[Interview] Jean-Louis Coudrillier, Air Liquide : " Garantir le "zéro accident" grâce à notre processus de qualification des fournisseurs "
Compte tenu de son métier, Air Liquide est très vigilant en matière de sécurité. La qualification technique des fournisseurs constitue donc un axe prioritaire pour la direction achats. Recherche d'innovation et politique RH s'ajoutent aux défis quotidiens relevés par Jean-Louis Coudrillier.
Je m'abonneAir Liquide a dressé son plan stratégique Alma pour 2011-2015. De quelle façon les achats participent-ils à la stratégie du groupe ?
Jean-Louis Coudrillier : Pour les achats, le programme Alma s'est traduit par la redéfinition de l'ambition du groupe dans ses différentes composantes (organisation, méthodes, finances, gestion des risques...) et la mise en place de deux projets en ligne avec ces objectifs : la qualification des fournisseurs critiques et l'évaluation/adéquation des ressources humaines dans la sphère des achats.
L'objectif de ce dernier chantier était de mieux identifier les populations d'acheteurs et de mieux les structurer afin de les gérer de façon plus dynamique pour s'adapter plus rapidement aux nouveaux contextes et orientations business du groupe. L'intention était aussi de créer une filière achats nous permettant d'attirer des talents et de proposer un parcours d'évolution propre à la filière.
Il y a donc un volet très "RH" dans la déclinaison du plan stratégique, au niveau des achats...
Effectivement. La difficulté est de déterminer des profils types d'acheteurs pour avoir une certaine homogénéité dans l'analyse des ressources entre les grandes régions du monde où nous sommes implantés, comme l'Amérique du Nord ou l'Asie. Entre ces différentes régions, la manière de catégoriser les profils était différente. Notre objectif est donc d'avoir une vision claire non seulement de la répartition des acheteurs dans ces zones du globe, mais également de leur profil, de leur domaine de spécialisation, de leur expérience dans les achats... Ceci afin d'adapter en permanence nos ressources aux besoins et d'inscrire la gestion des compétences achats dans une nouvelle dynamique.
De plus, dans la lignée du plan Alma, nous mettons l'accent sur la qualification des fournisseurs. Compte tenu de la spécificité de nos métiers et des processus de production (produits sous pression ou à très basse température, process chauds), une attention particulière est portée sur la sécurité et la fiabilité des équipements et services que nous achetons.
Comment est organisée la direction achats au sein d'Air Liquide ?
La fonction achats du groupe est structurée à trois niveaux : au sommet, les achats Groupe concentrent deux fonctions majeures (une fonction centrale - définition de stratégies, mise en place de bonnes pratiques, outils, etc. - et une fonction opérationnelle - négociation de contrats Groupe d'achats). Ces achats concentrent les achats directs pour l'ensemble des filiales Groupe (bouteilles, stockages cryogéniques, etc.) et les achats indirects (informatique, voyages, etc.).
Ensuite, il existe des plateformes d'achats continentales, qui se répartissent entre Europe, Asie (Shangai) et Amérique (Houston), ou spécialisées par "business lines" (BL), du fait de leur spécificité comme la santé, l'électronique ou l'ingénierie. Leur rôle : consolider les achats au niveau continental ou des BL, selon le cas.
Viennent enfin les achats par pays (80 en tout), qui n'ont pas pu être regroupés au niveau du groupe ou des plateformes. Au total, dans le groupe, environ 550 acheteurs gèrent 6 milliards d'euros.
Comment organisez-vous la gouvernance d'une structure achats aussi diffuse ?
La gouvernance achats est assurée par un group procurement board (ou comité de pilotage des achats), composé des directeurs des achats des plateformes continentales et des BL. Ce comité, que je dirige, se réunit régulièrement et traite notamment de l'affectation des achats aux différents niveaux d'organisation. Il définit les outils à mettre en place, les projets Groupe à lancer et les actions spécifiques. Dans les opérations, nous avons des category managers, qui définissent des stratégies pour la catégorie, identifient des fournisseurs cibles, etc., et des chefs de projets achats, qui conduisent les négociations avec les fournisseurs. Ces deux populations sont formées à la méthodologie de projet Air Liquide proposée par notre université maison.
