La Covid-19 va-t-elle bouleverser durablement les espaces de travail ?
Subi, le confinement a servi à tester à l'échelle internationale des modes de travail émergents. À présent, il conduit les directions à s'interroger sur la mobilité de leurs collaborateurs. Nul ne doute que les espaces de demain vont devoir se montrer encore plus agiles et attrayants...
Je m'abonneLe confinement a contraint les entreprises à généraliser le télétravail. Le plus souvent, ce changement s'est opéré dans la précipitation. "À présent, il nous faut préparer demain pour ne plus faire face à pareil bouleversement", indique Sophie Auger-Mongenot, directrice générale de Facilitess. Cette réflexion doit tenir compte des retours d'expérience. "Mettre en place des groupes de parole dans chaque service est un moyen de partager les bonnes pratiques et d'écouter les attentes des collaborateurs". Il n'est pas question de remettre intégralement en cause la mobilité du groupe, mais d'adapter les espaces de travail au plus près des besoins. "Il faut parvenir à définir le juste équilibre entre la vie personnelle et professionnelle, en conformité avec l'ADN de l'entreprise", résume Pascal Hamonic, directeur commercial France de Haworth. Et de redimensionner les dépenses inhérentes.
La mobilité des collaborateurs
La Covid-19 aurait-elle permise de dépoussiérer les us et coutumes du monde du travail ? Sur le court terme, l'affirmatif l'emporte largement. "Auparavant, tout était conçu pour que le collaborateur reste au maximum sur son lieu de travail, avec l'élargissement des services de conciergerie. Depuis le déconfinement, il ressent le besoin de bouger et d'évoluer dans des espaces extérieurs", constate Sophie Auger-Mongenot. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce virus a mis en lumière des modes de travail sous-jacents, comme le télétravail et le flex office".
"On fait un bond de 10 ans dans notre manière d'appréhender le travail ", considère Isabelle de Ponfilly, directrice générale de Vitra France.
En accord avec les desiderata des Milléniaux, les modes de travail doivent être appréciés d'après la culture et les activités de l'entreprise. D'où la nécessité de prendre du recul et de se concerter. "Le rapport au temps, à l'espace et aux autres étant chahuté, nous évoluons vers une organisation du travail hybride, mêlant le présentiel au virtuel", confirme Olivier Cros, directeur de CBRE France. Il appartient de définir une politique de travail à distance. La difficulté consiste à évaluer la virtualisation, la "télétravaillabilité" de chaque service et à positionner le curseur au bon endroit. Effectivement, une décision excessive peut engendrer des effets pervers, comme une baisse de productivité, une hausse du turn-over, etc. "Avant la Covid-19, un salarié commençait à décrocher du collectif au-delà d'un jour et demi par semaine en télétravail. Aujourd'hui, cela intervient après deux voire trois jours hebdomadaires", estime Pascal Hamonic. Le nouveau cadre doit être fonction de l'existant et des tâches allouées. "Il est plus difficile pour un collaborateur de revenir travailler dans une tour à La Défense que dans un bureau à taille humaine, au vert. Il en va de même pour les services support dont l'essentiel des missions peuvent être traitées de n'importe où, contrairement à l'exploitation", souligne Sophie Auger-Mongenot.
Lire la suite en page 2 : De nouvelles familles d'achats / Témoignage - "Nous avons l'opportunité d'opérer les changements que nous convoitions"- Juliette Gazel, responsable des achats chez Thales
De nouvelles familles achats
Le sujet mobilité soulève tout un tas d'interrogations sur les familles achats qui y sont rattachées. Représentant le second poste de dépenses dans le tertiaire, la superficie des locaux risque d'être appréhendée comme un levier de réduction de coûts avec la progression du télétravail. "Ce raisonnement peut être efficient si et seulement si on parvient à réduire le pic de fréquentation, en organisant la mobilité des salariés. Il peut engendrer une réduction de 10-15 % des m² avec une logique conservatrice, jusqu'à 25 % en cas de politique agressive", indique Olivier Cros.
