Comment les achats publics passent à côté des meilleures expertises IT
Les prestations IT sont particulièrement recherchées par le secteur public, qui, d'après une enquête sénatoriale, y a consacré une dépense de 646,4 millions d'euros en 2021. Pourtant, le secteur peine toujours à accéder aux meilleures expertises pour assurer sa transformation numérique.
Je m'abonneLes dépenses du secteur public en prestations numériques a doublé depuis 2018. Et pour cause : les consultants et prestataires externes répondent aux manques de ressources internes d'un État et d'une administration en pleine transformation. Malgré le recours à ces ressources externes, le secteur souffre structurellement d'une pénurie de compétences dont la compensation est freinée par le fonctionnement de la commande publique.
Un système d'achat de prestations intellectuelles qui favorise les grandes entreprises
La stratégie achat de l'État 2018-2021 sur les prestations intellectuelles informatiques (PII), publiée par la Direction des Achats de l'État (DAE) révèle que les TPE-PME représentent 80% des fournisseurs de l'État, contre seulement 18% de la dépense. Comment expliquer un tel décalage ? En réalité, neuf sociétés captent à elles seules plus de la moitié du marché PII de l'État, tandis qu'un tiers de ce marché est partagé entre seulement...trois d'entre elles. Face à cette concurrence écrasante, difficile pour les TPE/PME de faire valoir leur expertise, aussi pointue soit-elle.
Des procédures complexes qui dissuadent les TPE et PME
Si les TPE et PME peinent à s'imposer dans les marchés PII du secteur public, c'est également parce que la complexité des processus à engager pour se porter candidat agit auprès d'elles comme un facteur dissuasif. La satisfaction de certaines clauses s'avère en effet impossible, faute de compétences techniques pour s'assurer de leur intelligibilité et coordonner une démarche à la fois crédible et efficace. Au premier chef, le fonctionnement par unités d'oeuvre, qui implique de présenter un organigramme dont le juste dimensionnement peut s'avérer un véritable casse-tête technique pour des structures dont les ressources humaines ne sont pas exclusivement internes. Parmi les autres clauses-repoussoirs, l'obligation de résultats, l'allotissement, les seuils de dépense financière ou les pénalités de retard peuvent chacune revêtir un caractère inquiétant que seule une expertise juridique peut dissiper.
Une configuration qui prive le secteur public des meilleures compétences
Dans la mesure où les plus grandes ESN subissent elles aussi de plein fouet la pénurie de profils IT, cette inégalité d'accès à la commande publique n'est pas sans conséquences. D'après le baromètre Journal du net 2021, les 15 ESN qui enregistrent les plus importants chiffres d'affaires ont fait bondir leurs recrutements de 150% en 2021. Loin d'être un signe de dynamisme, ce chiffre traduit un recours massif à des profils juniors, dans un contexte de difficulté à fidéliser ses talents.
En réalité, les experts les plus à même de pallier le déficit en compétences du secteur public se trouvent plutôt du côté des petites voire des très petites structures, qu'il s'agisse des TPE ou PME qui prennent la forme de petites ESN très spécialisées, ou bien des freelances. C'est dans leurs rangs que l'on trouve une plus grande concentration de compétences aussi recherchées que la cybersécurité, le cloud, l'infrastructure IT ou le développement Java.
Pour autant, contractualiser directement avec ces structures ne peut être une option viable, au risque de tomber dans la sous-traitance en cascade. Les risques encourus sont alors juridiques et organisationnels : la multiplication des intermédiaires entraîne une multiplication des marges, à rebours d'une démarche de rationalisation des dépenses.
Rendre la commande publique plus accessible : un enjeu de service public !
Favoriser l'accès des petites structures à la commande publique doit devenir une priorité pour assurer l'accès du secteur public aux meilleures experts. Atteindre cet objectif suppose d'abord de poursuivre et d'encourager les démarches déjà en cours :
Des mesures réglementaires adoptées en faveur des TPE et PME pour les marchés publics de l'État, telles que
- l'augmentation des avances et la diminution de la retenue de garantie
- des initiatives spécifiques mises en place par l'UGAP, la centrale d'achats public, pour aider les PME, TPE, et ETI
- la mise en place de bourses de "cotraitance", qui permet à des petites structures de répondre à un marché de manière groupée
- ou encore la mobilisation de nombreux freelances par BetaGouv, l'incubateur de services numériques de l'État, par le biais de plateformes.
Pour transformer l'essai et confirmer la tendance en cours, plusieurs pistes s'ouvrent au secteur public :
Tout d'abord, il gagnera à mieux identifier les freins à l'accès des TPE-PME à la commande publique, ainsi qu'à sensibiliser les acheteurs aux bonnes pratiques.
Ensuite, la proposition de modalités contractuelles plus flexibles permettra également d'éviter la mise à l'écart des petites structures. Ici, l'on peut penser à l'allongement des délais de réponse aux consultations, mais également à l'adéquation des exigences financières aux capacités des PME ;
Enfin, envisager un travail en bonne intelligence avec les plateformes d'intermédiation ne pourra que faciliter la rencontre entre ces acteurs dont la rencontre conditionne l'efficience de projets d'intérêt général.
Efficience accrue des projets menés, meilleure allocation de l'argent public...le secteur public a tout à gagner à s'ouvrir davantage à des fournisseurs de petite taille. À quand un changement de paradigme ?
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