[Tribune] Albert Varenne : "Achats, toujours plus ?"
Au sein de notre société, les achats apparaissent comme une fonction mal assumée, encore à la recherche de son identité. En témoignent les divers qualificatifs qui fleurissent ici ou là, dont on voit bien que l'objectif est d'adoucir la connotation dérangeante attachée à cette fonction.
Je m'abonneAchats responsables, durables, partenariaux, gagnants-gagnants, labellisés, équitables... La liste des qualificatifs ne cesse de s'allonger, semblant indiquer que ce métier pose des problèmes existentiels à beaucoup de ceux qui le pratiquent. Pourquoi cette quête ininterrompue de respectabilité ? La fonction achats s'est développée au cours des 30 dernières années de manière corollaire à la globalisation et à la financiarisation de l'économie. Avec ce grand bouleversement planétaire, au sein de toutes ces entreprises qui voyaient dans la globalisation parfois des risques, mais surtout de formidables opportunités de développement, la fonction s'est retrouvée sous les feux de la rampe, chargée de la mission hautement stratégique de développer la relation avec les fournisseurs.
Le vilain petit canard a grandi
La soudaineté de ce changement n'a probablement pas donné le temps à la fonction de se redéfinir, et le vocable "achats" s'est succédé à lui-même, ne traduisant pas le changement profond des responsabilités qui en faisaient, dans les faits, une toute nouvelle fonction. Les Anglo-Saxons ont préféré le terme "supply management" à "purchasing", donnant une autre dimension au nouveau contenu de la fonction. Par ailleurs, la globalisation a poussé certains à rechercher des boucs émissaires, dont les acheteurs ont fait partie. Ainsi stigmatisés, chacun comprendra leurs tentatives de réhabilitation.
Je pratique ce métier depuis une quinzaine d'années et j'ai pris le temps de m'interroger sur le bien-fondé de cette quête de respectabilité. Aussi, très modestement, je souhaite vous faire partager ce qui, de mon point de vue, fait des achats une fonction passionnante et non dénuée d'une certaine noblesse. À ceux qui voient les achats comme une fonction subalterne dans l'entreprise, j'affirme qu'elle est un formidable champ pour y exprimer son leadership et s'y développer personnellement, notamment grâce à la multitude de personnes, de situations et de cultures que l'on peut y côtoyer.
À tous ceux qui pensent que le rôle de l'acheteur se limite à mettre la pression sur les fournisseurs pour faire baisser les prix, je veux dire que les challenges de l'industrie du XXIe siècle ont métamorphosé le rôle de l'acheteur.
Anaphore de la passion
Être acheteur, c'est être un peu architecte, pour définir les structures de l'écosystème, le penser pour que les interactions humaines y soient le plus productrices de valeur possible et ce, pour l'ensemble de la communauté.
Être acheteur, c'est être un leader au sein de son entreprise, pour la fédérer et l'engager sur des décisions stratégiques vis-à-vis de ses partenaires.
Être acheteur, c'est être coach sportif, pour motiver et exalter le goût de l'excellence industrielle, et la reconnaître lorsqu'elle permet à l'entreprise de progresser.
Être acheteur, c'est également être un vendeur apte à convaincre les plus performants et talentueux afin qu'ils mettent prioritairement leurs ressources financières et humaines au service de leur "preferred customer".
C'est cela les achats : construire des relations, chercher des innovations, des talents éloignés, toutes choses qui constituent autant de ressources vitales pour l'entreprise.
Être acheteur, c'est enfin être animé par une éthique irréprochable qui, paradoxalement, peut déranger ! Toutes les décisions sont bâties sur une analyse objective et transparente. Tous les engagements sont mis par écrit dans des contrats. La communication avec les fournisseurs s'organise autour d'éléments objectifs.
Toujours plus... professionnels
Je veux, pour conclure, dire à mes confrères acheteurs : " Ne doutez pas de votre respectabilité. Vous faites un métier formidable et, comme pour chaque métier, vous obtiendrez votre reconnaissance par votre professionnalisme et votre engagement à toujours le faire progresser. Ne cherchez pas à vous rendre artificiellement respectable. " Et à tous ceux qui me demandent quelle est ma vision des enjeux des achats, je réponds sans complexe qu'il faut travailler à rendre la fonction toujours plus professionnelle !