Réduction des coûts et performance achats, les lignes bougent
La fonction achats se focalise moins sur la réduction des coûts que sur la performance à l'achat et la création de valeur pour l'entreprise. C'est l'une des évolutions majeures du métier révélée par l'étude 2018 "les tendances et les priorités des départements achats" réalisée par Agile Buyer.
Je m'abonneEn 2018, 72% des personnes interrogées déclarent que la réduction des coûts reste le premier objectif des directions des achats. Un pourcentage somme toute logique, la plupart des directions générales attendant de la fonction achats qu'elle permette d'optimiser les coûts, dans un contexte international de plus en plus concurrentiel et où la notion de performance économique est plus que jamais de mise.
L'objectif de réduction des coûts à son plus bas niveau depuis 2013
Cela dit, et c'est là l'un des enseignements majeurs de cette édition 2018, ce pourcentage est à son plus bas niveau depuis 2013, avec notamment une chute de près de 10 points par rapport à 2017 (82%). C'est aussi la première fois que ce pourcentage est en baisse, après cinq années d'augmentation plus ou moins continue.
Ce résultat traduit une tendance globale, confirmée par les autres résultats de l'étude, que l'heure n'est plus à la réduction des coûts à tout prix mais à une relation plus constructive avec les fournisseurs. Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène : l'économie mondiale n'est plus en récession et les perspectives de croissance voient à nouveau le jour ; le rôle des acheteurs évolue et dépasse la "simple" réduction des coûts pour aller sur le terrain de l'innovation par exemple. "A noter que les objectifs de réductions des coûts peuvent également varier d'un segment d'achats à un autre", précise Olivier Wajnsztok. Par exemple, sur un certain nombre de commodités, la problématique du coût reste moyenne.
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"Aller sur le terrain de l'innovation représente une véritable opportunité pour la fonction achats de prendre une position plus affirmée sur la création de valeur. Durant ces trois, quatre dernières années, le nombre de postes d'acheteurs dédiés à l'innovation et/ou aux relations avec les start-ups s'est multiplié en France. Avec cette tendance, que l'on souhaite voir se poursuivre, ils vont pouvoir asseoir leur position, disséminer leurs apprentissages et participer à un nouveau gain de la maturité achats dans leurs organisations", indique Romaric Servajean-Hilst, chercheur associé au Centre de Recherche en Gestion de l'Ecole polytechnique.
Une différence notable entre le public et le privé
La réduction des coûts semble être un objectif beaucoup plus impératif dans les entreprises du secteur privé que dans les organisations publiques : 74% contre 58%, soit une différence notable de 16 points.
Attention toutefois à ne pas en tirer de conclusions hâtives : l'optimisation des coûts est bien un enjeu pour les directions achats relevant du secteur public ! Celui-ci apparaît simplement plus nuancé ou moins prononcé au regard des résultats de cette étude. Au demeurant, les achats sont et restent un levier essentiel de l'équilibre des finances publiques.
Un objectif de réduction des coûts moins prégnant dans les entreprises de services
Si la réduction des coûts est majoritairement l'objectif premier de toutes les entreprises, quel que soit le secteur, il apparaît tout de même une différence relativement nette entre les entreprises de services d'un côté et les entreprises industrielles de l'autre.
Par exemple, les directions achats appartenant aux secteurs de l'IT (71%), de la banque et de l'assurance (62%), ou encore du commerce interentreprises (55%), affichent un pourcentage inférieur à celui de la moyenne du panel. "Si la réduction des coûts figure toujours en première place chez Microsoft, elle fait dorénavant partie d'un ensemble de 7 "Top Metric's" qui ont tous leur importance", détaille Olivier Joseph, senior procurement engagement manager chez Microsoft.
