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[Secteur automobile] Comment les achats négocient le virage de l'électrique

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[Secteur automobile] Comment les achats négocient le virage de l'électrique

C'est le big-bang dans le secteur automobile avec la fin annoncée des ventes de véhicules neufs à motorisations thermiques à horizon 2035. Les achats sont en première ligne et doivent repenser leur stratégie à la lumière des enjeux de compétitivité et de décarbonation.

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"Produire en France les véhicules électriques de demain, c'est relocaliser l'industrie automobile ; c'est décarboner le transport automobile eu égard au mix énergétique français [...] c'est contribuer à notre souveraineté", ont écrit Bruno Le Maire, Ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique et Roland Lescure Ministre délégué chargé de l'Industrie et de l'Énergie à l'occasion de la signature le 6 mai 2024, du contrat stratégique de la filière Automobile 2024-2027 à Bercy. "L'industrie automobile connaît sa plus profonde mutation depuis des décennies, avec sa transformation rapide vers l'électrique et les véhicules de plus en plus connectés. C'est un immense défi, pour l'automobile et sa fonction achats. Chez Renault, les priorités sont la construction d'écosystèmes plus performants pour répondre aux différents besoins, tant en termes de nouvelles technologies comme les batteries ou le software, mais aussi de vitesse et d'agilité, à l'image de nos nouveaux concurrents comme Tesla ou les constructeurs chinois", explique François Provost, Chief Procurement, Partnerships & Public Affairs Officer de Renault Group.

Le choix cornélien du Make or buy

Les constructeurs dont le coeur de métier résidait dans la construction des moteurs thermiques doivent aujourd'hui se poser la question du make or buy sur les moteurs électriques. "Il faut repenser la stratégie achats à la lumière d'une reconfiguration stratégique du secteur de l'automobile. Cela passe par une restructuration du panel fournisseurs et une réflexion sur le make or buy", avance Pierre Rougier, partner au sein du cabinet de conseil achats Kepler Consulting. Les directions achats vont vouloir sous-traiter au maximum pour limiter leurs investissements mais paradoxalement, cela peut s'avérer dangereux et créer des concurrents qui demain pourraient parfaitement proposer des véhicules électriques. Les risques de vol de technologie ou de perte de contrôle rendent frileuses les directions achats. "Elles vont certainement davantage opter comme c'est déjà le cas, pour des contrats de pré-développement (co-design, co-conception) et segmenter au maximum la production des motorisations électriques. Il va falloir resegmenter les panels fournisseurs avec une réflexion sur le bon niveau d'intégration à avoir", développe Pierre Rougier.

Un écosystème fournisseurs élargi

Le secteur automobile voit une profonde transformation de son écosystème fournisseurs en raison du changement de la nature du besoin. Les acheteurs vont devoir travailler avec un écosystème fournisseurs plus large et avec de nouveaux entrants comme les énergéticiens. Et si certains fournisseurs vont être amenés à disparaître, d'autres vont pouvoir sortir leur épingle du jeu. "Si avant chaque équipementier apportait la maîtrise entière du processus de motorisation, aujourd'hui avec le software design du véhicule, les constructeurs et équipementiers voient leurs rôles redistribués et essayent de reprendre la main", analyse Marc Mortureux, Directeur général de la Plateforme automobile (PFA) qui rassemble 4 000 entreprises du secteur automobile (constructeurs, équipementiers, sous-traitants et acteurs de la mobilité). Cela conduit à des enjeux de souveraineté car les fournisseurs se retrouvent désormais en concurrence avec des pays très en avance sur le sujet comme la Chine. "C'est un énorme défi de compétitivité, car on sait fabriquer des véhicules électriques mais pas encore à des coûts suffisamment compétitifs. Il y a une tension sur la baisse des coûts à tous les étages avec un fort enjeu sur les volumes", souligne le dg de PFA. Une compétitivité qui passe aussi par une meilleure régulation des coûts d'énergie au niveau européen.

Si le siège mondial de production du groupe BMW (BMW, Mini, Rolls-Royce et Motorrad) se situe à Munich en Allemagne, le groupe détient 31 sites de production locaux répartis dans 15 pays pour une stratégie dite "local for local". "Cela permet de suivre les marchés au plus près ainsi que les demandes qui sont très différentes d'un pays à l'autre. Ainsi, la bascule vers l'électrification des flottes est très forte en Europe, s'accélère en Chine mais dans certaines régions du monde elle est encore lente. Et outre une meilleure prise en compte des spécificités des marchés, cette logique de "local for local" garantit une performance business équilibrée qui n'est pas dépendante d'une seule région du monde", explique Maryse Bataillard, Head of CSR and Corporate Communications chez BMW Group.

