitions sanitaires. L'article L. 3131-8 du Code de la santé publique dispose que : "Si l'afflux de patients ou de victimes ou la situation sanitaire le justifie, (...) le représentant de l'État dans le département peut procéder aux réquisitions nécessaires de tous biens et services, et notamment requérir le service de tout professionnel de santé (...)"
Si chaque régime a ses propres règles en termes de conditions permettant son application, dans les cas d'urgence, la réquisition peut être verbale, à la condition d'être confirmée par la suite par un écrit justifiant une atteinte grave et immédiate à un intérêt de la Nation ou un risque sérieux d'atteinte à l'ordre public.
Droits des réquisitionnés : indemnisation et recours
Le réquisitionné a droit à l'indemnisation du préjudice subi. Les règles en matière de réquisition militaire et sanitaire sont identiques. Elles diffèrent suivant l'objet de la réquisition (articles L.2234-1 et s. du Code de défense) :
- Biens ou services : les indemnités dues au prestataire doivent uniquement compenser la perte matérielle, directe et certaine subie, à l'exclusion de tout profit qu'aurait pu réaliser la personne grâce aux biens réquisitionnés ;
- La personne requise n'a droit à aucune autre indemnité qu'un traitement ou un salaire ;
En matière de réquisition civile (art. L.2215-1 CGCT), l'indemnité de l'entreprise dont il est requis des prestations est calculée par référence au " prix commercial " (bénéfice normal compris).
Pour s'opposer à la réquisition, la seule voie de droit envisageable est la saisine du juge administratif (non suspensive), le cas échéant par la voie du référé liberté, lequel permet d'être fixé sous 48 heures. Dans l'attente du jugement, la personne requise doit se conformer à l'ordre de réquisition sous peine de sanctions pouvant aller jusqu'à six mois d'emprisonnement et de 10 000 euros d'amende en matière de réquisition sanitaire (art. L.3136-1 du Code de la Santé publique).
Alternatives "achat" à la réquisition
À côté de la réquisition, le code de la commande publique contient pourtant plusieurs outils permettant d'agir avec rapidité, à condition que les biens ou services soient susceptibles d'être achetés et disponibles sur le marché :
- Le marché de gré à gré en cas "d'urgence impérieuse" (résultant de circonstances extérieures que l'acheteur ne pouvait prévoir), quel que soit le montant (art. R.2122-1).
- Le marché de gré à gré lorsque le besoin de l'acheteur est inférieur à 40 000 € HT (article R. 2122-8).
- La modulation des délais de remise des candidatures et des offres aussi bien en procédure adaptée (art. R.2123-4) qu'en procédure formalisée (art R. 2161-3 et s.)
Par Raphaël Apelbaum & Alain de Belenet, avocats associés, LexCase
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