Quel avenir pour l'électricité en France et en Europe ?
La volatilité des prix de l'électricité met sous pression les entreprises électro-intensives, qui cherchent à garantir leur compétitivité et leur survie. Face aux incertitudes politiques et aux défis de la régulation actuelle, la question d'une meilleure stabilité du marché énergétique s'impose. Des réformes sont nécessaires pour sécuriser l'approvisionnement, lisser les fluctuations tarifaires et assurer une transition vers un modèle plus résilient, capable de soutenir à la fois les entreprises et la transition énergétique.
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Anaïs Voy-Gillis, directrice de la stratégie RSE chez HUMENS, témoigne de cette réalité " si on ne garantit pas la compétitivité de l'industrie européenne, alors la réindustrialisation du continent sera compromise ". Sa société a mis en place une approche mixte, répartissant son approvisionnement énergétique entre la biomasse, le gaz et le charbon. Ce type de diversification, combiné à des contrats à long terme pour certaines énergies comme la biomasse, permet non seulement de réduire l'empreinte carbone de l'entreprise, mais aussi d'assurer une meilleure prévisibilité des coûts. Les contrats à long terme, comme les PPA (Power Purchase Agreements) pour les énergies renouvelables, commencent à être adoptés plus largement. Ils favorisent la stabilisation des prix sur plusieurs années ainsi qu'une transition énergétique durable. Toutefois, leur mise en place nécessite des investissements initiaux importants, que toutes les entreprises ne sont pas prêtes à engager.
Comment trouver l'équilibre pour une transition énergétique réussie ?
Le défi pour les entreprises réside donc dans la capacité à concilier flexibilité à court terme et sécurisation à long terme, tout en assurant leur transition énergétique. La Commission de Régulation de l'Énergie (CRE) a mis en place un cadre pour permettre aux acteurs du marché de choisir des stratégies d'approvisionnement adaptées à leurs besoins, tout en garantissant une concurrence saine. Selon Anne-Sophie Dessillon, directrice des marchés de la CRE, " nous travaillons à stabiliser le cadre pour permettre une meilleure prévisibilité à moyen et long terme ".
En parallèle, les entreprises doivent gérer les risques liés à cette transition. Certaines industries, notamment dans industries lourdes, investissent massivement dans des technologies pour réduire leur empreinte carbone, comme le captage et la réutilisation du CO2. D'autres, à l'image de l'usine évoquée plus tôt, privilégient une transition progressive, en remplaçant par exemple les chaudières à gaz par des alternatives électriques.
La réussite de cette transition repose également sur l'innovation. Les entreprises qui parviennent à intégrer des technologies de rupture, tout en maintenant une flexibilité dans leurs achats d'énergie, seront mieux positionnées pour affronter les défis à venir. Comme l'a affirmé l'experte d'HUMENS : " La décarbonation doit aller de pair avec l'innovation. Nous devons être à l'avant-garde et nous appuyer sur des start-up pour faire émerger les technologies de demain ".
À contre-courant, Franck Roubanovitch, président de CLEEE2, se montre peu optimiste, soulignant que la situation politique actuelle complique encore davantage l'adoption de nouvelles législations, surtout avec le climat tendu de la précédente législature et les incertitudes entourant la nouvelle. " J'espérais que le changement de gouvernement ferait oublier cet accord, mais il est toujours là ", ironise-t-il, évoquant les critiques sur l'absence de réelles solutions pour protéger les consommateurs face à la volatilité des prix de l'électricité. L'expert plaide pour des contrats pour différence (CFD), une solution désormais compatible avec les règles européennes, qui permettrait de stabiliser les prix à long terme.
Recentralisation des mécanismes sur RTE pour stabiliser le marché ?
Un sujet qui retient l'attention porte sur la nécessité de maintenir une structure de marché efficace. Sur ce point, le directeur de CRE, Dominique Jamme, apporte des éclairages sur le mécanisme de capacité qui devrait, selon lui, " recentraliser le dispositif autour de RTE ". Ce changement impliquerait que le RTE deviendrait l'acheteur unique des capacités auprès des producteurs, une approche qui pourrait stabiliser le marché. " Cette centralisation devrait permettre une redistribution plus équitable entre les acteurs obligés ", ajoute-il, évoquant ainsi la structure nécessaire pour faciliter les transactions.
En parallèle, Thomas Pellerin-Carlin, député européen, met en avant des perspectives légèrement différentes. Le membre de la commission ITRE, remarque que " la surventilation du système, bien que complexe, a été jugée efficace et doit continuer ". Il précise également qu'une vision à long terme reste délicate, particulièrement en ce qui concerne la visibilité des prix au-delà de cinq ans. À cet égard, son souhait, c'est de voir un cadre européen qui favoriserait les échanges accrus entre les pays.
La fiscalité et la régulation, les leviers qui sauveront le marché
Un cadre fiscal clair pour accompagner ces changements est impératif. Thomas Pellerin-Carlin, député et Chercheur spécialiste de la politique européenne de l'énergie avertit : " Si les signaux d'augmentation des taxes persistent, cela pourrait freiner transition énergétique des entreprises. Les régulateurs doivent apporter un soutien clair pour permettre aux entreprises d'atteindre leurs objectifs d'électrification d'ici 2050 ". Ce sentiment d'urgence est un fil conducteur, pour l'avenir du marché de l'électricité, rappelant qu'il dépend non seulement d'une régulation adéquate, mais aussi d'une vision commune entre les divers acteurs de l'industrie. En parallèle, la nécessité d'une régulation accrue afin d'assurer un bon fonctionnement du système en place est inéluctable. Plusieurs propositions émergent, notamment sur le renforcement des mécanismes de surveillance des liquidités du marché à moyen terme, pour les échéances de 2028 et 2029. D'autres options envisagent des garanties de conditions de vente adaptées, surtout pour les grandes entreprises comme EDF, qui, à ce jour, ne peuvent être contraintes de vendre à des prix ou quantités spécifiques.
Un autre des points soulevés est l'absence de supervision par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) sur certains prix de réserve mis en place lors des enchères d'EDF. Ces derniers, qui incluent des produits annuels pour les années 2028 et 2029, sont vus comme essentielles pour offrir aux fournisseurs l'opportunité de proposer des offres adaptées aux besoins des clients. Cependant, il a été noté que le marché pour 2029 reste insuffisant. Cette situation justifie selon les spécialistes la nécessité d'un cadre législatif plus strict pour permettre une intervention en cas de défaillance, afin de forcer des actions spécifiques.
La montée des prix de l'électricité pose un problème persistant
Les fluctuations des prix de l'électricité sont alarmantes. Plusieurs faits structurants appellent à la prudence quant à la baisse des prix. La modernisation du reseau de transport de l'électricité, la fragilité du parc énergétique, la fin du dispositif ARENH ou encore le levée du bouclier tarifaire sont autant de motifs qui peuvent augurer d'une future hausse des prix. Actuellement, les tarifs oscillent entre 40 et 104 euros par mégawattheure. À l'égard de ces chiffres, cette volatilité revèle une fragilité du système actuel, alors que les coûts prévus pour 2024 dépassent largement les attentes, atteignant entre 120 et 130 euros par mégawattheure, très au-dessus des promesses de stabilisation autour de 60 euros. En réponse, les contrats pour la différence (CFD) sont envisagés comme une solution pour mieux maîtriser cette instabilité.
1Tous les verbatims sont recueillis lors de la plénière "Évolution réglementaire au niveau français et européen" du congrès Gazelec, tenue le 8 octobre.
2Association de grands consommateurs industriels et tertiaires d'électricité et de gaz
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