Des enjeux de souveraineté

Si cette transformation vers l'électrification peut accélérer le déclin de l'industrie automobile, elle présente surtout et avant tout de "véritables opportunités de rebond", selon le dg de PFA. Mais "il existe un fort enjeu de souveraineté pour optimiser les coûts made in France. Cela passe par des investissements massifs. Il faut créer des briques et sécuriser l'approvisionnement des batteries et des matériaux. Ou encore faire baisser les impôts de production pour ainsi laisser le temps au secteur automobile de se structurer face à une concurrence féroce. L'Etat doit aussi aider sur les infrastructures de recharge à domicile ou dans le domaine public. Il doit aussi accompagner le consommateur via les bonus pour l'inciter à passer à l'électrique", développe Marc Mortureux. La PFA plaide également pour des aides temporaires, ciblées Green Deal. Cependant, "l'objectif n'est pas d'être durablement subventionné pour le secteur automobile", insiste-t-il. Du côté des investissements, citons les initiatives de souveraineté du Fonds européen dans des mines ou encore le projet IPCEI pour des investissements dans l'électronique de puissance. La France a aussi accordé plus de 800 millions d'euros d'argent public pour aider ACC, coentreprise entre Stellantis, TotalEnergies et Mercedes, à construire la première "gigafactory" de cellules de batteries électriques est née à Douvrin dans le Pas-de-Calais. Enfin, "C'est une période très intéressante car nous allons enfin voir les résultats des investissements des constructeurs, faits il y a 4-5 ans, avec l'arrivée sur le marché des véhicules électriques comme la Mégane, la Scénic ou encore la R4 et la R5 de Renault ou encore la Peugeot 3008, 5008, 308 ou 408 de chez Stellantis", développe Marc Mortureux.

Enfin, si les volumes des motorisations thermiques vont diminuer, ils ne vont pas pour autant disparaître. "Et les acheteurs vont toujours devoir optimiser les coûts dans ce domaine pour réussir à dégager des marges qui vont ensuite pouvoir être réinvesties dans l'électrique", prévient Pierre Rougier de Kepler.

Une gestion des risques accrue

Le de-risking (ou atténuation des risques) est également un enjeu très fort pour les achats du secteur automobile. "Il faut sécuriser la montée en puissance des nouvelles technologies et repenser sa stratégie de gestion des risques", insiste Pierre Rougier. C'est le cas du groupe Stellantis qui sécurise son approvisionnement en semi-conducteurs via une base de données listant les différents types de semi-conducteurs composant les pièces automobiles de ses fournisseurs de rang 1, les usines dans lesquelles ils sont fabriqués et les différentes technologies. Aujourd'hui, le groupe achète également en direct certains semi-conducteurs jugés très critiques (environ 10 Mrds €). Enfin, un projet en parallèle est mené pour sécuriser l'approvisionnement de certaines matières premières comme le lithium, le nickel, le cobalt, le manganèse, le graphite ou encore le cuivre, qui pourraient venir à manquer avec l'accélération de l'électrification des véhicules. "Cela passe notamment par des centaines de millions d'investissements dans des mines aux quatre coins du monde, ce qui nous a permis de sécuriser notre approvisionnement en matières premières stratégique jusqu'en 2028", explique Maxime Picat, directeur achats de Stellantis dans son interview portrait à l'occasion des Trophées 2024 du magazine.

Outre la sécurisation des approvisionnements, les défaillances fournisseurs de ceux qui par exemple ne pourront survivre à un tel changement stratégique font également partie des signaux d'alerte. De plus, les directions achats devront également faire face à des situations de concentration et de monopoles qui vont s'amplifier. À cela s'ajoutent des risques de dépendance fournisseurs notamment avec la Chine et un marché asiatique très en pointe sur le sujet de l'électrique. Enfin, "les acheteurs doivent tenir compte des dynamiques régionales dans le secteur qui sont très différentes avec des marchés européens, asiatique ou américain qui divergent profondément", souligne Pierre Rougier de Kepler. Ainsi, aux USA, la réglementation est moins contraignante et Tesla truste le marché, tout comme le pureplayer chinois BYD ("Build your dreams") en Asie.

L'enjeu de la décarbonation

Enfin, on ne peut évoquer les achats du secteur automobile sans évoquer la décarbonation. "Aujourd'hui le coût d'un véhicule se décompose en 80/20 (avec 80 % liés à la fabrication et 20 % liés aux usages). L'électrification des flottes induit une inversion des rapports entre l'usage et la fabrication", explique Marc Mortureux qui souligne le fait que "l'électrique a un vrai sens en France grâce à son électricité décarbonée". Pour la PFA, les principaux leviers d'action pour une décarbonation du secteur sont un accès compétitif à l'énergie décarbonée, des matériaux verts éco-conçus à faible contenu carbone (acier, aluminium, ...), l'intégration de matériaux recyclés et une meilleure sécurisation de l'accès aux matières. Chez Renault Group, les achats contribuent au plan climat de Renault Group dont l'enjeu est d'atteindre la neutralité carbone en Europe d'ici à 2040. "Nous avons identifié les achats à fort impact carbone et nous déployons notre stratégie pour sécuriser le sourcing de matières premières décarbonées, d'énergies renouvelables. Nous veillons également à réduire l'empreinte carbone des achats de prestations logistiques. Enfin, il s'agit de sécuriser les approvisionnements - et la logistique associée (liés aux matières premières critiques et aux composants électroniques)", développe François Provost, Chief Procurement, Partnerships & Public Affairs Officer de Renault Group.