Cette tendance peut s'expliquer, entre autres, par la digitalisation accélérée dans les secteurs de services. "En effet, cette période a davantage été marquée par l'équipement et l'exploration de nouvelles manières de travailler, avec de nouveaux fournisseurs, et donc une moindre concentration sur l'optimisation de l'existant", explique Olivier Wajnsztok. Toutefois, la transformation de l'économie et le développement du digital challengent désormais le modèle économique d'un certain nombre d'entreprises, par exemple dans le domaine de la banque et de l'assurance. Et sur ce point, les directions achats de ces secteurs devraient être mises à contribution.
Mais toujours très présent dans les entreprises industrielles
Cela dit, la réduction des coûts reste un objectif historiquement très présent au sein des entreprises industrielles issues des secteurs de l'automobile et de l'aéronautique (81%), de la mécanique et de la métallurgie (79%), de la construction ou de l'énergie (75%) pour ne citer qu'elles.
Cette différence s'explique par le fait que les achats directs et/ou de production représentent un pourcentage du chiffre d'affaires plus important dans les entreprises industrielles, d'où une tension sur les prix qui reste, malgré tout, très présente dans un contexte de plus en plus internationalisé. Par exemple, la flambée du prix de l'acier a poussé l'industrie manufacturière à compenser ces hausses de coûts sur les matières premières. Pour rappel, il est communément admis que les achats représentent l'équivalent de 75 à 95% du chiffre d'affaires dans les entreprises industrielles, et "seulement" 35 à 65% dans les entreprises de services.
Des méthodes de réduction des coûts plus diversifiées
Pour réduire les coûts, la négociation restera la méthode la plus utilisée par les acheteurs (58%).
Toutefois, il est très intéressant de noter que d'autres leviers sont couramment utilisés, loin des clichés autour de la confrontation directe et parfois brutale avec les fournisseurs. Ces leviers peuvent être internes, comme la mutualisation et la globalisation des achats (citées par 50% des acheteurs), ou encore l'ajustement des spécifications techniques (47%). Des résultats en forte augmentation par rapport à l'année dernière (respectivement de 5 points et de 15 points), qui soulignent l'importance de la collaboration avec les clients internes de la fonction, pour des achats plus efficients. "L'ajustement des spécificités techniques et l'analyse de la valeur me semblent des méthodes de réduction de coûts qu'il convient encore de pousser chez nos acheteurs. Ils sont moins enclins à les utiliser car ils doivent entrer dans un process collaboratif pour les actionner...", estime Karine Alquier-Caro, directrice des achats groupe Legrand.
Ces leviers peuvent être également plus analytiques, à l'image du TCO (Total Cost of Ownership, ndlr) mentionné par 39% des répondants, ou de l'analyse de la valeur (38%). Des techniques d'achats plus globales et basées notamment sur l'open-innovation, avec une vision à long terme, que l'on qualifiera de plus intelligentes. Et qui, là aussi, enregistrent une forte augmentation par rapport à 2017 : près de 12 points pour le TCO et 10 points pour l'analyse de la valeur. "L'analyse en TCO se généralise peu à peu mais de manière inégale suivant les catégories. Elle est facilitée dès qu'il y a co-construction des cahiers charges, d'où l'avance dans les catégories moyens généraux et immobilier", indique Sylvie Robin Romet, directrice achats groupe Crédit Agricole SA.
En revanche, d'autres techniques sont de moins en moins utilisées, à l'image du changement de fournisseurs (26% en 2018 contre 35% en 2017, soit une baisse de 9 points), ce qui témoigne ici encore de la volonté des acheteurs de s'inscrire dans la continuité et la collaboration plutôt que dans le changement pur et dur.
La performance Achats toujours mesurée à l'aune des économies réalisées
Près de 56% des répondants déclarent que la performance achats de leur entreprise est évaluée en priorité à l'aune des économies réalisées, loin devant la contribution des achats au chiffre d'affaires (12%). "Un résultat qui ne surprendra pas, à corréler avec l'objectif premier de réduction des coûts intimement lié à la fonction", souligne Olivier Wajnsztok. Et ce, qu'il s'agisse du secteur privé comme du secteur public (53% des acheteurs publics sur la même ligne).
