[INTERVIEW] "En 2025, le rapport de force s'inversera au profit des fournisseurs"
En 2025, la fonction achats sera porteuse de business pour l'entreprise. De plus, il va y avoir un véritable renversement des rapports de force en faveur des fournisseurs. Explications de Natacha Tréhan, maître de conférence responsable du Master Desma*.
Je m'abonneDécision Achats : Selon votre dernière recherche réalisée auprès de plus de 40 directeurs achats et directeurs généraux, la fonction achat sera créatrice de valeur et porteuse de business à horizon 2025. Comment celle-ci doit-elle anticiper ce tournant ?
Natacha Tréhan : la fonction achat va contribuer au développement du business de l'entreprise. Pour cela, les acheteurs doivent avant tout avoir une meilleure compréhension de la chaîne de valeur de l'entreprise.
Les directions générales attendent des acheteurs qu'ils deviennent des " apporteurs d'affaires ". Ces derniers peuvent ainsi proposer de nouveaux marchés grâce à la captation de l'innovation chez leurs fournisseurs. Les directions générales pensent aussi que les achats peuvent identifier des cibles potentielles pour de futures joint-venture ou des fusion-acquisitions.
Pour participer à la création de valeur, les DG souhaitent que les acheteurs se rapprochent du marketing et des ventes dans le but de gagner des parts de marchés. Ainsi, dans certaines entreprises, les acheteurs accompagnent les forces de ventes lors de rendez-vous clients. Cela crédibilise leur discours.
De plus, dans des entreprises comme l'équipementier ARaymond, les acheteurs et les vendeurs suivent des formations communes. Et, dans un monde en quête de sens, axé sur le développement durable, les directions générales attendent des achats qu'ils soient les premiers contributeurs aux enjeux de CSR (Corporate Social Responsibility). Une façon de réenchanter le monde.
Décision Achats : Les directions achats devront être de plus en plus spécialisées...
Natacha Tréhan : Les directions générales et les directions achats s'accordent sur un point : celui de l'ultra-spécialisation des acheteurs au sein des grandes organisations. Dans un monde de plus en plus complexe, l'ultra-spécialisation du métier est pour eux un gage de création de valeur et une façon de mieux appréhender et gérer le risque.
Les acheteurs se spécialiseront selon 2 catégories : celle des étapes du processus achats (sourcing manager, ingénieur marketing achats, supplier quality manager, gestionnaire de panel, contrôleur de gestion achat...) ou celle des enjeux de la fonction (RSE, innovation...). On retrouverait alors des postes comme le " Supplier Sustainability Officer " pour les enjeux RSE, le " Supply Risk Manager " pour l'appréhension des risques fournisseurs, le " Performance Engineering Manager " pour l'apport d'une nouvelle réflexion sur les méthodes Achats et sa mesure de performance, le " Procurement Innovation Manager " pour l'innovation fournisseur....
Ces nouveaux métiers viendront en support des acheteurs familles.
En ce qui me concerne, je ne suis pas en faveur d'une ultra spécialisation des acheteurs. Seule une approche holistique et transversale permettra, à mon sens, de gérer les enjeux achats de demain dans un monde complexe et interconnecté.
Au-delà de cette ultra-spécialisation, les acheteurs devront développer leurs soft skills (l'intelligence émotionnelle, le leadership et la créativité).
Décision Achats : vous parlez d'un renversement des relations fournisseurs. Comment l'expliquez-vous ?
Natacha Tréhan : Il va y avoir un véritable renversement des rapports de force en faveur des fournisseurs " best-in-class ". Comme de nombreux directeurs achats l'ont souligné : " Demain ce seront les fournisseurs best-in-class qui nous choisiront ". Aussi, il va devenir impératif de se différencier de ses concurrents à l'achats afin de devenir un client préférentiel auprès de ces fournisseurs.
Les acheteurs vont devoir apprendre à séduire leurs fournisseurs. Pour cela, il faudra repenser les modes de rémunération des fournisseurs et leur mesure de performance. Ces modèles de rémunération peuvent être de type " pay as you grow " ou " revenue sharing " afin que les fournisseurs puissent bénéficier des revenus des clients auxquels ils ont contribué.
Par exemple, un fournisseur ayant apporté une innovation dans le packaging pourrait toucher un pourcentage même infime des ventes de ces produits packagés. Aujourd'hui, seulement 7% des entreprises au niveau mondial proposent des contrats de partage des gains avec leurs fournisseurs.
* Natacha Tréhan est Docteur en Sciences de Gestion, maître de Conférences à l'IAE de Grenoble, chercheur au CERAG unité mixte de recherche du CNRS et responsable du master DESMA de l'IAE de Grenoble - Université Pierre Mendès-France.