Les travel managers doivent-ils craindre Prism ?
Comment fonctionne Prism ? Quel en est l'intérêt pour les compagnies aériennes ? Celui des entreprises ? Qu'en est-il de la confidentialité ? Telles sont quelques unes des questions qui agitent le monde des travel managers. Éléments de réponse.
Je m'abonneMalgré les petits fours, malgré le poisson et la volaille à la julienne de légumes suivie d'un assortiment de desserts programmé pour coïncider avec le service d'un dernier verre de champagne, le dîner aérien organisé le 10 février dernier dans un chic hôtel parisien par l'AFTM - l'Association française des travel managers, dont c'est un des rendez-vous les plus prisés - en a laissé plus d'un sur sa faim... Pour cause : le thème de cette soirée - débat était "Qu'est-ce que Prism ?". Une question qui n'avait jamais encore été mise sur la table en France, alors même qu'un nombre croissant d'entreprises se la posent en interne. "De nombreuses interrogations sont restées en suspend", confirme le délégué général de l'association, Thibault Barat.
"Beaucoup d'incompréhension"
Sur son site internet, Prism - passé il y a trois ans sous le contrôle du groupe américain Sabre - se définit comme le leader de la data sur les voyages corporate, qu'il collecte et consolide pour les compagnies aériennes. "Il y a beaucoup d'incompréhension sur le sujet", souligne néanmoins Thibault Barat, qui rappelle que Prism a commencé à revenir avec insistance aux oreilles des travel managers français alors que l'affaire Snowden était sur le devant de la scène. Une association sulfureuse qu'une autre coïncidence ne fait rien pour atténuer : Prism est aussi le nom donné à un programme de surveillance électronique américain relevant des activités de la NSA... "Nous ne faisons que gérer de la data", a martelé Herman Mensink, vice-président de Prism pour la zone Europe, Moyen Orient et Afrique. Une vocation d'apparence plutôt bénigne qui comporte toutefois d'importantes zones de gris.
"Que va-t-on faire de nos données ?"
"Que va-t-on faire de nos données ?", s'est inquiété un travel manager qui participait à ce dîner débat - et qui a tenu à conserver l'anonymat. A en croire les nombreuses questions qui ont fusé, une fois la présentation de Herman Mensink terminée, la protection de données, parfois hautement stratégiques, s'impose comme le souci majeur des entreprises françaises face à la montée en puissance de Prism. Inquiétude balayée d'un revers de manche par son vice-président EMEA: "La vocation du groupe est de gérer des données". Comprendre : tout autre aspect du programme relève de la négociation entre les entreprises et les compagnies aériennes.
Une auto-justification qui a surtout pour conséquence de mettre en exergue l'un des points du dispositif Prism jugés problématiques : "Aucun contrat n'unit Prism aux entreprises. Ces dernières ne sont en interaction qu'avec les compagnies aériennes, qui, lorsqu'elles contractualisent avec Prism, leur demandent de communiquer leurs données à Prism, tiers avec qui elles n'ont aucun lien légal". Moyennant quoi les entreprises ont accès à une tarification avantageuse.
La formule n'est pas sans rappeler l'accord déjà en place entre les travel managers corporate français et Air France. Sauf que là, souligne notre travel manager anonyme, "Rentre dans le process un intervenant extérieur qu'on ne maîtrise absolument pas. Quelle garantie avons-nous vis-à-vis de ses agissements ? Et, en cas de litige, qui tranchera ?" (les donnée collectées en mode cloud par Prism sont stockées, pour une durée d'un an minimum, sur des serveurs situés aux États-Unis).
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Des données globales, vieilles d'un mois
Il convient ici de préciser que Prism affirme ne pas être intéressé par les données individuelles mais uniquement globales. En outre, il ne les collecte pas en temps réel mais avec un décalage d'un mois. Un délai qui permet d'enrayer au moins une crainte. "Aucun voyageur ne peut être kidnappé", ironise Xavier Quesnel Djedid, travel manager pour Quiksilver Europe. Prism, il connaît bien, ayant longtemps travaillé en agence de voyages, où il gérait les comptes de clients corporate - certains ayant déjà des contrats impliquant le groupe américain - avant de prendre ses fonctions chez l'équipementier sportif. Ce qui l'a finalement amené à faire personnellement l'expérience de Prism, à la demande expresse d'une compagnie aérienne.
"Soit vous transmettez vos données à Prism, soit vous payez plein tarif"
Si nombreux travel managers déplorent le chantage qui leur est de plus en plus souvent fait par les compagnies aériennes ("Soit vous transmettez vos données à Prism, soit vous payez plein tarif ou - voire même - soit vous transmettez vos données à Prism, soit vous allez voir ailleurs...") le collaborateur de Quiksilver a alors fait abstraction de la méthode, et cru trouver son compte dans la proposition. Contractuellement, la compagnie aérienne en question devait lui fournir régulièrement les données consolidées fournies par Prism. Un engagement qui n'a pas été tenu. En signe de mécontentement, le travel manager lésé a cessé de fournir ses données. C'était il y a deux ans. "Outre Prism, personne ne semble n'avoir remarqué", indique-t-il. Son explication ? De l'aveu de certains de ses prestataires, les compagnies aériennes françaises ne sauraient même pas à quoi sert Prism qui, dès lors, fait figure de lubie imposée par un siège aux pratiques et process distants. "C'est dommage, car la restitution des données m'intéressait", regrette Xavier Quesnel Djedid, achevant un portrait - complexe - d'une solution qui n'a pas fini de faire parler d'elle.
Traiter en direct avec Prism
Contractualiser directement avec Prism ? C'est possible pour les très (très) grosses entreprises, affirme le vice-président du groupe pour la zone Europe, Moyen Orient et Afrique Herman Mensink. Et d'évoquer le cas d'une multinationale qui a signé un contrat concernant 53 pays - sur lesquels le groupe américain lui fournit de la data consolidée concernant ses déplacements. Un outil stratégique qui permet à l'entreprise de mieux piloter sa stratégie travel - et de mettre en place des actions correctives. "Là résiderait tout intérêt de Prism pour les entreprises" affirme Xavier Quesnel Djedid, travel manager de Quiksilver Europe. Contraint de s'exprimer au conditionnel, faute de gérer un volume suffisant pour pouvoir traiter en direct avec Prism. Un point important pour ceux qui, à l'inverse, sont concernés par cette possibilité : "L'entreprise reste libre de voyager avec une compagnie aérienne qui n'est pas cliente de Prism" insiste Herman Mensink.