Les compétences de l'acheteur d'aujourd'hui et de demain : continuité, évolution, ou rupture ?
L'acheteur contribue, au management de la performance par la création de valeur pour l'entreprise. Pour ce faire, il sera capable de transformer une idée en "réalité business" qui se traduira soit par un impact direct sur la structure de coûts du produit/service ou par la création de CA additionnel
Je m'abonneLes entreprises doivent faire face à de nombreux défis dans différents domaines : la recherche de performance, la protection de l'environnement, la responsabilité sociétale, l'intégration des nouvelles générations, l'innovation, la digitalisation, la gestion de crise, etc. Cette situation vient transformer profondément et durablement les modes de fonctionnement, la relation aux clients et, bien sûr, aux fournisseurs. A ce titre, comme toutes les autres fonctions, la fonction achat doit s'interroger sur son métier, et ce dans un environnement de plus en plus complexe. Voici quelques éléments de réflexion et de discussion.
Un rôle renforcé mais différent
En préambule, rappelons le rôle clé de l'acheteur qui est celui de pilote d'un processus achat performant avec pour objectif principal de trouver la meilleure solution achat en termes de qualité, coûts, délais, innovation et services principalement, et ce, quelle que soit la nature de l'activité de l'entreprise et des typologies d'achats confiées. Il doit également assurer une fonction capitale d'interface entre les clients internes et les marchés fournisseurs. Ce rôle de liaison renvoie inévitablement à sa capacité à créer des relations entre deux environnements, et donc, à des compétences relationnelles et aux savoirs comportementaux. Son positionnement sera concomitant avec le niveau de maturité de la fonction achat de l'entreprise, ainsi qu'avec le niveau de maturité de l'entreprise sur sa fonction achat. Ajoutons qu'avec la crise, la gestion des risques se trouve renforcée.
Un pilote du capital fournisseurs
Aujourd'hui, l'acheteur capte des informations et des innovations pour l'entreprise. Garant de la relation avec les fournisseurs, il organise le réseau des fournisseurs et anime les échanges avec eux. Il sera un acteur majeur de l'entreprise étendue, interagissant avec de nombreuses autres fonctions. Il est un chef d'équipe pluridisciplinaire fédérant autour de lui les énergies et les initiatives faisant appel à des ressources externes, sécurisant les approvisionnements par le management des risques. Il devient donc nécessaire pour l'acheteur d'étendre sa fibre entrepreneuriale pour identifier les fournisseurs susceptibles d'apporter un avantage concurrentiel, pour créer de nouveaux modèles économiques, pour caractériser les axes d'amélioration de son entreprise et le potentiel de croissance de ses fournisseurs.
De fait, il devra donc faire preuve d'une large palette de compétences techniques, interpersonnelles, intra- et extra-organisationnelles et stratégiques pour combiner et mobiliser l'ensemble de ses ressources. Ajoutons que ce dernier doit également développer des compétences collectives pour faire face aux exigences de coopération qui vont se développer dans les prochaines années.
Ces impératifs de collaboration s'expliquent par :
- Un fonctionnement basé sur des activités à réaliser en équipe dans un environnement multiculturel ;
- Des projets axés sur des approches transverses et matricielles ;
- La pratique de l' "open innovation" et du co-développement ;
- La croissance de l'impartition pour se concentrer sur les activités génératrices de valeur et de partenariats ;
- Le développement d'écosystèmes ouverts dans les "entreprises étendues".
En dehors des compétences de base du métier de l'acheteur, il doit renforcer ses compétences dans le marketing achat, la communication, la finance, le juridique, la gestion de projets et la conduite du changement.
L'acheteur, vecteur de performance mais pas seulement
La quête de performance pour les entreprises s'est accentuée avec la crise, la survie de certaines en dépend. Pour d'autres, elle permettra d'amortir la baisse de chiffre d'affaires. L'acheteur est donc naturellement un acteur de plans de performance. Il a pour mission de mettre en oeuvre les leviers achats indispensables à l'atteinte des objectifs de performance. Bien que la seule approche par la performance économique soit nécessaire, elle n'est plus suffisante. Il doit contribuer au management de la performance par la création de valeur (value base management) pour l'entreprise. Pour ce faire, il sera capable de transformer une idée, une observation en "réalité business" qui se traduira soit par un impact direct sur la structure de coûts du produit/service ou par la création de chiffre d'affaires additionnel. Pour cela, il devra tout d'abord bien connaître le fonctionnement de son entreprise et les attentes des clients finaux, un changement de paradigme...