Le défi logistique

Dans une logique de réduction de l'impact carbone, la logistique est un enjeu de taille. Côté achats hors production, la filiale française de BMW a déjà passé des contrats pour l'ensemble de ses sites en électricité issue d'énergies renouvelables (siège, centre d'essai, centre de formation, centres logistiques, ...). Pour la logistique (transport des véhicules BMW, BMWi, MINI, Motorrad mais aussi des pièces de rechange). À cet effet, "Nous travaillons sur différents axes : les biocarburants et l'électrification de la flotte de nos transporteurs afin qu'ils puissent notamment rouler dans les zones ZFE et afin de réduire notre impact sur l'environnement", souligne Chloé Rothenbühler, cheffe du service achats chez BMW Group France. Actuellement, un pilote est en cours de développement pour le transport des véhicules du groupe avec un camion électrique : en effet, avec un objectif de plus de la moitié des ventes en 100 % électrique d'ici 2030, BMW Group souhaite aussi impulser le changement chez ses partenaires pour favoriser les transports décarbonés. "Nous avons également travaillé sur la partie packaging de nos pièces détachées qui sont envoyées par nos centres logistiques vers nos concessionnaires : en supprimant des cales de plastique du packaging de certaines pièces détachées, on économise plusieurs centaines de tonnes de CO2 par an.", précise la cheffe de service achats France. Enfin, d'ici 2025, le groupe BMW va investir plus de 2 milliards d'euros pour créer la première usine neutre en carbone sur le site de Debrecen en Hongrie pour ses nouveaux modèles électriques. "Toujours dans une optique de réduction de notre empreinte carbone, nous allons réduire les alliages et privilégier les monomatériaux qui seront intégrés dès la conception des véhicules", ajoute Maryse Bataillard, Head of CSR and Corporate Communications chez BMW Group.

La digitalisation qui est également un axe fort de développement de l'industrie automobile participe à cet enjeu de décarbonation avec de nouvelles approches de mobilité partagée. Elle apporte aussi avec elle de nouvelles catégories d'achats sur le software ou l'électronique embarquée. "Les acheteurs doivent encore plus se spécialiser dans les technologies et développer davantage leurs compétences en termes de costing sur ces nouveaux sujets", selon Pierre Rougier du cabinet Kepler.

Et l'économie circulaire dans tout ça ?

Un enjeu qui n'est pas des moindres est celui de l'économie circulaire avec notamment le recyclage des batteries qui est à la fois "un sujet environnemental et de souveraineté". "Il faut mettre en place des filières de re fabrication des matériaux pour faire des batteries neuves, récupérer les matières critiques", explique Marc Mortureux. Les achats rentrent alors dans un process de remanufacturing et de réindustrialisation pour réincorporer des matières recyclées dans des véhicules neufs et ainsi allonger la durée de vie des véhicules électriques. À titre d'exemple, le groupe Renault a lancé en octobre 2022, la création d'une nouvelle entité entièrement dédiée à l'économie circulaire : The Future Is NEUTRAL dans son usine de Flins. Le centre de démantèlement et de refabrication du groupe BMW basé à Munich existe quant à lui depuis plus de 30 ans. "Le groupe a montré la BMW i Vision Circular, sa vision d'une voiture citadine 100 % recyclable et 100 % recyclés d'ici 2040", souligne la responsable RSE, avec du cobalt et du lithium recyclé ou encore des PET qui représentent en moyenne 22 % de la matériaux secondaires dans les véhicules neufs.

Enfin, les achats du secteur se lancent dans une réflexion à une échelle plus globale car le secteur des transports représente 30 % des émissions de GES en France. Et la route est responsable à elle-seule de 95 % de cet impact. Ainsi, le groupe BMW est le premier constructeur à avoir rejoint l'Alliance pour la décarbonation de la route, créé par François Gemenne, co-auteur du rapport du Giec. La révolution est en route !

À retenir :

- La logique de make or buy revient sur le devant de la scène avec des construcuteurs et équipementiers qui maîtrisaient la chaîne de production des véhicules thermiques mais pas celle de l'électrique.

- La forte concurrence de la Chine qui a un temps d'avance sur la maîtrise de l'électrique fait revenir en force le sujet de la dépendance fournisseurs.

- Il existe de forts enjeux de compétitivité et de souveraineté face à des marchés aussi concurrentiels que la Chine et les USA avec les mastodontes Byd et Tesla.

- Les acheteurs vont devoir travailler avec un écosystème fournisseurs plus large et avec de nouveaux entrants comme les énergéticiens.

- Il faudra mettre en place des filières de réutilisation/recyclage des matériaux pour assurer le volet économie circulaire des nouveaux véhicules éléctriques et notamment des batteries.

 
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