Billet d'humeur - La mort annoncée du grain de café
Si l'URSS s'est autrefois bâtie sur le mythe des ressources inépuisables, le principe inverse des ressources limitées peine encore à nous convaincre. Pourtant, et peut-être plus vite que l'on ne croît, nous serons forcés et contraints de revoir nos moeurs alimentaires. Petit voyage prospectif en 2050, en Espagne, avec l'exemple du café des Canaries.

Mes racines, j'y pense encore. L'Île de Grande Canarie. Presque trois siècles que mes ancêtres ont émigré. Une enfance et une adolescence oisives. Un paradis perdu car le point le plus septentrional que notre population n'ait jamais atteint. Pour les non-initiés, l'île de Grande Canarie était bosselée de quelques reliefs. À moins de 150 m d'altitude, entre les mangues, bananes, goyaves et oranges, mon foyer se situait au coeur des plantations qui s'accrochent sur les flancs escarpés de la vallée. Nos terres s'étendaient depuis la ville d'Agaete, jusqu'en direction du centre montagneux de l'île. Encore aujourd'hui, les températures particulièrement stables nous ont permis de pousser dans de bonnes conditions. Mais il nous fallait également beaucoup d'eau. De l'eau et surtout des systèmes d'irrigation pour ne pas manquer. De l'eau il en fallait toujours plus, pour travailler dans le tambour et garder le bon temps d'humidité malgré la torréfaction.
Confidentielle, notre production, à l'image des grands vins, faisait l'objet d'allocations. Cette production limitée nous permettait aussi de rayonner et ainsi de vivre non seulement d'eau fraîche mais également de l'amour des touristes pour nos aménités.
Notre rareté et notre proximité avec les autres pays, de ce qui était autrefois dénommé l'Union européenne, nous faisaient échapper aux règles du commerce classique du café qui reposait sur des contrats d'achat et de vente de grains de café, utilisés par les négociants, créant, à l'envi de la spéculation en raison de la forte volatilité des prix du marché. Ce faisant, nos acheteurs, les torréfacteurs ou les distributeurs, concluaient des contrats pour acheter des grains de café à une date ultérieure et à un prix prédéterminé.
Aujourd'hui, en 2050, les règles ont changé. Notre production a grandi pour devenir la principale source de revenus de l'archipel. Le tourisme a fait ses valises, trop consommateur en énergie couronné d'un trop-plein de chaleur pour les vacanciers.
Dans notre périple, les intermédiaires ont disparu. Les circuits de distribution classiques aussi. Notre producteur commerçait en direct avec nos potentiels acquéreurs sous la forme d'enchères régulières. Nos cousins d'Algérie, de Tunisie ou du Maroc ont dû également migrer plus au Nord. Nos lointains cousins d'Amérique Latine ont également embrassé le mouvement.
Il n'empêche qu'une poignée de clients des pays scandinaves, asiatiques ou du continent américain apprécient toujours notre goût peu acide mais riche. Notre faible rendement et notre rareté ont fait exploser notre coût. Le coût carbone aussi des transports nous oblige à voyager dans des bateaux à voile avec l'incertitude que cela engendre. Notre tenue avait également changé en raison de l'épuisement des hydrocarbures. Et nous nous vêtions d'amidon de maïs et de fibre de roseau pour éviter de sécher trop vite. De 80 euros le kilo en 2025, nous étions passés à 1 000 euros le kilo aujourd'hui en 2050. Nous étions un nouvel or noir. Un nouvel or noir également destiné à disparaître aux profits de cultures moins gourmandes en eau et surtout plus nourricières. Peut-être du fonio ou du sorgho... Qui sait.
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