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L'acheteur, créateur de valeur
Ses interactions avec les marchés fournisseurs nécessitent de nouvelles compétences interpersonnelles. Des compétences déjà existantes deviennent maintenant nécessaires à l'acheteur et de nouvelles s'imposent à lui : l'entrepreneuriat (fusions et acquisitions, capital investissement, "business developement", "business plan", "lean startup", "blue ocean"), le management transverse et multiculturel, la créativité ("idéation", "design thinking", "mind mapping"), le leadership, les savoirs comportementaux (l'intelligence émotionnelle, "le mentoring"), la conduite du changement et l'innovation ("open innovation", co-developpement). L'entrepreneuriat et la créativité sont des compétences qui se sont à la fois renforcées et développées sous l'impulsion de la digitalisation des entreprises. L'ensemble de ces compétences lui permettra d'être en mesure de relever les défis de la transformation digitale, de gagner en légitimité, d'apporter des sources de compétitivité, et de contribuer à créer des avantages concurrentiels avec pour objectif principal de créer de la valeur pour l'entreprise.
De nouveaux enjeux qui génèrent de nouveaux comportements
L'acheteur doit faire face à des changements de modèle dans sa relation aux "écosystèmes fournisseurs" et aux clients internes et externes. Le collaboratif est le maître mot du fonctionnement, les frontières liées aux marchés fournisseurs sont de plus en plus poreuses avec le développement des nouvelles technologies.
Il doit donc répondre à de nouveaux enjeux :
- Savoir se vendre vis-à-vis de ses fournisseurs et des clients internes ;
- Influencer son environnement via les marchés fournisseurs pour répondre aux besoins ;
- Prendre des risques pour capturer des opportunités de développement ;
- Construire des nouveaux modèles économiques avec des fournisseurs en devenir
(startups, PME innovantes) ;
- Capter le potentiel innovant des fournisseurs et le développer ;
- Apporter toutes solutions permettant d'optimiser le délai de mise sur le marché ;
- Piloter un réseau de fournisseurs dans le cadre d'un fonctionnement en entreprise étendue ;
- Générer de la performance en raisonnant en coûts complets et non plus uniquement sur le coût unique du produit ;
- Transformer l'entreprise dans son champ d'activité (diversification et relais de croissance) ;
- Intégrer l'achat responsable par la performance qu'il génère ;
- Penser un sourcing plus local pour développer des écosystèmes fournisseurs, des savoir-faire et réduire l'empreinte carbone tout en sécurisant les approvisionnements ;
- Devenir un intrapreneur aux services du chiffre d'affaires.
Tous ces nouveaux défis nécessitent de disposer d'une palette de compétences importantes pour générer de la valeur. Pour atteindre les objectifs de performance recherchés, l'acheteur devra prendre en compte quatre principaux critères d'efficacité et d'efficience : l'implication amont, la résistance au changement des clients internes, l'engagement du management, et enfin, la capacité à apporter et à mettre en valeur sa contribution à la compétitivité. Les acheteurs ont l'obligation de faire preuve de nombreuses compétences pour être capable de contribuer aux objectifs et à la compétitivité de l'entreprise. L'évolution des métiers de la fonction achat est synonyme de plus de complexité dans les missions et l'environnement de travail tant en interne qu'en externe.
En ce qui concerne les profils, il serait intéressant d'intégrer des profils externes à la fonction achat disposant d'une expertise métier dans les effectifs achats, en complément de profils d'acheteurs issus du domaine. Ces profils apporteront une réelle complémentarité et une autre culture "business". Il faudra incorporer ces profils dans une démarche de professionnalisation en l'adaptant à leurs besoins en termes de savoir, savoir-faire et savoir-être liés au métier d'acheteur, par le biais d'une phase d'inclusion spécifique et approfondie dans le cadre de la prise de fonction associée à` un "mentoring" renforcé. Par ailleurs, il serait intéressant et innovant de laisser l'opportunité aux acheteurs de réintégrer la firme après l'avoir quittée. Il reviendrait fort d'expériences différentes venant enrichir l'entreprise et apporter un autre prisme sur les stratégies et les modes de fonctionnement, une vraie richesse...
Pour conclure, l'acheteur devra donc être capable de se transformer en intrapreneur polymorphe y compris pendant la ou les crises pour contribuer à la continuité d'activité de l'entreprise et préparer "demain". Il aura besoin de repenser sa relation aux "écosystèmes fournisseurs", être capable de concourir à la transformation du modèle économique et sociétale de son entreprise, d'identifier le fournisseur ainsi que le produit / service qui apportera des réponses directes aux besoins des clients finaux, et de réaliser un sourcing inclusif intégrant si possible une réponse "locale", le tout avec un objectif de création de valeur.
Le métier est en mutation sous l'impulsion de nouveaux outils de la fonction achat 4.0. : la robotique (RPA), les places de marché (marketplace), les agents conversationnels (chatbot), les contrats intelligents "smart contact", les plateformes collaboratives fournisseurs, la blockchain, l'intelligence artificielle et l'exploitation de la donnée. Tout cela repose avant tout sur l'état d'esprit de l'acheteur qui sera déterminent dans sa façon d'adresser et de faire progresser son métier.
Même si l'évolution du métier n'en est qu'à ses débuts, il faut d'ores et déjà l'intégrer dans le quotidien, accompagner cette mutation, et préparer la sortie de crise...
Par Raphaël Belliere - Lottier (Docteur en Sciences de Gestion) directeur général adjoint en charge des achats, du digital et de l'innovation au sein de Meotec