Jean-Dominique Rey (BCG) : "Le consortium permet d'atteindre des économies d'échelle de 3 à 10%"
Se regrouper pour acheter moins cher? Oui, mais pas seulement... Jean-Dominique Rey, Principal au Boston Consulting Group (BCG), décrypte les avantages d'un consortium et les raisons qui poussent les entreprises à opter pour ce mode d'organisation.
Je m'abonneJean-Dominique Rey : Les consortiums existent bel et bien dans le privé, mais ils restent encore peu nombreux et sont plutôt mis en oeuvre sur un mode opportuniste, parfois même temporaire. Ils constituent néanmoins une organisation spécifique, à l'instar des autres démarches d'externalisation des achats.
Qu'est-ce qui définit un consortium?
C'est une façon particulière d'acheter à plusieurs en réalisant un effet d'échelle sur le prix des volumes achetés mais aussi sur les ressources achat engagées. Le sujet d'un consortium peut correspondre à un besoin précis pour une période, pour une zone géographique ou des catégories d'achats données. Cette organisation peut d'ailleurs coexister au sein d'une même entreprise avec d'autres organisations internes ou externes, comme le BPO achats ou les centres de services achat partagés.
Coexistent deux modèles. Tout d'abord, les consortiums fermés, au sein desquels les membres construisent ensemble la stratégie, l'organisation et les opérations, comme on en connaît dans le secteur des produits de grande consommation (PGC), par exemple. C'est le modèle type pour les grandes entreprises qui veulent bénéficier d'un effet d'échelle sur des sujets achats qu'elles maîtrisent. Ce schéma existe aussi au sein d'alliances plus larges, qui mettent en commun plus que des achats. On a des exemples dans l'automobile ou dans le transport aérien.
Second modèle, les consortiums ouverts. Là, les membres adhèrent ou en sortent de manière flexible, sans avoir vraiment voix au chapitre quant à la stratégie achat et aux modes de fonctionnement. Il en existe dans le secteur de la santé ou pour les PME. Ici, les petites structures veulent bénéficier d'un effet d'échelle, mais surtout ne plus gérer des sujets achats qu'elles maîtrisent assez peu. Notez que, dans ce modèle, on trouve surtout des secteurs sous forte pression de réduction des coûts, et des marchés très fragmentés et très variés en types d'achats (hôpitaux, collectivités locales notamment).
Dans tous les cas, les consortiums regroupent soit des sociétés d'un même secteur (les hôpitaux par exemple), soit des sociétés dont le besoin est identique (les électro-intensifs, par exemple). Les groupements hétéroclites - comme cela se profilait en 2000 avec les places de marché universelles, type Covisint - ne se sont pas développés.
Quelles sont les étapes principales de la construction d'un groupement?
Objectivement, un consortium est une société commune qui a autonomie à discuter avec les fournisseurs et à les sélectionner pour des achats directs ou indirects. A priori, il ne gère pas les commandes pour le compte de ses membres.
La construction d'un consortium fermé passe par des étapes très structurantes, souvent liées à une opportunité, comme une grosse renégociation des achats d'IT ou l'épuisement des leviers de réduction de la dépense en MRO. Ces étapes-clés sont?:
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- L'identification du partenaire (en général, on le connaît, et c'est de là que naît l'opportunité de mettre en commun certains achats)?: il peut appartenir au même secteur (et là, attention aux discussions entre concurrents...) ou avoir des besoins achats très convergents?;
- La définition des objectifs conjoints: périmètre de dépenses couvert et gains à réaliser par l'entité, mode de rémunération du consortium (fixe, transactionnel, sur les gains, sur des services aux membres et aux fournisseurs...);
- L'organisation de la structure commune et le transfert de personnels requis le cas échéant (ou la mutualisation avec une structure achats existante chez l'un ou chez l'autre) et les aspects juridiques qui vont avec;
- L'élaboration d'une gouvernance du consortium pour statuer sur les stratégies d'achats utilisées et la politique de demande, et pour sanctionner les résultats obtenus;
- La structuration de chaque société membre pour bien interfacer cette organisation externalisée, avec des relais par catégories achats ou chez les prescripteurs;
- Le lancement des opérations et la montée en charge, en n'oubliant pas, là aussi, de mettre à jour les politiques achats de chaque côté et de sécuriser la conformité de la dépense à la nouvelle politique ("compliance"). En effet, le consortium n'obtiendra son plein effet d'échelle que si la conformité de la dépense de chaque membre est complète.
Qu'est-ce qui rend les consortiums intéressants dans le contexte actuel et qu'est-ce qui peut freiner leur développement?
Le plus impressionnant, ce sont les résultats tangibles et rapides obtenus. Les fournisseurs comprennent vite le changement de modèle et la renégociation est pleinement justifiée: on peut atteindre un effet d'échelle pur de 3 à 10%, voire plus en doublant la taille des achats.
Autre atout du groupement: la professionnalisation des pratiques achats. Elles sont cantonnées dans une structure dédiée, jugée sur ses résultats, donc obligeant à une meilleure gestion des leviers achats, de la demande, des capacités des marchés fournisseurs et de la relation avec ces derniers. Citons aussi l'amélioration de la conformité de la dépense, donc des gains réalisés, grâce à la communication qui est faite sur les nouvelles politiques et la volonté des organisations de ne pas "payer deux fois" (les acheteurs du consortium et les personnes qui achètent en local hors circuit). Conséquemment, les partenaires du consortium bénéficient aussi d'un meilleur cadrage de la demande par la focalisation sur des catalogues restreints et la remise en cause régulière des besoins avec les prescripteurs pour continuer à générer des gains et répondre à l'innovation des fournisseurs.
Pour ce qui est des "moins", il faut parler de la gouvernance, qui n'est évidente avec les partenaires que sur les sujets ou les catégories les plus simples (comme les PC ou l'énergie). De plus, le groupement aura une capacité limitée à accompagner le développement de ses membres tout en maîtrisant tous les marchés fournisseurs à la fois dans toutes les géographies où ils se développent.
Autre point de vigilance: les interfaces avec les prescripteurs et les utilisateurs (comme dans toute externalisation, car c'en est une). Au bout d'un certain temps, ces derniers peuvent sentir une forme de "standardisation" des relations, qui laisse peu de place à la nouveauté et à la discussion sur l'évolution du besoin.
Concrètement, est-il difficile d'initier un groupement d'achats?
La practice achats du BCG a, par exemple, travaillé sur un gros consortium d'achats indirects pour deux sociétés de PGC aux US. Il a été monté en... 15 semaines, avec toutefois des partenaires qui se connaissaient et avaient déjà aligné leurs objectifs depuis un moment. La difficulté ne réside pas dans le montage proprement dit - si ce n'est quelques difficultés juridiques ou RH, éventuellement - mais dans la bonne intégration du consortium dans les opérations de chaque entreprise membre pour lui permettre de maximiser son effet d'échelle et d'être crédible auprès des fournisseurs.
Répétons-le: le consortium n'est pas une fin en soi ou une arme ultime pour maîtriser la dépense, c'est une option d'organisation achats possible, qui répond à l'existence d'opportunités de "faire de l'effet d'échelle" avec d'autres sociétés semblables en besoin, sur des sujets d'entente. Comme il est assez rapide à monter, il me paraît bien adapté aux entreprises opportunistes et donc agiles, car les opportunités ne durent hélas pas... éternellement.
Jean-Dominique Rey, "Principal" au BCG, conduit, depuis plus de 13 ans, des programmes de transformation des achats et de mise en place d'organisations achats au sein des plus grandes entreprises internationales.