Nous disposons d'un outil Groupe qui permet de consolider les dépenses des filiales et de les classer par fournisseurs et familles d'achats, d'identifier les fournisseurs critiques, et d'enregistrer les contrats et les évaluations fournisseurs. Il est ouvert à la communauté des acheteurs dans l'ensemble du groupe.
En complément, nous disposons d'un intranet, qui met à la disposition des acheteurs les formats, les contrats-types, les supports de formation, etc. Il concentre tous les outils nécessaires au quotidien de l'acheteur (process et procédures). Et pour le reporting de la performance achats, nous utilisons un logiciel spécifique, qui nous permet de faire remonter et de consolider les gains d'achats réalisés par les entités du groupe.
Enfin, la politique achats et les procédures-clés (organisation, rôles et responsabilités, règles de reporting, code de conduite de l'acheteur, politique et processus de qualification des fournisseurs critiques, démarche RSE, etc.) figurent dans un ouvrage numérique appelé "Blue Book", qui regroupe toutes les politiques et procédures importantes de notre groupe dans les différents domaines (industriel, finance, RH, achats, etc.).
Votre axe de vigilance principal concerne la sécurité du matériel et le "Zéro accident". Comment l'accompagnez-vous et le qualifiez-vous auprès de vos fournisseurs ?
Nous manipulons des produits et des équipements à haute pression ou à basse ou haute température. C'est pourquoi nous devons être particulièrement vigilants quant à la qualification technique des équipements de nos fournisseurs. Notre processus interne de qualification technique des fournisseurs est décrit dans notre Système de gestion industriel (IMS). Une validation technique est réalisée par les équipes techniques du groupe lorsqu'un équipement ou un service est identifié comme critique au regard des critères de sécurité ou de fiabilité.
Quels sont vos autres risques fournisseurs identifiés ?
Nous avons quelques risques relatifs à l'approvisionnement des matières, mais ils sont rares. D'une façon générale, nous avons un bon tissu de fournisseurs dans les pays industriels. Notre produit se transportant peu, nous privilégions la production locale, ce qui conduit à une large répartition géographique de nos usines et centres d'activité avec, pour corollaire, un grand nombre de fournisseurs locaux, de taille souvent modeste. Leur éventuelle défaillance constitue un élément important dans nos critères d'analyses; un risque qu'il est assez difficile de détecter, les PME tardant parfois à communiquer leurs informations financières, qui ne sont d'ailleurs pas publiques dans certains pays. Tous critères confondus et mondialement, nous avons identifié environ 2 500 fournisseurs critiques qui sont donc sujets au processus de qualification.
Pour pallier les défaillances des fournisseurs, comment soutenez-vous le tissu économique des PME et ETI et l'innovation ?
Nous nous attachons à payer dans les délais et restons à l'écoute en cas de problème. Nous sommes signataires de la Charte des relations interentreprises et soucieux de respecter nos engagements, mais aussi de construire des relations partenariales avec des fournisseurs quand c'est possible. À titre d'exemple, nous en intégrons certains au sein de processus de travail en commun dans des projets d'optimisation de coûts (supplier related efficiency projects) ou dans des démarches de design to cost. Ainsi, par exemple, nous nous sommes appuyés sur le savoir-faire de nos fournisseurs pour reconfigurer certaines chaînes logistiques ou encore nos moyens de transport. Au total, nous avons environ, à travers le monde, une cinquantaine de projets d'efficacité de ce type.
De plus, nous travaillons en association avec Pacte PME pour identifier des entreprises innovantes avec lesquelles nous pouvons tisser des liens techniques. Nous mettons également en place des partenariats avec des PME pour le développement de technologies, que nous choisissons de laisser à l'extérieur de nos processus habituels de R&D. Et pour identifier ces fournisseurs partenaires, nous travaillons en relation avec la direction Recherche France.
Air Liquide
CA 2013 : 15,2 Mds d'€
Effectif monde : 50 000
Budget achats : 6 Mds d'€
Effectifs achats : environ 550 personnes
Panel fournisseurs : 80 000 à 100 000