Voyage d'affaires durable : aller au-delà de la compensation carbone
Si le déplacement professionnel le plus écologique est celui qui n'existe pas, les travel managers et les salariés prennent conscience que voyager différemment est possible. Les impératifs RSE sembIent enfin au centre de leurs priorités.
Je m'abonneCompenser les consommations polluantes de kérosène par des opérations de reforestation. AirFrance en a fait un véritable cheval de bataille, allant jusqu'à informer ses passagers en cabine que son action en la matière permettrait de couvrir jusqu'à 100 % des émissions de CO2 sur certains vols.
A l'image de la compagnie aérienne française, bon nombre d'acteurs du voyage ont été tentés par les démarches de greenwashing. « S'arroger le droit de polluer en échange d'opérations visant à reverser des fonds pour planter des arbres n'est ni sérieux, ni constructif. Heureusement, ces actions sont de plus en plus pointées du doigt. Elles ne sont en aucun cas une bonne manière d'aborder les questions RSE et visent uniquement à s'auréoler d'une image écologique », décrit Saad Berrada, directeur général de Fairjungle, fournisseur de solutions pour une gestion écologique des déplacements. « La compensation carbone est de plus en plus vue comme une initiative insuffisante. Certaines entreprises privilégient aujourd'hui des hôtels labellisés qui vont au-delà de la simple compensation », constate Salomé Mogier, Chief Commercial Officer chez HCorpo, plateforme de réservation hôtelière.
Au-delà du greenwashing, les approches véritablement écoresponsables semblent gagner du terrain. Selon le baromètre 2023 publiée par Amex GBT, l'empreinte carbone occupe de plus en plus les premières places dans les préoccupations des intéressé. Il souligne qu'un nombre croissant de voyageurs d'affaires affirment être demandeurs d'outils et de moyens pour se déplacer de façon responsable. Ainsi, 66 % d'entre eux indiquent d'ores et déjà mesurer leurs émissions de CO2, contre 53 % en 2022.
Une dynamique post-covid durable
Depuis la fin de la crise sanitaire mondiale, la reprise des activités en matière de tourisme d'affaires a été l'occasion de s'interroger sur la légitimité à accorder aux différents déplacements professionnels. « L'argument écologique trouve plus facilement sa place dans les débats grâce à ce contexte. Les questions de RSE étaient secondaires auparavant, et sont désormais considérées comme plus importantes. Le voyage d'affaires est aujourd'hui autant un sujet RSE qu'un sujet budgétaire et sécuritaire », souligne Saad Berrada.
La volonté de vouloir aussi baisser son impact polluant semble croissante. « Certaines sociétés se déplacent moins souvent, mais restent en voyage d'affaires plus longtemps : on cherche davantage à mutualiser les tâches sur le lieu de destination, ce qui est une manière de diminuer ses émissions de CO2. Par ailleurs, adresser de nouveaux sujets relatifs aux personnes à mobilité réduite, ou à l'inclusion devient également plus fréquent dans les demandes », remarque Salomé Mogier.
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Ce contexte propice au changement voit naître de nouveaux outils qu'intègrent les agences de voyages d'affaires, à l'image d'Amex GBT qui propose depuis peu la technologie climatique de l'entreprise Chooose, qui fournit des calculs d'émissions de CO2 dans les outils de réservation et de reporting. L'objectif est de perfectionner les solutions de développement durable proposées en améliorant la précision et la pertinence des données sur les émissions de gaz à effet de serre. Dans les fonctionnalités de reporting, les gestionnaires de voyages peuvent appliquer les calculs d'émissions effectués aux voyages réservés depuis 2019, afin de suivre, analyser et gérer les empreintes carbone et leur évolution.
Une volonté d'économies favorable à la cause écologique
Certains secteurs d'activité font figure de bons élèves dans cette évolution vers des pratiques plus écologiques, à l'image des entreprises ayant des missions à impact « comme les installateurs d'éoliennes par exemple, les acteurs de l'énergie aussi. Mais alors qu'on imaginait que l'exemplarité vienne d'abord des grandes organisations, on se rend compte que les PME intègrent elles aussi souvent ces nouveaux critères », souligne Saad Berrada.
