[Tribune] Acheteurs, soyez acteurs de la diffusion de l'innovation !
Il est indispensable de mesurer la maturité de l'innovation recherchée a priori, de la qualifier, de façon à arbitrer entre un développement par les équipes innovation, un programme de R&D, ou une recherche de solutions chez des fournisseurs par des acheteurs "augmentés".
Je m'abonneIl serait dommage de laisser l'innovation uniquement dans les mains des directions innovation : on génère de bonnes idées lors de hackathon, on fait des "PoC" avec des startups, ou de la R&D "au long cours"... Si "l'open innovation" est une véritable opportunité pour de l'innovation de rupture, c'est aussi une occasion de placer l'acheteur en tant qu'acteur incontournable dans la captation denouveautés issues des partenaires fournisseurs de l'entreprise.
Les grands groupes aéronautiques, par exemple, pour qui l'innovation a toujours été un vecteur indispensable de croissance, voire de survie, se sont nativement appuyés sur un écosystème de fournisseurs porteurs de nouveautés, de produit ou services ; jusqu'à distribuer la R&D et l'innovation sur leurs sous-traitants.
Pourtant, souvent à tort, les directions achats ne pensent pas elles-mêmes à se saisir d'une partie de la stratégie d'innovation en miroir de la vision globale d'entreprise. Y compris dans des domaines industriels propices à ce mouvement de détection d'innovation chez ses fournisseurs. Et même lorsque tout un pan de la stratégie d'innovation de l'entreprise en question est fait d'innovations incrémentales de leurs produits et services avec des ressources existantes dans les catalogues fournisseurs...
Quels sont les moyens pour mettre en place cette stratégie d'open innovation ?
Un des enjeux des ETI et groupes industriels est de favoriser et industrialiser une innovation incrémentale, rapidement disponible chez des fournisseurs. Si un des prérequis est d'avoir à sa portée un mix fournisseurs disposés à partager ses innovations, les équipes métiers et opérationnelles sont clés pour détecter et remonter des besoins et irritants à solutionner.
Ce rôle de "pont" entre besoins et solutions innovantes rapidement implémentables est une nouvelle mission pour les services achats. Il ne s'agit pas de remplacer les services R&D et innovation, dont le rôle est de maturer idées, concepts innovants et de rupture, risqués, mais de compléter ces recherches de solutions innovantes à moindre de risque, plus rapidement, et en utilisant les capacités d'innovations traditionnelles présentes dans les lignes métiers.
Il est donc indispensable de mesurer la maturité de l'innovation recherchée a priori, de la qualifier, de façon à arbitrer entre un développement par les équipes innovation, un programme de R&D, ou une recherche de solutions chez des fournisseurs par des acheteurs "augmentés".
Des actions de détections des besoins d'innovations, des irritants non solutionnés, sont intéressantes à mener. Par exemple, en thématisant autour d'une problématique d'IoT pour connecter son produit, on peut recueillir une vingtaine de problématiques innovantes pour les métiers (capteurs connectés, affichages déportés, visualisation de données de production personnalisées, etc.), qui seront adressés aux fournisseurs. Ces derniers, une fois sélectionnés par les services achats viendront, lors de "business reviews" thématisées, présenter leurs innovations. Ils seront challengés par les équipes internes émettrices des besoins. La suite de la relation fournisseur est accompagnée par l'acheteur, plus ou moins souplement en fonction de l'intensité de l'innovation, si nécessaire avec les équipes innovation.
Pour quoi "augmenter" l'acheteur en innovateur ?
"Moi acheteur... Qu'est ce qui m'empêche aujourd'hui de profiter de l'innovation de mes fournisseurs ? Pour quelle raison mon fournisseur, partenaire historique, propose une innovation à ma concurrence et pas à moi ?" D'ailleurs, pourquoi pas ne pas "monter" un comité de tri des besoins avec les équipes innovation et R&D pour s'alimenter mutuellement, mieux connaître les besoins, s'entraider ? Les process et la gouvernance peuvent être adaptés à chaque situation, bien sûr. Cette démarche est peu couteuse à mettre en place même si elle nécessite très certainement un accompagnement au démarrage afin d'accélérer et structurer le process d'innovation et peut engendrer des retombées considérables pour l'entreprise.
Si on change de posture, la gestion des risques fournisseurs ne sera pas un frein : l'innovation sera qualifiée aux côtés des métiers et si besoin des équipes innovation, seule la relation contractuelle sera dévolue à la responsabilité des achats. Pourquoi ? Par ce que l'innovation reste risquée par nature, même si on cherche à en prendre le minimum, et la posture sera dans ce sens.
A propos de posture, l'innovation est aussi un fabuleux moyen de retenir les talents : un acheteur millenial préféra rejoindre un employeur pour qui les achats sont au coeur de sa stratégie d'innovation. Les tensions sur le recrutement d'acheteurs performants sont telles aujourd'hui que ce constat est une raison de plus pour changer de posture vis-à-vis des achats et donc de vos fournisseurs.
et Aurélie de Azcarate est Senior Manager en Excellence opérationnelle chez Ayming et accompagne les entreprises dans des projets de transformation achats.