Comment retrouver la souveraineté des achats ?
Plusieurs tables rondes ont ouvert l'édition 2021 des Universités des Achats du CNA. Dont une consacrée à la souveraineté des achats. Ou comment réussir à davantage acheter français ?
Je m'abonneDepuis le premier confinement et les problèmes d'approvisionnements, la question de la souveraineté des achats est au coeur des débats. L'État a mené de nombreuses actions en faveur de la réindustrialisation et de nombreux donneurs d'ordre affichent leur volonté de davantage acheter français. L'édition 2021 des Universités des Achats du CNA se devait de s'emparer de ce sujet : une table ronde, intitulée "Souveraineté des achats : avons-nous vraiment la main ?", a permis de débattre sur les façons de davantage acheter français.
La prévalence de la logique financière
La table-ronde s'est ouverte avec le témoignage de Fabrice Lacour, CEO d'Hexalean : "Pendant la crise, il y avait une vraie volonté de faire travailler les entreprises françaises. Cette volonté existe toujours aujourd'hui mais la logique économique prévaut bien souvent", a-t-il souligné, rapportant cependant que certains grands donneurs d'ordre sont davantage dans une dynamique "Made In France". "Avec Fermob, par exemple, nous travaillons sur une industrialisation commune: nous investissons dans des machines pour fabriquer leurs produits", a-t-il raconté.
Mais il a regretté voir encore de nombreux donneurs d'ordre français les mettre systématiquement en concurrence avec des industriels d'Europe de l'Est lors des appels d'offre. La logique financière est donc souvent la priorité numéro en matière d'achat. Comment, alors, inciter à acheter davantage français ? Alexandra Dublanche, vice-présidente de la région Ile-de-France, a mis en avant les aides financières publiques qui permettent à l'industrie française d'être plus performante.
Les externalités négatives de l'approvisionnement à l'international
"Le patriotisme économique ne peut pas être le seul moteur de la réindustrialisation. Il faut une offre compétitive", a reconnu Vincent Moulin Wright, directeur général de France Industrie, soulignant que l'industrie française est aujourd'hui en mesure de la proposer. Selon lui, il faut surtout réussir à ce que les donneurs d'ordre se penchent plus sérieusement sur les coûts cachés induits par un approvisionnement à l'international : coût du carbone, du transport, de disponibilité, de non qualité, coût social, etc...
"Il faut se donner de l'agilité, anticiper sur des coûts qui peuvent être importants demain, comme le coût du carbone", a abondé Jean-Luc Baras, CPO d'Eiffage et président du CNA. Une pratique qui se répand de plus en plus au sein des directions achats, à en croire Fabrice Lacour, CEO d'Hexalean : "Leur approche ne se limite plus à choisir le moins cher".
Pour prendre en compte ces externalités négatives, encore faut-il avoir accès aux bons indicateurs et donc être bien outillé. "Les grandes entreprises ont les moyens de s'y mettre mais cela est plus difficile pour les PME/PMI. Nous les accompagnons sur certains territoires afin qu'elles puissent avoir une meilleure visibilité de la sécurité de leurs approvisionnements et de leurs vulnérabilités", a indiqué Olivier Lluansi, associé Strategy& (PwC). Il a invité à développer un outil collectif qui permette une première approximation du coût complet. Vincent Moulin Wright a cependant admis que certaines externalités négatives étaient plus difficiles à quantifier, comme les coûts sociaux et les coûts de non qualité.
Faire se rencontrer fournisseurs et donneurs d'ordre
Autre difficulté : la méconnaissance du tissu local. Certains donneurs d'ordre souhaitent en effet acheter français sans savoir à qui s'adresser. Les régions peuvent jouer un rôle. "Nous ne sommes pas qu'un financeur mais également un entremetteur : nous faisons se rencontrer des entreprises et le tissu local de fournisseurs", a rapporté Alexandra Dublanche, vice-présidente de la région Ile-de-France.
Pour Olivier Lluansi, il y a un tissu économique à reconstruire. "Il faut inciter à consulter son voisin avant d'aller acheter en Chine", a-t-il conseillé. Fabrice Lacour a donné l'exemple d'un regroupement d'entreprises créé dans le département de l'Ain il y a une vingtaine d'années. "Nous faisons des choses ensemble, nous nous rencontrons et surtout nous nous connaissons", a expliqué le chef d'entreprise. En effet, mieux connaître son voisin, c'est se donner l'opportunité de construire quelque chose ensemble.
Même avec ses concurrents. "Nous pouvons travailler ensemble, entre acheteurs, sur ces sujets de relocalisation des achats", a avancé Olivier Lluansi. Pour Jean-Luc Baras, les donneurs d'ordre sont même obligés de travailler ensemble pour vraiment faire bouger les lignes.