Si la RSE est désormais à l'agenda de la majorité des entreprises pour ce qui est du volet écologique, « d'autres sujets restent tout de même en retrait des préoccupations », observe Guillaume Ridolfi, directeur des partenariats SAP Concur. « L'accessibilité aux services aux personnes ayant un handicap en fait partie. » Il existe une corrélation forte entre la volonté de diminuer l'impact carbone et la recherche d'une meilleure maîtrise des prix. « Dans les deux cas, voyager moins est intéressant. On bascule d'ailleurs généralement vers le train quand le prix est maîtrisé », poursuit-il. « L'aspect budgétaire reste un critère primordial. Le choix n'est pas forcément assumé par des critères d'écoresponsabilité. »
Des offres technologiques qui s'adaptent
Guillaume Ridolfi souligne également la demande croissante de services : « on souhaite de plus en plus que les agences soient des acteurs technologiques, avec des services garantis par des outils apportés. Les TMC ont généralement moins de personnels disponibles sur leurs plateaux qu'avant la période du covid-19. Les collaborateurs dans les agences deviennent plus spécialisés, plus ciblés avec des offres VIP élaborées pour des voyages complexes, d'autres offres spécifiques conçues pour des voyages consolidés dans lesquels on regroupe plusieurs rendez-vous au sein d'un même pays. »
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Les prix plus élevés pratiqués par des agences s'explique aussi par la meilleure prise en compte des garanties et impératifs RSE. « Nous avons mis en place H-Carbon récemment, pour connaître le taux de CO2 lors de chaque réservation. C'est un service très apprécié. En tant que prestataire, si on néglige aujourd'hui ce volet, on sera vite menacé », explique Salomé Mogier. La définition des politiques voyages en ressort chamboulée dans ce contexte. L'accompagnement dans ce sens gagne du terrain. « Nous aidons à la mise en place d'un système de contrôle pour éviter les déplacements non essentiels. Ce travail passe par les visioconférences qui peuvent être à privilégier, les regroupements de rendez-vous sur un même lieu de destination... Nous avons de plus en plus de demandes pour réduire la voilure carbone sur un type de déplacement donné, qu'il soit récurrent ou non », indique Saad Berrada. Les suivis grâce aux reportings permettant de mieux mesurer l'efficience de choix rencontre également une demande croissante.
Concrètement, mettre le côté écoresponsable au centre de la décision se traduit par le recours à des outils qui comparent différents moyens de transport et orientent le choix de l'utilisateur en fonction du critère écologique, à l'inverse des solutions classiques qui proposent un billet d'avion lorsque la demande concerne un billet d'avion, ou un billet de train lorsque le souhait concerne un billet de train. « A terme, nous voulons proposer des itinéraires tenant compte de l'ensemble d'un déplacement, porte à porte, des déplacements très courts aux plus longs qui composent un voyage », confie Saad Berrada. Il est toutefois à souligner qu'il importe de rester réaliste malgré tout : « on ne va en aucun cas proposer le train si on perd 3 heures dans la même journée. Les politiques Voyages doivent tenir compte des aspects métiers, des contraintes business de chacun. », conclut-il.
Et si on pensait TTR (pour temps de trajet responsable)?
Et si les services de ressources humaines devenaient un rouage de l'exemplarité des comportements écoresponsables en entreprise ? Le TTR (Temps de Trajet Responsable), initié par l'entreprise Ubiq, spécialiste de la gestion de l'mmobilier de bureau, dans le but d'inciter ses collaborateurs à privilégier des voyages plus écologiques, s'inscrit dans cette logique. En partant du constat qu'un passager en avion émet 20 fois plus de CO2 par kilomètre qu'un passager en train, Ubiq a mis en place ce mécanisme original pour faire en sorte que les trajets en train, bus ou covoiturage soient privilégiés par ses collaborateurs pour leurs voyages, là où l'avion aurait été une option plus rapide. Le salarié ayant fait un tel choix bénéficie d'une journée « semi-off » pour son trajet, au cours de laquelle il est invité à travailler uniquement quand il en a la possibilité. Une connexion limitée permet par exemple de répondre à quelques emails, de lire une étude ou de réfléchir à un sujet de fond, avant de profiter d'un week-end à impact carbone limité. Ce TTR permet d'obtenir un jour tous les 6 mois soit 2 jours maximum par an. Ces journées peuvent être prises en plusieurs demi-journées pour plus de flexibilité.