"Performance et réduction des couts : c'est le dilemme de 2018 ! Car la reprise économique s'accompagne naturellement d'un "come back" de l'inflation. Oui à la réduction des coûts, mais celle-ci sera plus difficile à afficher, et elle doit s'intégrer dans un pilotage plus large de la relation fournisseur", déclare Luc Jeanneney, directeur achats - LafargeHolcim France.
A noter tout de même un écart non négligeable avec les réponses des directeurs achats : 68% d'entre eux, soit 12 points de plus que l'ensemble du panel, estiment que la performance achats de l'entreprise est évaluée en priorité en fonction des économies réalisées.
On constate des différences entre les secteurs. Par exemple, dans la logistique, 75% des répondants estiment que leur direction évalue en priorité la performance achats à travers les économies réalisées. D'autres secteurs semblent plus mesurés, à l'image de l'hôtellerie, de la restauration et des loisirs (50%). Idem pour des branches industrielles où la pression sur les coûts est traditionnellement importante, comme l'automobile et de l'aéronautique où l'on observe un résultat de 52%.
"La ligne métier achats au sein de l'entreprise doit désormais créer de la valeur ajoutée : on est plus dans l'acheter mieux que dans l'acheter moins. Mais le problème de la pertinence des indicateurs de mesure de la performance achats est toujours présent", explique Sylvie Robin Romet, directrice achats groupe Crédit Agricole SA.
Pour parvenir à leurs objectifs de performance, les directions achats privilégient plusieurs axes de travail, parmi lesquels le développement d'outils collaboratifs (48%), l'automatisation de certaines taches (36%) ou encore le SRM (34%). Le recours à des places de marchés (12%) ou aux enchères inversées (11%) perd du terrain. La notion de Block Chain (1%) est encore confidentielle.
"48% des directions achats investissent sur des outils collaboratifs : ce résultat confirme que la performance de l'acheteur ne passe pas uniquement par un travail individuel mais collectif, dans un contexte de marché où le levier négociation est plus difficile à activer. Dans le Digital, l'humain compte aussi", note Karine Alquier-Caro, directrice achats groupe Legrand.
Des acheteurs pas si motivés sur les gains achats que cela...
Seuls 4% des acheteurs interrogés indiquent bénéficier de bonus uniquement sur les gains achats, un système incitant à faire du cost killing et des économies à court terme. "Un pourcentage extrêmement faible et qui vient tordre le cou à certaines idées reçues", souligne Olivier Wajnsztok. Ils sont également 41% à déclarer ne pas percevoir de bonus, là aussi une proportion somme toute importante et équivalente aux acheteurs et responsables achats qui perçoivent des bonus calculés à la fois sur les gains achats et sur d'autres critères non financiers.
A noter qu'il existe une différence notable entre le secteur privé et le secteur public, une immense majorité des acheteurs publics n'ayant pas de bonus (74%), ni même de bonus alliant à la fois des gains achats et des critères non financiers (13%).
Parfois taxés de cost killers uniquement intéressés par les gains financiers, ces résultats montrent en tout cas un autre visage des acheteurs qui ne sont donc en rien des traders. "Avec une recherche de performance collective liée à la réussite d'un lancement de projet "produits nouveaux" par exemple, un re-sourcing ou une remise en cause du cahier des charges technique, la performance individuelle n'a plus vraiment de sens pour motiver une équipe projet, surtout si seul l'acheteur a une part variable de rémunération au sein de cette équipe", conclut Karine Alquier-Caro.
Lire tous les articles issus de cette étude:
- Les tendances et priorités des départements achats pour 2018
- Gestion des relations fournisseurs: vers la calinothérapie
- Achats, développement durable et RSE : des réalités très contrastées