Pour autant, il n'est pas certain que la réorganisation du travail conduise à une réduction de l'empreinte immobilière des grands groupes. "Les directions ne vont pas forcément économiser des m², mais plutôt rationnaliser les bureaux, en optimisant le nombre de postes de travail et en augmentant la surface allouée aux espaces détentes pour contribuer au bien-être des collaborateurs", témoigne Sophie Auger-Mongenot. Certains pourraient choisir de s'excentrer pour accéder à des locaux plus vastes, mais moins onéreux. "Ils vont privilégier des sièges à taille humaine, quitte à avoir plusieurs entités, ou installer leur campus en dehors des grandes villes pour dédier un plateau aux loisirs et offrir des espaces extérieurs". Ils peuvent aussi vouloir davantage faire appel aux espaces de co-working pour démultiplier les points de rencontre. À l'heure actuelle, "les grands groupes ont tendance à ouvrir des espaces de co-working mono-marque proches du domicile de leurs collaborateurs afin de les rassurer, de diminuer l'empreinte carbone et de libérer les transports en commun", remarque Isabelle de Ponfilly.
Dans tous les cas, la diminution des contacts physiques doit s'accompagner de liens individuels plus étroits, au risque d'une démobilisation générale. "Au-delà de deux jours de télétravail par semaine, prévoyez un dispositif managérial complémentaire", préconise Olivier Cros. Elle peut aussi conduire à réévaluer à la hausse le budget alloué à la cohésion des équipes (voyage d'entreprise, séminaire, etc.), pour conserver la qualité du collectif. De même, le parc automobile professionnel doit être redimensionné en conséquence. Si la voiture de fonction voit son intérêt limité, rien n'empêche de revoir son nombre à la baisse, en cédant une partie et / ou en rejoignant un parc automobile partagé. Avec la progression de la mobilité, les directeurs achats doivent aussi se pencher sur la prise en charge des frais du télétravailleur (équipement, abonnement internet, loyer, électricité, assurance habitation). "Ils pourraient choisir de réallouer une quote-part des économies réalisées par la réduction des surfaces occupées au remboursement de ces frais d'activité", mentionne Isabelle de Ponfilly. Enfin, ce sont aussi les services de conciergerie qui pourraient se voir dématérialisés pour coller aux besoins des travailleurs à distance.
Espaces attirants
Inéluctablement, le travail hors des murs amène à réfléchir à l'équipement du salarié, depuis le bureau jusqu'à son domicile. "Il y a une véritable prise de conscience quant au fait que l'espace bureau se doit d'être plus flexible et attrayant. Demain, le salarié se rendra sur son lieu de travail pour échanger avec d'autres, rendant nécessaire les lieux d'hyper collaboration, ou pour s'isoler du bruit afin de réaliser des tâches individuelles dans des bulles de concentration", synthétise Olivier Cros. Qu'ils soient classiques ou plus modernes, les espaces de travail se doivent d'être inspirants, conviviaux et variés pour enrichir et satisfaire les attentes. "Les grands groupes vont s'orienter vers plus d'espaces partagés afin d'optimiser la dépense, en assurant la flexibilité nécessaire en cas de pandémie", complète Pascal Hamonic.
Finalement, le lieu de travail tend à devenir une destination qui doit valoir le déplacement. À défaut de jardins ou d'espaces extérieurs, les cloisons végétales peuvent s'avérer une solution astucieuse et profitable. "Le jasmin favorise le bien-être, l'oeillet diminue les migraines, la fougère assainit l'air, l'oranger, le citronnier et l'olivier vont évoquer l'évasion", illustre Hugo Meunier, fondateur de Merci Raymond. Au besoin, elles peuvent servir de séparateur naturel entre les individus, sans affecter leur visibilité. Il est tout à fait envisageable de miser sur des plantes résistantes pour alléger la note. Si vous jouissez d'un extérieur, sachez que la mise en place d'un potager participatif a le vent en poupe, véhiculant au passage des valeurs environnementales. La constitution d'un micro-club de jardiniers est un moyen de limiter l'entretien et les frais associés, par l'implication de ses membres. "Depuis le confinement, les travailleurs ressentent naturellement le besoin de se connecter avec la nature. La santé psychique et mentale augmente en présence de végétaux ou de matériaux comme le bois", avance Hugo Meunier.
Une attention particulière doit être apportée à l'équipement du télétravailleur, notamment pour enrayer le développement de troubles musculo-squelettiques (lire encadré en page 3 "Le télétravail doit être organisé, jusqu'à l'équipement !"). Pour une meilleure visibilité de la dépense, il semble pertinent de mettre à leur disposition un catalogue de produits validé en amont. "Si le collaborateur a le choix de son équipement, il en prend alors la responsabilité, même sur le plan ergonomique", rappelle Pascal Hamonic. En bref, les espaces de travail doivent être revus et corrigés d'après les modes de travail ambiants. Lourde de sens, cette tâche promet d'être ardue, mais bénéfique.
