Une souverainété industrielle en hausse...mais des acheteurs toujours préoccupés !
La souveraineté industrielle grimpe mais les projets de relocalisations sont stoppés net. Les entreprises ne misent plus sur le capex mais davantage sur l'efficacité opérationnelle et les réorganisations stratégiques. En parallèle, la data et l'énergie demeurent des sujets de préoccupations majeurs. Comment comprendre cette tendance à l'oeuvre à l'aune des achats ? Analyse de Marc Debets, VP du groupe Cubik et fondateur de By.o Group et d'Apexagri

Premier constat à dresser en 2025, le niveau de souveraineté des entreprises est en hausse (84 %, +2 pts) en raison notamment d'une baisse de la dépendance vis-à-vis de l'étranger (32 %, -4 pts). Les grandes entreprises sont celles pour qui le niveau de souveraineté s'améliore le plus cette année. "Cette hausse de l'indice de souveraineté semble plutôt conjoncturelle et peut s'expliquer par le ralentissement économique, qui a engendré une moindre pression sur les approvisionnements, les filières et les supply chains pour les entreprises. Cela se ressent notamment fortement pour le BTP, secteur très affecté par la conjoncture", confie Marc Debets, VP du groupe Cubik et fondateur de By.o Group et d'Apexagri. Ce contexte se traduit, par voie de conséquence, par une baisse de la pression sur les approvisionnements et les supply chains, particulièrement visible dans le secteur du BTP, qui, malgré une augmentation du sentiment de souveraineté, demeure le secteur le plus fragile et en perte de croissance. Marc Debets souligne d'ailleurs que cette évolution n'est pas structurante : « On observe moins de croissance, moins de tension, donc finalement plus de sentiment de souveraineté. c'est le premier fait saillant de notre 4e baromètre de la souveraineté industrielle.»
Un arrêt net des projets de relocalisation
Autre chiffre d'importance, le recul des projets de relocalisation est également frappant. Là où l'année précédente 28 % des grandes entreprises envisageaient des actions concrètes, 2025 enregistre un arrêt, qualifié par Marc Debets de « coup d'arrêt définitif, absolu». Au menu des griefs qui expliquent ce recul, les coûts et l'instabilité fiscale sont une énième fois invoqués... Depuis 4 ans, les coûts de production et de logistique ont toujours été le premier frein à la relocalisation cité par les entreprises. Cette année, ces coûts restent le premier frein cité (32,5 %, + 10 pts) mais la réglementation et la fiscalité se détachent nettement en 2e position (22,5 %, +10 pts).
Innovation et efficacité opérationnelle : les leviers de la compétitivité
Pour gérer les incertitudes, 63 % des entreprises misent sur l'innovation pour renforcer leur souveraineté, tandis que 58 % privilégient l'amélioration de leur efficacité opérationnelle. Pour les grandes entreprises, l'optimisation des processus et la réduction des coûts - au travers d'actions de lean management ou de réingénierie - représentent des priorités, avec 82 % des dirigeants qui y voient un levier majeur pour regagner en compétitivité. Le bois de l'innovation n'est donc pas fait que de nouvelles technologies ou d'intelligence artificielle, l'amélioration des processus et des organisations est également au coeur du réacteur.
Premier sujet achat, les préoccupations liées à l'énergie
L'énergie reste une préoccupation des dirigeants. En 4 ans, l'énergie est passée de pas du tout critique (4 % en 2022) à la matière première la plus critique pour les entreprises (20 % en 2024). Près d'une entreprise sur deux (55 %, -7 pts) juge que l'énergie aura un impact sur leurs coûts de fonctionnement ou sur leur capacité à assurer la production. L'énergie reste donc une préoccupation des dirigeants, et ce alors même qu'il n'y a pas eu de problème de disponibilité de l'énergie en Europe l'an dernier. Il s'agit donc avant tout d'un débat de coût, à comparer avec la situation des États-Unis où l'énergie n'est pas chère et largement disponible (gaz de schiste). En seulement quatre ans, la perception de l'énergie est passée d'un enjeu "pas du tout critique" à la matière première la plus préoccupante pour les entreprises. Près d'une entreprise sur deux anticipe déjà un impact négatif de l'énergie sur ses coûts de fonctionnement ou sa capacité de production. Ce constat, réalisé dans un contexte où la disponibilité énergétique en Europe n'a pas été mise en cause, souligne que le débat est avant tout axé sur la question du coût, notamment en comparaison avec le marché américain où le gaz de schiste permet de maintenir des prix compétitifs.
Un glissement des préoccupations des achats stratégiques vers la data !
Autrefois centrés sur les tensions liées aux matières premières et aux composants, les dirigeants se préoccupent aujourd'hui avant tout de la donnée, désormais identifiée comme un enjeu stratégique par 34 % des entreprises. Paradoxalement, l'intelligence artificielle, bien qu'omniprésente dans le discours médiatique, n'est pas encore perçue comme un facteur critique de dépendance, même si elle gagne en importance dans les grandes structures. Cette évolution traduite par le repositionnement des priorités témoigne d'une prise de conscience progressive des risques et des opportunités liés aux flux de données.
Impact sur les stratégies achat
Les évolutions de la souveraineté industrielle ont un impact direct sur la fonction achat. Ce que nous enseigne in fine le baromètre du côté des directions achats ? C'est bel et bien que ces dernières se voient contraintes de repenser leurs stratégies de sourcing. Plutôt que de recourir à une réinternalisation par de lourds investissements (CAPEX), elles sont amenées à diversifier leurs zones de sourcing pour limiter les risques liés aux dépendances critiques. Marc Debets insiste : "La notion même de souveraineté est une illusion car l'interdépendance prévaut. Et les entreprises ne considèrent pas par le CAPEX, ou le fait de réinternaliser comme une voie de sortie pour régler la question de leur compétitivité. Et l'expert de préciser : l'objectif est de mener un géosourcing intelligent en répartissant les risques sur différentes zones - par exemple, en adoptant des stratégies distinctes pour l'Amérique, l'Europe et l'Asie - afin d'éviter une concentration excessive des risques. Les directions achats doivent être au clair sur leurs dépendances dans leurs filières et de mettre en place des plans d'action concrets pour sécuriser leurs approvisionnements tout en maintenant leur compétitivité à l'échelle mondiale."
Pour aller plus loin : Les cabinets de conseil Cubik et By.O ont dévoilé le 31 janvier les résultats de la 4e édition du Baromètre de la Souveraineté, étude réalisée chaque année par OpinionWay auprès de 500 dirigeants d'entreprises représentatives du tissu économique français.
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