3 conseils pour les achats post-COVID
Si nous partions d'une page blanche aujourd'hui, organiserions-nous encore ces longues et opaques chaînes d'approvisionnement mondiales ? Continuerions-nous à préférer le "Just-In-Time" et sa promesse d'efficience à la sécurité du "Just-In-Case" ?...
Je m'abonneLa crise du Coronavirus nous plonge dans une nouvelle réalité. Les gouvernements prennent des mesures sans précédent pour protéger la population, et le chômage explose et continuera à la faire, malgré les aides massives en soutien des entreprises. Ce n'est pas la première fois qu'un cygne noir perturbe l'économie mondiale. Il suffit de penser au tsunami en Asie du Sud-Est, à l'éruption du volcan Eyjafjallajökull, à la catastrophe de Fukushima et à l'épidémie de SRAS. Cette fois-ci, l'ampleur du problème, sa progression rapide et la localisation de l'épidémie au coeur même du système de production mondial sont autant de facteurs qui rendent l'impact économique de cette crise similaire à celui d'une guerre. A titre comparatif, à l'époque du SRAS, la part de la Chine dans l'économie mondiale était de 4 % ; elle est aujourd'hui de 19%.
Après le temps de la survie immédiate de nos entreprises, un certain nombre de questions se posent ou se poseront quant à la manière dont nous travaillons dans une économie mondialisée. Si nous partions d'une page blanche aujourd'hui, organiserions-nous encore ces longues et opaques chaînes d'approvisionnement mondiales ? Continuerions-nous à préférer le "Just-In-Time" et sa promesse d'efficience à la sécurité du "Just-In-Case" ? Comment organiserions-nous le flux d'information pour permettre la meilleure visibilité possible tout au long de notre supply chain ? Quelle veille mettrions-nous en oeuvre afin de détecter les signaux faibles potentiellement annonciateur de problèmes, et gagner quelques semaines ? Que pouvons-nous, en tant qu'acheteurs, apprendre de cette crise afin de mieux traverser la prochaine ?
1. Just-in-Time vs Just-in-Case
Nous suggérons que la première nécessité est de réévaluer la construction de votre supply chain, afin d'équilibrer les réponses aux problématiques de just-in-time et d'efficience économique immédiate, avec celles de just-in-case, de gestion du risque et de pérennité à long terme. L'exploration de certains scénarios nous semble salutaire. Vers qui nous tournerions-nous si le fournisseur X venait à disparaître ? Où trouver des stocks à proximité ? Sommes-nous déjà en relation avec ces entreprises ? Combien de temps faudrait-il au nouveau fournisseur pour ajuster ses spécifications et commencer la production ? Toutes ces informations vous permettront de réagir au plus vite afin de sécuriser les produits qui vous sont essentiels.
2. Information et transparence
Une enquête menée par Resilinc pour la Harvard Business Review auprès de 300 entreprises commerçant avec la Chine montre que plus d'un mois après le déclenchement de la crise, 70% d'entre elles n'avaient toujours pas de visibilité sur la localisation précise des usines de leurs fournisseurs chinois, et encore moins de leurs capacités de production et de livraison résiduelles. Une telle opacité est évidemment peu propice à une prise de décision optimale et agile.
Aujourd'hui, la plupart des départements achats ont une assez bonne compréhension de ce qui se passe chez leurs principaux fournisseurs de rang 1, grâce aux systèmes d'information partagés et aux relations qu'ils ont établies. Cependant, plus la chaîne d'approvisionnement s'allonge, et plus l'information devient difficile à acquérir.
Une veille permanente, modulée selon l'impact prévisible et le niveau de risque (en particulier pour les fournisseurs monopolistiques) paraît le minimum vital à mettre en oeuvre.
3. Faire attention aux signaux faibles
Chaque mois, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) gère 7000 nouveaux signalements de foyers d'épidémie potentiels, générant 300 suivis, 30 enquêtes et 10 évaluations complètes des risques. En juin 2018, pour la toute première fois, six des huit catégories de maladies figurant sur la liste des "maladies prioritaires" de l'OMS ont connu des flambées. Si l'une d'entre elles s'était largement répandue, elle aurait tué des milliers de personnes et provoqué des perturbations majeures au niveau mondial. Parmi ces huit catégories : le coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV) et le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS).
Le Global Risk Report du World Economic Forum liste, tous les ans, les risques majeurs dans le monde, en les classant par probabilité et par impact. Pour la première fois, en 2019, le risque de pandémie faisait une apparition dans le top 10.
Bien sûr, il est facile, en rétrospective, de donner des conseils et de paraître savant. Tel n'est pas note but. Néanmoins il nous paraît nécessaire que quiconque aux commandes d'une supply chain globalisée soit à l'écoute des signaux faibles du marché, qu'ils soient sociaux, politiques, ou économiques.
Le Coronavirus nous apprend une fois de plus que la gestion d'une chaîne d'approvisionnement mondiale implique bien des coûts et des compétences à développer, dans les achats comme dans les autres fonctions. Ces derniers mois, de nombreuses entreprises ont constaté que leur chaîne d'approvisionnement était moins robuste que prévu et que leurs plans pour faire face à un problème grave étaient nettement insuffisants. Nous le voyons déjà, une des réponses sera de tenter de relocaliser une partie des achats et de la production.
D'autres facteurs contextuels ont également amené nombre d'entreprises, même avant la crise, à réfléchir à leur dépendance vis-à-vis de la production dans des régions éloignées. L'évolution politique de ces dernières années est un bon exemple, des pays de plus en plus nombreux faisant le choix de tourner le dos, au moins partiellement, au multilatéralisme. Un deuxième facteur non négligeable est la prise de conscience de l'impact écologique et humain d'un commerce globalisé : les consommateurs exigent de manière de plus en plus audible des producteurs que leurs biens soient produits de manière écologique, certes, mais aussi dans le respect de règles sociales et de conditions de travail acceptables.
Ces tendances d'achats plus locaux, plus écologiques et plus socialement responsables vont-elles se poursuivre, voire s'accélérer une fois la crise terminée ? C'est tout à fait probable, en particulier dans des secteurs tels que le commerce de détail et la distribution. Les secteurs industriels avec une chaîne d'approvisionnement mondiale seront probablement moins capables ou désireux d'aller dans ce sens, mais ceux qui feront l'économie de cette remise en cause le feront en toute connaissance des risques.
Par Ken Aerts et Grégory Wanlin, Enabling Procurement, cabinet de conseil et d'accompagnement spécialisé, qui aide ses clients à maximiser la valeur apportée aux entreprises par leur fonction achats.
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Ken Aerts est un des fondateurs d'Enabling Procurement. Il a une large expérience de transformation et modernisation de la fonction achats dans un vaste spectre d'industries, avec un biais particulier vers les achats marchands et non-marchands dans la grande distribution. Ken dirige Enabling Procurement en Belgique.
Grégory Wanlin est un des associés d'Enabling Procurement. A travers une carrière tant dans l'industrie que dans des cabinets de conseil en achats, il a eu l'occasion de mettre en place et de piloter de nombreux programmes d'amélioration de la performance achats. Grégory dirige Enabling Procurement en France.