TEMOIGNAGE - "Nous avons l'opportunité d'opérer les changements que nous convoitions"
Juliette Gazel, responsable des achats chez Thales
Dès le 10 avril, la direction des achats de Thales entamait la rédaction d'un guide d'achats post-confinement. "Tous les sites s'adaptent à leur rythme, selon le nombre de collaborateurs en présentiel, installant des cloisons en plexiglas facilement démontables", explique Juliette Gazel, la responsable des achats. L'urgence traitée, elle se penche depuis sur la refonte des espaces de travail. C'est plutôt l'organisation en elle-même qui va être révisée ; les bureaux étant déjà pourvus de postes modulaires et partagés. "Même si nous avions déjà autorisé le télétravail, il pourrait être étendu. Cela reste une réflexion lourde et globale à laquelle il faut consacrer du temps pour trouver la façon de travailler qui soit économiquement pérenne". Pour l'heure, les télétravailleurs se voient défrayés d'une partie de leur abonnement internet. Le collaborateur Thales est souvent mobile entre les déplacements, les réunions, les congés... "Une partie des postes est habituellement inoccupée. Nous avons aujourd'hui l'opportunité d'opérer les changements que nous convoitions sans jamais nous y atteler", conclut Juliette Gazel.
"Le télétravail doit être organisé, jusqu'à l'équipement !"
3 QUESTIONS À
Tanguy Hopchet, country manager France de BakkerElhuizen, qui explique comment lotir les télétravailleurs pour limiter le stress, la fatigue visuelle et les troubles musculo-squelettiques
Comment se place la France par rapport au télétravail ?
Elle est à la traîne ! La maturité de l'équipement le prouve : un des accessoires le plus vendu pendant le confinement en Hollande a été le rehausseur pour ordinateur portable ; en France, il s'agit de l'ordinateur portable, de l'imprimante ou de la connexion Internet ! Cependant, 84% des salariés émettent le souhait de continuer à travailler à leur domicile après la Covid-19.
Que doit inclure le kit d'équipement ?
Il se compose d'un siège ergonomique, d'un bureau réglable en hauteur ou une station assis-debout, d'un rehausseur pour ordinateur portable afin que l'écran se situe à bonne hauteur ; soit que son point culminant se situe à un niveau juste en dessous de l'oeil. En cas de port de verres progressifs, l'écran est à positionner légèrement plus bas. Pour les modèles sur pied, l'achat d'un bras d'écran ou d'un rehausseur se justifie. Il faut veiller à placer l'écran à une distance des yeux comprise entre 70 et 80 centimètres, de préférence perpendiculairement à une fenêtre. La souris verticale est recommandée pour prévenir le syndrome du canal carpien, au même titre que le clavier déporté. Le rehausseur avec porte-document intégré est fortement préconisé, éliminant jusqu'à 5 000 mouvements de tête par jour. Enfin, le filtre de confidentialité absorbe jusqu'à 35 % de la lumière bleue, causant migraines et fatigue oculaire.
Comment lutter contre les méfaits de la sédentarité du télétravailleur ?
Le plus important est de varier ses postures tout au long de la journée. Le logiciel Work&Move sert à le rappeler, faisant apparaître des pop-up depuis l'écran d'accueil de son souscripteur, suggérant des micro-pauses (10 secondes), des pauses actives (3 minutes) ou en mouvement avec un arrêt de travail réel (10 minutes). La licence est commercialisée trois euros par mois pendant trois ans.
Focus- Pensez à digitaliser votre accueil
Mesures sanitaires oblige, le nombre de visiteurs autorisés à pénétrer dans l'enceinte de l'entreprise a été soumis à des règles. Qu'elles soient levées ou non, la digitalisation de l'espace d'accueil apparaît nécessaire, notamment pour soulager le personnel en place. "Il y 5 ans, cette décision d'achat était guidée par un souci d'image ou une volonté de réduire le papier. Depuis 2 ans, elle répond à une dimension sécuritaire", constate Grégory Blondeau, CEO de Proxyclick. La mise en place d'un système d'approbation du visiteur est un moyen de mesurer et d'espacer les entrées, voire de les échelonner. Il limite également les contacts ; le visiteur recevant le jour J un e-mail automatique qui contient un QR Code à présenter aux portiques d'entrée. "En période d'épidémie, il nous est aisé d'identifier et de prévenir en un clic les visiteurs qui ont pu être en contact avec le virus". Compter à partir de 100 euros par mois.