Nouveau reporting extra-financier : Le virage que la fonction achats ne doit pas rater
Dès janvier 2022, en application de l'article 8 du règlement de taxonomie, les entreprises soumises à l'obligation de déclaration de performance extra-financière vont devoir produire un nouveau reporting environnemental précisant la part de leurs achats d'investissements et d'exploitation associés à des activités durables.
Je m'abonneL'Europe, à travers le Green Deal, ambitionne d'atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. La taxonomie en est le premier pilier. Elle fixe des règles de classification et d'information en vue de fournir à tous les acteurs économique une compréhension commune de ce qui doit être considéré comme une activité durable.
Nouvelles exigences
Dès janvier 2022, en application de l'article 8 du règlement de taxonomie, les entreprises soumises à l'obligation de déclaration de performance extra-financière vont devoir produire un nouveau reporting environnemental précisant la part de leurs achats d'investissements et d'exploitation associés à des activités durables.
Cette obligation s'applique aux entreprises de plus de 500 personnes (cotées ou non), mais avec la nouvelle Directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), ce sont les entreprises de plus de 250 personnes qui vont être concernées. Soit, plus de 50 000 entreprises européennes, qui, in fine, vont le cascader auprès de leurs fournisseurs.
L'enjeu est déterminant, car la durabilité des activités conditionnera le rating des agences de notation extra-financières et la capacité des entreprises à fidéliser leurs actionnaires, à lever des fonds. Ce nouveau reporting durable comporte deux axes :
1. La mesure des achats durables
2. Les plans d'actions en termes d'achats sur 5 ans pour maintenir ou rendre les activités durables(1)
Mesurer: aux achats de prendre le leadership
L'enjeu est de pouvoir préciser par activités si les dépenses engagées par l'entreprise (OPEX et CAPEX) contribuent substantiellement aux objectifs environnementaux de la taxonomie, en particulier à l'atténuation et à l'adaptation au changement climatique. La première priorité pour la fonction achats est de contribuer à ce reporting en étant capable d'apporter des données objectives par catégories d'achats.
Les acheteurs doivent se saisir du sujet :
Qui mieux qu'un acheteur au contact régulier de ses fournisseurs va, par exemple, pouvoir collecter leur bilan carbone et être capable de déterminer avec eux les émissions liés au produit ou service acheté ?
Et, dans le cas où le fournisseur n'est pas capable de donner ces informations, qui mieux qu'un acheteur connaît le cycle de vie de ce qu'il achète et peut aider à identifier les inducteurs des émissions de CO2 ou de la pollution d'une famille d'achats en fonction des types de matériaux, de la localisation des fournisseurs... ?
Au-delà de la fourniture d'informations quantitatives, les achats ont un rôle pédagogique clé pour expliquer les chiffres. Le narratif est déterminant. C'est à eux d'aider à la contextualisation, à la compréhension de la décomposition des indicateurs, aux choix effectués. Toutes ces précisions sont demandées dans le reporting.
La fonction finance s'empare du sujet actuellement, mais il est essentiel que la fonction achats s'impose, non seulement, dans l'estimation de la durabilité des achats, mais aussi soit force de proposition dans la trajectoire environnementale.
Lire la suite en page 2 de cet article: Mettre en place des plans d'actions durables : aux achats d'être force de proposition
(1) Une activité est durable ou alignée sur la taxonomie, si elle contribue substantiellement à un ou plusieurs des six objectifs environnementaux énoncés (1/atténuation du changement climatique, 2/ adaptation au changement climatique, 3/ protection des ressources aquatiques, 4/ transition vers une économie circulaire, 5/ prévention de la pollution et contrôle, 6/ protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes), sans nuire significativement à l'un des cinq autres objectifs, tout en respectant des garanties sociales et humaines minimales (déclaration de l'OIT, principes directeurs de l'OCDE et des Nations Unies).
Mettre en place des plans d'actions durables : aux achats d'être force de proposition
Ce nouveau reporting n'exige pas simplement d'appréhender le degré actuel de durabilité des dépenses de l'entreprise, il demande aux entreprises de s'engager dans une trajectoire durable. Ici le rôle des achats est crucial, car ils vont proposer des plans d'actions en termes de dépenses à engager pour transformer une activité "non durable" en activité durable. Cela concerne, en particulier, les dépenses de rénovations, d'entretiens, de maintenances, de R&D, les investissements...
Le rôle des achats est déterminant à la fois en interne et en externe.
En interne, la fonction achats doit être force de proposition pour arriver à faire évoluer les habitudes, à rassurer sur les peurs.
Dans les projets de rénovation des bâtiments, les approches habituelles consistent à utiliser des nouveaux matériaux. L'acheteur, parce qu'il est le mieux placé pour connaître les nouveaux marchés fournisseurs, peut influencer le cahier des charges vers l'utilisation des plateformes du réemploi.
Dans un plan de modernisation des installations énergétiques, obtenir une baisse significative des consommations signifie réaliser des investissements conséquents mais aussi s'engager dans la durée avec un fournisseur énergéticien. Parmi les craintes, se trouve systématiquement celle de la dépendance au fournisseur. Ici le rôle des achats est essentiel pour rassurer. Ils sont les garants de la sécurisation de la relation fournisseur dans la durée. Ils peuvent proposer des approches contractuelles innovantes de partages des gains, par exemple, ou de contrats de performance énergiques garanties pour inciter le fournisseur à toujours donner le meilleur de lui-même. Parmi les freins se trouvent aussi les niveaux d'investissements requis. La fonction achats doit à nouveau être force de proposition avec des contrats d'usage permettant de limiter les immobilisations. Il n'est alors facturé que l'utilisation du produit avec un niveau de services et de performances assortis.
Dans ces exemples, la fonction achats permet non seulement de s'inscrire dans une trajectoire bas carbone, favorable à la performance extra-financière de l'entreprise, mais aussi de contribuer à des économies favorables à la performance financière.
En externe, la fonction achats a un rôle déterminant auprès des fournisseurs.
Premièrement, par son ouverture sur le marché fournisseur, elle est la plus à même pour identifier les fournisseurs innovants qui pourront participer à des projets de co-développement avec l'entreprise pour décarbonner, restaurer la biodiversité ou encore limiter les consommations d'eau de ses activités.
Deuxièmement, s'agissant en particulier des émissions de CO2, celles provenant de la chaîne de valeur amont de l'entreprise sont les plus importantes. Elles sont en moyenne 11.4 fois plus importantes que ses émissions directes. Pour améliorer la durabilité de ses activités, il faut arrêter d'exiger de la part de ses fournisseurs de réduire leurs émissions. Si l'entreprise ne veut pas devenir répulsive sur son marché fournisseur, elle doit cesser de se positionner en contrôleur. Le rôle de la fonction achats est de conseiller, d'accompagner ses fournisseurs dans leur propre trajectoire durable.
En synthèse, ces nouvelles exigences de reporting durables doivent amener la fonction achats à un changement de fond dans son positionnement en interne mais aussi en externe. Elle devient un conseiller, un facilitateur de la transition de l'entreprise vers plus de durabilité. Nous sommes bien loin de l'ère du "cost killing". Si elle saisit ce virage, la fonction achats contribuera à faire d'une obligation durable, un élément de différenciation et d'avantage concurrentiel pour l'entreprise.
De la même façon que certaines entreprises changent leur nom à une étape clef de leur développement pour modifier leur image, il est temps que la fonction achats change de nom.