Handicap et égalité professionnelle : les achats se montrent-ils collectivement plus inclusifs ?
Recourir au STPA "n'est pas seulement un sujet RSE, c'est surtout un enjeu business", commentait un partenaire des Trophées Femmes en EA et en ESAT. Ils travaillent ensemble: témoignages.
Je m'abonnePour la 7e édition des Trophées Femmes en EA & en ESAT, organisés par Réseau H (anciennement Handiréseau) ce ne sont pas moins de 72 travailleuses en situation de handicap ou encadrant le secteur du handicap qui avaient été présentées par un client du milieu ordinaire classique. Très variés, leurs profils illustraient presque à eux seuls la diversité des compétences qui cohabitent au sein des secteurs adaptés et protégés. L'une des participantes, Anne Commont, 49 ans, s'était vue couronnée d'un trophée, "avec émotion et fierté". C'est à l'âge de 14 ans qu'elle a découvert le métier de soudeuse à l'IMPRO de Sèvres. À 20 ans, elle intégrait l'entreprise adaptée Tech'Air et rejoignait les rangs de la société Air Liquide pour souder des micropièces sur des respirateurs d'air. Aujourd'hui, "je suis la seule à pouvoir souder à l'étain un fil plus fin qu'un cheveu sur des capteurs selon la norme ISO 13485", se réjouissait-elle. Avec une productibilité enviable puisqu'elle peut réaliser jusqu'à 600 pièces par jour, servant à la mesure du souffle d'air du patient. On comprend le rôle qu'elle a endossé, d'autant plus durant l'épidémie de Covid-19. "Au démarrage de la crise sanitaire, j'ai formé deux salariés pour qu'ils puissent m'épauler en salle blanche", explique Anne Commont. Ce type de collaboration pérenne est loin d'être un cas à part. "Valoriser les achats inclusifs, c'est choisir un partenariat responsable qui s'inscrit dans la durée", confirmait Fyntha Parant, responsable diversité et égalité des chances chez Elior France, lors d'un atelier organisé en mars dernier, durant les Trophées.
Élargissement des prestations
Faire progresser, chaque année, le chiffre d'affaires confié à l'insertion de personnes en situation de handicap, dans une collaboration durable et de proximité, figure parmi les intentions du groupe Assystem.
"Même si nous ne disposons pas d'un service achat centralisé, nous essayons d'intégrer au maximum le secteur protégé à nos activités grâce à l'impulsion donnée par notre accord Handicap. Ce recours au secteur du handicap intervient notamment pour l'impression et le routage des courriers adressés mensuellement aux collaborateurs, l'entretien des espaces verts des agences ou la livraison de plateaux-repas", relatait Hugo Carmes, chargé de mission Handicap chez Assystem lors d'un atelier des Trophées Femmes en EA & et ESAT. Mais la collaboration va bien au-delà : depuis janvier 2021, Assystem s'appuie sur VigiScope, l'outil de télégestion des visites médicales développé par Amploi.
Cette entreprise adaptée a été retenue par la responsable Formation Santé-Sécurité-Habilitation Charlène Gardien, suite à la passation d'un appel d'offres, écartant trois concurrentes du secteur ordinaire classique. "Amploi s'est démarqué par sa réactivité, la compréhension de ses process, ses compétences et ses tarifs. VigiScope nous donne de la visibilité, permettant de consulter à tout moment le nombre de salariés ayant eu leur visite médicale, ceux qui sont en attente de programmation ou ceux pour lesquels la visite a dû être reportée", détaille Philippine Chevallier, responsable de la mission Handicap d'Assystem.
L'entreprise envisage également de confier la gestion du recyclage de son parc informatique au secteur protégé. Et réfléchit à la possibilité de détacher des travailleurs en EA dans le cadre de la réalisation de certains marchés auprès de ses clients, via le dispositif du CDD Tremplin, notamment. C'est à cette fin qu'elle répondît dernièrement à un appel d'offres, "sourçant deux profils de modélisateurs évoluant en EA", avertit Philippine Chevallier. Cette volonté d'élargir le champ des compétences ouvertes aux EA ou aux ESAT est largement partagée par le groupe Elior, signataire de la charte de la diversité depuis 2005.
Pour rappel, le restaurateur collabore avec l'ESAT Les Ateliers Jemmapes, depuis 7 ans. Grâce à la co-activité, 2 500 repas sont ainsi confectionnés au quotidien, avec le concours de 40 travailleurs en situation de handicap mis à disposition.
"Cela donne du sens aux équipes et crée une ambiance de travail singulière et enrichissante", commentait Fyntha Parant. En 2017, c'est sur l'agence de communication adaptée et innovante Bbird que misait Elior France pour sensibiliser, de manière ludique et pratique, ses collaborateurs au handicap et à la diversité.
Informer, sensibiliser
Au moyen d'un casque de réalité virtuelle, ils avaient pu se glisser momentanément dans la peau d'un collègue en situation de handicap afin de mieux appréhender leur vécu. "On pense rarement à une entreprise adaptée pour la communication, craignant que le rythme et la charge de travail imposés ne soient pas compatibles. En réalité, cela l'est pleinement, dès lors que la participation est transparente. Surtout, les réalisations clients sont généralement concrètes et adaptées puisqu'elles émanent d'un public averti aux particularités du handicap", ajoutait Emmanuelle Burel, fondatrice de l'agence BBird.
