La digitalisation de la fonction achats
Pierre Laprée - Lorsque l'on considère la chaîne de valeur des achats (stratégie, déclinaisons en plans opérationnels, exécution, transaction), on constate que la digitalisation s'est faite en partant de la fin : on a commencé par digitaliser les aspects transactionnels (P2P, dans les années 2000), puis l'exécution (eSourcing, Contract Management... dans les années 2010). On s'attaque maintenant aux aspects plus "nobles" ou stratégiques de la fonction (plans d'actions, mesure de la performance, stratégie)... mais aussi les plus difficiles à digitaliser.
Les solutions ne sont que des outils dont l'objectif est de raccourcir le temps passé sur des tâches qui n'ont pas de valeur ajoutée. L'objectif étant de redonner aux achats du temps de cerveau disponible. Il faut utiliser les outils pour fluidifier les processus. Il ne faut pas acheter de la technologie pour acheter de la technologie. Les outils doivent supporter une ambition
Pour moi, la théorie achats n'est pas posée. Il n'y a pas de doctrine achats, on n'en est pas à ce stade du système de pensée. Dans d'autres métiers, ces doctrines sont posées. C'est ce qui rend plus difficile la digitalisation des strates amont de la chaine de valeur achats.
Mais... la transformation est permanente. Comment concilier long terme et agilité?
Pierre Laprée - Il faut construire de manière itérative. C'est la clé. La transformation digitale passe par un modèle hybride. Se doter d'une épine dorsale PtoP et ensuite brancher dessus des solutions satellites qui amènent de la valeur sur des sujets particuliers. Je pense qu'il faut envisager une digitalisation à la carte, avec une communication entre les systèmes pour constituer une constellation.
Et comment choisir les bons outils en fonction des besoins ?
Clément Duquerroy - Les outils dont nous avons besoin sont différents, selon que nous nous adressions à la fonction siège ou aux hôteliers. Nous partons d'une analyse fine de nos besoins et du marché digital afin d'identifier les meilleurs outils sur chacun des processus (logique best-of-breed). Afin d'unifier notre écosystème digital, nous bâtissons au coeur de notre architecture une véritable colonne vertébrale, avec un référentiel commun et des interfaces permettant de faire dialoguer les applications entre elles.
Sur des processus mâtures et standards, comme par exemple le processus Procure-to-Pay du siège Accor où l'objectif est l'harmonisation des pratiques, on est parti sur un acteur majeur comme Coupa, un des grands acteurs du marché. En addition, conscient des limites de Coupa sur certaines briques fonctionnelles critiques pour les Achats, nous avons complété notre écosystème en faisant appel à des start-ups spécialisées comme Per Angusta cité précédemment pour la valorisation collaborative des gains Achats, ou Scanmarket une société danoise qui nous accompagne sur les modules de Source-to-Contrat.
Lorsque nous ne trouvons pas sur le marché une solution répondant à nos attentes, nous sommes aussi capables de mettre en oeuvre une approche Digital Factory pour bâtir du "sur-mesure". C'est ce que nous avons fait sur des processus stratégiques autour de la gestion des clauses contractuelles générant des revenus au Groupe sous la forme de commissions de service. Nous nous sommes appuyés sur une plateforme de développement logicielle (Faveod) et un partenaire intégrateur (Hexagonal) pour bâtir une solution sur-mesure adaptée à notre business de centrale d'achats hôteliers.
Quelles sont les prochaines étapes ? L'intelligence artificielle, la blockchain, etc. ?
Pierre Laprée - Ceux qui sont les plus avancés aujourd'hui dans la transformation vont vers l'IA et la blockchain pour les parties aval de la chaîne de valeur (notamment pour les aspects transactionnels). Mais ce sont souvent des buzzwords, des solutions en recherche de vrais problèmes. A mon sens, l'approche la plus rationnelle serait d'abord, avant de remplacer l'acheteur, de l'augmenter. Il y a une phase de 5 à 15 ans sur laquelle on va trouver les bons modèles pour trouver les bonnes applications de ces technos et seulement à ce moment-là, on pourra en tirer de la valeur, notamment sur les maillons amont de la chaîne de valeur.
Raphaël Bellière - C'est toujours un problème de maturité. Les organisations les plus matures sur la partie digitale, tel le retail, sont celles qui s'y sont intéressées le plus vite. Elles ont des road map digitales à court et moyen terme.
Les solutions ne sont pas arrivées à maturité et pour la plupart, répondent à des cas d'usage bien précis. Il y a beaucoup d'initiatives, mais pas de standards du marché. Ce marché est en plein essor. Sur la partie blockchain, robotisation et big data, le champ des possibles est immense. La question de la data me semble d'ailleurs primordiale, ne serait-ce que sur ces trois sujets majeurs : la gestion des risques, la décomposition des coûts et la veille marché.
Si on ne structure pas en amont une stratégie sur la data, cela va être compliqué. Aujourd'hui, il nous faut beaucoup de temps pour obtenir... des données qui ne sont pas fiables. Avec la data science, on va pouvoir faire mieux. Les datas seront des outils d'aides à la décision. Il y a beaucoup d'initiatives en la matière. Il est important de bâtir une stratégie DATA d'entreprise dans laquelle la fonction achats doit s'inscrire.
Clément Duquerroy - Nous investissons généralement un peu moins de 5% de notre budget achats sur des innovations du type "paris sur l'avenir" pour couvrir des fonctions en devenir chez nous. On investit notamment sur l'AI principalement et la gestion des données autour de trois thèmes assez variés:
1) AI comme techno prédictive en lien avec l'équipe Data Science d'Argon Consulting pour nous aider à mieux estimer et prédire les comportements d'achats de nos hôteliers et comprendre comment on peut influencer le taux de pénétration de nos solutions référencées auprès de ces clients.
2) AI comme outil pour faciliter le travail de nos équipes commerciales : nous avons lancé un pilote pour automatiser les démarches de conquête de nouveaux clients pour faciliter les analyses d'écarts de prix entre les articles achetés par nos prospects et des produits comparables dans nos catalogues. L'idée est de les aider à faciliter ces tâches qui peuvent être très consommatrices de temps.
3) Price Benchmark pour s'assurer en monitoring continu que les prix de nos fournisseurs référencés sont compétitifs par rapport à la concurrence.
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