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Comment décarboner nos industries européennes dans un contexte énergétique tendu

Publié par Geoffroy Framery le | Mis à jour le
Comment décarboner nos industries européennes dans un contexte énergétique tendu

Entretien avec Patrice Geoffron qui revient sur le choc énergétique de 2022 et ses conséquences, sur les mécanismes de protection contre la volatilité du gaz ou encore l'effet néfaste des politiques de décarbonation en Chine ou aux États-Unis sur nos industries.

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Le choc énergétique de 2022 est-il finalement un mal nécessaire pour faire évoluer la politique énergétique européenne ?

Compte tenu du contexte guerrier, il est délicat de parler de « mal nécessaire ». Toutefois, il faut bien admettre que cette crise est venue rappeler (durement) à l'Europe les dangers de sa dépendance aux énergies fossiles : pour mémoire, la France importe 99 % de son pétrole et de son gaz, sans être pourtant l'État-membre de l'UE le plus fragile. Désormais, il est évident que la politique de décarbonation n'est pas uniquement destinée à lutter contre le changement climatique, mais qu'elle est essentielle à la sécurité collective de l'Europe et à sa dynamique économique.

Quels mécanismes peut-on mettre en place pour ne plus dépendre des fluctuations du prix du gaz ?

Les chaînes d'approvisionnement en gaz ont été réorganisées en 2022, en particulier via le GNL (et notamment l'apport massif des États-Unis). Aussi, le plus difficile est sans doute passé et il y a peu de risques à moyen terme de retrouver les sommets atteints il y a un an, avec des cours 10 fois plus élevés qu'avant le conflit. Mais, nous avons également la garantie de payer le gaz 2 à 3 fois plus cher qu'auparavant, notamment parce qu'acheminer le gaz liquéfié est plus coûteux. Dans le même temps, une réforme du marché de l'électricité est en discussion pour que son prix dépende moins de celui du gaz. Mais les négociations durent, notamment en raison de l'opposition franco-allemande sur le financement des actifs nucléaires dans un marché réformé.

Vous observez des mouvements pour les industries énergo-intensives vers les États-Unis ou vers le Moyen Orient compte tenu de cette conjoncture plus trouble pour l'industrie européenne. Pouvez-vous nous en donner quelques exemples ?

Il est trop tôt pour juger de la profondeur du phénomène. Certes, on a très vite vu que les secteurs les plus directement dépendants du gaz russe seraient fragilisés, comme la chimie allemande (avec des annonces spectaculaires de BASF, par exemple). Mais, en 2022, les États européens se sont efforcés de compenser une part du choc par des mesures de soutien des secteurs industriels les plus directement affectés et des ménages : point selon le think tank Bruegel, ces amortisseurs ont coûté de l'ordre de 700 milliards d'euros à l'Europe. Par ailleurs, La Commission européenne a établi un cadre dérogatoire pour les aides d'état jusqu'à la fin 2025 pour continuer à soutenir les objectifs d'une industrie « zéro émissions nettes ». Même si l'économie européenne dans son ensemble - et notamment la France - s'est avérée résiliente, l'enchaînement des chocs créer une configuration totalement inédite. Et, dans ce cadre, l'apathie allemande n'est pas une bonne nouvelle...

En quoi les politiques de décarbonation américaines et chinoises ont-elles un impact négatif sur notre industrie ?

Même si la courbe des émissions de gaz à effet de serre n'a pas été inversée, une concurrence très vive s'installe dans les filières décarbonées : on a déjà « touché du doigt », avec les panneaux photovoltaïques, l'effet d'une concurrence avec la Chine (capable de massifier des productions à une échelle supérieure à celle de l'Europe) ; et, maintenant, le président Biden veut convaincre qu'il est possible d'avoir une Amérique « great again », et de recréer massivement des emplois, dans les industries » vertes ». Au milieu de cette concurrence décomplexée, qui bouscule les règles l'Organisation Mondiale du Commerce, l'Europe est à la fois fragmentée et fait preuve de moins de réactivité qu'outre-Atlantique dans l'action publique. Mais, au-delà des turbulences actuelles, elle présente le cadre le plus constant en matière de lutte contre le changement climatique et offrira un cadre attractif pour les entreprises les plus résolument engagées dans une trajectoire de décarbonation (avec un accès à une électricité bas carbone, une logistique verte, ...). À l'inverse, les États-Unis sont en guerre interne entre républicains et démocrates, les premiers luttant pour contrarier les efforts de transition environnementale.

Selon vous quels sont les 3 leviers à utiliser pour encourager la décarbonation de l'industrie ?

Le premier est la conséquence de la guerre : l'Europe a la garantie de payer l'énergie fossile plus cher que partout ailleurs, et nous ne reviendrons pas à la situation antérieure, de sorte que la décarbonation est donc un impératif économique. Deuxièmement, il faut des outils contractuels qui donnent de la visibilité comme les « contrats pour différence » ou les « power purchase agreements » qui réduisent la fluctuation des prix (l'électricité ou du gaz vert, du CO2, ...). Enfin, l'accès à des infrastructures décarbonées est essentiel (chaînes logistiques, transport de CO2, numérique responsable, ...).

Quelle est votre position sur l'European raw material act ?

L'Europe doit tirer dans l'urgence les enseignements de la crise énergétique des « fossiles », et anticiper ses prochaines dépendances. L'ERMA est un ensemble de propositions législatives visant à renforcer la résilience de l'UE en matière de matières premières critiques visant à atteindre trois objectifs principaux : augmenter et diversifier la production de matières premières critiques au sein de l'UE ; renforcer la « circularité » de leur exploitation (recyclage, notamment) et soutenir la recherche et l'innovation. L'ERMA est une initiative importante, mais il est évident que chacun de ses trois volets est un défi (notamment pour rendre acceptable l'exploitation de mines en Europe) et que le sourcing en matière première restera une fragilité structurelle de la décarbonation de l'UE.

 
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