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Ce premier essai a été largement renouvelé depuis puisque BBird a notamment conçu pour Elior France un escape game ou encore un jeu de piste autour du handicap. "En 2020,nous avons co-construit une campagne de sensibilisation vidéo. Nous voulions diffuser des messages qui correspondent pleinement à nos métiers, en présentant des collaborateurs engagés au quotidien dans l'inclusion des travailleurs en situation de handicap", mentionnait Fyntha Parant. Ce partenariat vertueux participe en partie à la sensibilisation des salariés, un élément déterminant pour déconstruire les idées reçues et démultiplier les actions en faveur de l'inclusion en dehors des missions Handicap.
C'est dans ce même esprit que l'entreprise Assystem sensibilise chaque année l'ensemble de ses collaborateurs aux enjeux de l'inclusion ; avec des zooms sur des thématiques relatives au handicap menés auprès de services ciblés par exemple. "Nous voulions leur démontrer qu'avec le secteur protégé, cela peut être aussi simple qu'avec n'importe quel autre prestataire ; le but étant que chacun d'eux prenne le réflexe d'y recourir lors de ses achats à venir. Ce n'est pas seulement un sujet RSE, c'est surtout un enjeu business", précise Philippine Chevallier. Vraisemblablement et plus largement, la résilience semble être en marche du côté des prescripteurs d'après Xavier Deweer, directeur de centre de services chez SCC France : "On sent un vrai virage depuis un an". La pondération allouée à la RSE dans les appels d'offres le confirme. "En progression, elle peut atteindre 20 à 30?% de la note globale, constate Philippine Chevallier. C'est un levier nécessaire qui reste toutefois insuffisant pour instituer un changement sur le long terme ?"
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Témoignage - La sensibilisation se doit d'être innovante
Malo Lopez a reçu le Trophée Femme d'action en ESAT, "une récompense largement méritée, qui reconnait et valorise son professionnalisme et son engagement sans faille. J'espère que ce trophée lui donnera davantage de visibilité et d'ouvertures", selon Martial DeVilliers, souscripteur chez Axa. L'homme sait de quoi il parle puisqu'il accomplissait en 2019 son mécénat de compétences, soutenu par Axa Atout Coeur, au sein de l'ESAT Hélène Rivet où elle occupe à présent le poste de responsable artistique.
Depuis 2013, Malo Lopez s'évertue à modifier le regard porté sur le handicap en entreprise, en usant habilement du théâtre comme arme de sensibilisation. Pour ce faire, elle a monté la troupe Insolite fabriq, réunissant 10 comédiens en situation de handicap, avec lesquels elle co-écrit les pièces. "Je voulais que le théâtre devienne un métier pour des personnes en situation de handicap, non plus qu'un loisir. Un jeune homme de la compagnie a depuis rejoint le monde du travail ordinaire, ayant appris à collaborer en équipe et ayant retrouvé confiance en ses capacités", explique Malo Lopez. Avant la Covid-19, la troupe se déplaçait très régulièrement dans les grandes entreprises de part et d'autre de la métropole, distillant des messages percutants "avec poésie et humour".
Chez Axa France, une dizaine de collaborateurs avait même participé à l'écriture de saynètes, jouant durant deux représentations au côté des comédiens d'Insolite Fabriq. "Cette animation s'est révélée triplement bénéfique, grâce notamment aux échanges entre les collaborateurs et les comédiens. Nous espérons la renouveler prochainement pour réduire les appréhensions", commente Martial Devilliers. Axa s'appuie également sur Kialatok pour gommer les préjugés en interne. A raison de plusieurs dizaines de journées par an, "nous invitons les collaborateurs à préparer un repas et à le déguster tout en les plaçant en situation de handicap", informe Clément Lescat, secrétaire général d'Axa Atout Coeur.
Témoignage- Ascension fulgurante
Lorsqu'elle est arrivée sur le territoire français en 2014, Mélissa Oliveira ne parlait pas un mot de notre langue. Elle a d'abord fait ses armes en tant que chauffeur routier et hôtesse de caisse. Avant d'être embauchée par Recyclea en septembre 2019. D'abord assistante opérationnelle en intérim chez SCC France, elle a rapidement grimpé les échelons jusqu'à se hisser, à seulement 26 ans, au poste de référente technique. Depuis, elle assiste à distance un compte client du groupe SCC France et assure la formation de son équipe, avec une prononciation quasi parfaite. "En moins d'un an, Mélissa a appris un métier dans une activité d'assistance informatique utilisateur. Elle est garante du bon déroulement des procédures et gère une équipe de neuf collaborateurs", met en avant Xavier Deweer, directeur centre de services chez SCC France.
Le 11 mars dernier, la jeune femme se voyait remettre un trophée saluant une évolution qu'elle considère "valorisante humainement et professionnellement". Fière de cette reconnaissance et de son parcours, Mélissa Oliveira ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. "D'ici 3 ans, j'ambitionne d'évoluer sur un poste de superviseur, à savoir encadrer une vingtaine de salariés", prévoit-elle. Du côté de SCC, cela paraît loin d'être inenvisageable. "Mélissa est un modèle de résilience, grâce à ses capacités d'adaptation, sa soif d'apprendre intarissable et son positivisme. Son handicap n'est pas un frein à sa réussite, presque un atout puisqu'elle veut prouver son engagement par un très fort niveau d'investissement", commente Xavier Deweer. Sur le même temps, SCC France entrevoit d'embaucher 180 recrues supplémentaires au sein de Recyclea sur des fonctions support, du procurement, du cloud et de l'intégration technique.