L'acheteur du futur, un acheteur stratége ?

Longtemps cantonnée à une simple chasse aux économies, la fonction Achats prend un virage décisif. L'acheteur d'aujourd'hui est un stratège, un visionnaire. Mais pourquoi un tel bouleversement ? Pour Natacha Tréhan, maître de conférences en management des Achats responsables, et animatrice du panel CPO à l'occasion d'Ivalua Now, la réponse réside dans les tendances mondiales qui redéfinissent les compétences et les métiers d'ici 2030.

D'après une étude du Forum économique mondial, les prévisions sont saisissantes : 92 millions d'emplois seront détruits d'ici 2030, contre 170 millions créés. Un solde net de 78 millions de postes. Parmi les transformations majeures à venir, la digitalisation et la transition verte se placent en tête, suivies par la fragmentation géo-économique, l'incertitude économique et les bouleversements démographiques. Verdict ? Ces évolutions redéfiniront les compétences dans tous les secteurs, y compris celui des achats.

Des compétences en mutation : cybersécurité et durabilité

Les crises récentes ont rebattu les cartes. Pandémie, tensions géopolitiques, cyberattaques... les chaînes d'approvisionnement sont sous pression. Résilience et anticipation deviennent les nouveaux mots d'ordre. Rédha Messaoui, SVP Procurement chez Volvo Group, ne cache pas l'ampleur du défi : "La transition vers un modèle économique durable est désormais au coeur de notre stratégie. Nos objectifs de neutralité carbone pour 2050 sont clairs. Chaque décision d'achat est désormais prise en fonction de cet objectif." Un cap stratégique qui ne concerne plus uniquement l'environnement. La cybersécurité, autre pilier de la résilience, s'impose dans les contrats fournisseurs.

"En 2023, 61% des grandes entreprises ont intégré des clauses de cybersécurité dans leurs contrats fournisseurs. Dans un monde de plus en plus digitalisé, complète Xavier Cassignol, CPO & SVP Cybersecurity chez IDEMIA. Chaque transaction peut être une porte ouverte aux attaques. L'acheteur doit donc maîtriser des compétences techniques de plus en plus pointues."

L'acheteur du futur n'est plus seulement celui qui négocie les prix. Il est l'acteur clé de la stratégie d'entreprise, créateur de valeur à long terme. Émeline Gasiglia, CPO chez Groupe SEB, résume cette transformation : "L'acheteur moderne doit être un stratège visionnaire. Il doit anticiper les tendances du marché, comprendre les enjeux économiques, et surtout se projeter dans l'avenir." Chez Group SEB, cette vision se concrétise par des initiatives concrètes, comme un partenariat innovant avec un fournisseur pour développer des produits recyclés en circuit court, permettant ainsi de réduire l'empreinte carbone tout en générant des bénéfices mutuels.

Cette orientation stratégique n'est pas un phénomène isolé. De grandes entreprises ont également massivement investi dans l'automatisation des achats. Le Groupe SEB en témoigne réduisant les coûts opérationnels de 18 % tout en optimisant les délais d'approvisionnement.

Résilience et agilité : Les superpouvoirs des acheteurs de demain

L'acheteur doit être un rempart face aux crises. Xavier Cassignol en est convaincu : "Dans notre domaine, nous travaillons avec des données sensibles - des cartes d'identité, des passeports... chaque transaction doit être sécurisée dès le départ", précise-t-il. Un exemple : IDEMIA a mis en place une démarche proactive pour intégrer la cybersécurité dans ses relations avec les fournisseurs. Cela implique non seulement des contrôles renforcés, mais aussi des discussions continues avec leurs partenaires sur la gestion des risques numériques.

Anticiper les crises au lieu de les subir : tel est le credo de Volvo. la gestion des crises est devenue une priorité absolue dans son nouveau département "Après la crise des semi-conducteurs, nous avons mis en place une équipe dédiée à la résilience des approvisionnements", détaille Rédha Messaoui. "Notre objectif ? Être capable de réagir en jours, pas en mois." Une chose est sûre, l'acheteur de demain ne ressemblera en rien à celui d'hier. Du moins pour les directions achats matures.