(Tribune) Décret Pinel : vers une amélioration des relations entre bailleur et locataire d'un bail commercial ?
Quelques mois après la publication du décret d'application de la loi Pinel, les utilisateurs continuent de s'interroger sur les bénéfices qu'ils retireront de l'encadrement des charges récupérables au détriment de leur liberté contractuelle. Explications.
Je m'abonneLe 3 novembre 2014 a été publié le très attendu décret d'application de la loi du 18 juin 2014, dit "loi Pinel", avec pour ambition affichée l' "amélioration des relations entre bailleur et locataire d'un bail commercial". Pour mener à bien cette amélioration, le législateur a entendu réglementer le domaine des charges locatives, qui, jusqu'alors, était laissé à la discrétion des parties, lesquelles pouvaient librement convenir des charges récupérables et de leur mode de facturation.
En pratique, cette liberté avait pu conduire à des excès. Les bailleurs étaient en mesure d'imposer une répartition des charges particulièrement déséquilibrée les autorisant à récupérer l'intégralité des dépenses engagées sur l'immeuble (les fameux baux investisseurs dits "triple net"), tandis que les locataires ne mesuraient pas toujours l'impact financier de leur engagement et n'avaient plus ensuite aucun consentement à donner sur le choix et le coût des travaux mis en oeuvre sur l'immeuble.
L'intention du législateur était donc louable: mettre un terme aux excès des bailleurs en proscrivant certains modes de facturation (forfait), en interdisant la récupération de certaines catégories de charges, et en obligeant le bailleur à donner au locataire une prévisibilité sur les travaux à réaliser sur l'immeuble. Il semble cependant que le législateur, cédant à d'autres intérêts que ceux qu'il se proposait initialement de protéger, n'ait pas osé aller au bout de son ambition.
Enonciation, distribution et limitation des charges récupérables
Plutôt que d'imposer une répartition impérative des charges locatives, comme en matière de baux d'habitation, le législateur, voulant préserver une marge de manoeuvre aux parties, a choisi d'imposer l'établissement d'un "inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôts, taxes et redevances liés [au] bail comportant l'indication de leur répartition entre le bailleur et le locataire".
Cette obligation d'énoncer et de distribuer les charges locatives lors de la signature du bail constitue immanquablement un progrès dans la protection des locataires qui devraient ainsi pouvoir prendre la pleine mesure des charges qui leur incomberont et ne plus se voir imposer des clauses très générales "en sorte que le loyer soit net de toutes charges et de toutes taxes pour le bailleur".
Dans le sillage de cette première obligation, le législateur a dressé une liste des charges et taxes qui ne pourront désormais plus être imputées au locataire : les grosses réparations mentionnées à l'article 606 du code civil et les honoraires afférents (même si lesdites réparations sont rendues nécessaires par la vétusté ou une nouvelle norme), la contribution économique et territoriale (dont l'imputation sur les locataires aurait vraisemblablement été sanctionnée, même sans l'adoption de la loi), et les honoraires de gestion (qui constituaient très souvent un surloyer déguisé).
Cette liste, déjà très succincte (beaucoup plus que ce que redoutaient les bailleurs), est immédiatement suivie d'une dérogation : "ne sont pas comprises dans les dépenses mentionnées aux 1° et 2° celles se rapportant à des travaux d'embellissement dont le montant excède le coût du remplacement à l'identique." L'écueil est visible. Sitôt posée la principale restriction (interdiction de répercuter les grosses réparations), le législateur fournit aux bailleurs le moyen de s'y soustraire. Les grosses réparations pourront être imputées au locataire dès lors qu'elles pourront être qualifiées de "travaux d'embellissement".
Lire aussi : MASTERfleet, la location de machines Würth
Ainsi, plutôt que d'inciter les bailleurs à être plus vigilants sur les dépenses relatives aux grosses réparations, la loi risque, au contraire, d'encourager les bailleurs à s'engager dans des dépenses toujours plus somptueuses, ceci afin d'accoler le qualificatif "d'embellissement" à leurs grosses réparations et d'en répercuter le coût sur leurs locataires. Le montant des charges liées aux travaux ne devrait donc pas aller en diminuant.
Par ailleurs, on peut d'avance deviner les différends auxquels donnera lieu la qualification de "travaux d'embellissement" sur laquelle la loi n'apporte aucune précision. L'extension de la compétence de la commission départementale de conciliation aux litiges relatifs aux charges et aux travaux ne devrait donc pas être vaine.
NEWSLETTER | Abonnez-vous pour recevoir nos meilleurs articles
La rédaction vous recommande