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Mettre en avant les achats comme vecteur de compétitivité

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Mettre en avant les achats comme vecteur de compétitivité

Innover, tester et déployer. Tel semble être le crédo d'Éric Bouret, CPO de Bouygues Construction depuis 2017, pour qui les achats sont l'un des principaux fers de lance de la RSE et de l'avenir du secteur.

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Quelle est aujourd'hui la politique à l'oeuvre ?

Nous avons une politique achat qui a pris un nouvel élan en 2023 avec l'arrivée d'un nouveau PDG qui a souhaité mettre en avant les achats comme vecteur de compétitivité. Après la période de la Covid-19 et la sortie de cette forte période d'inflation, Nous avons développé un plan de performance achat avec trois grands axes, un axe bien évidemment lié à la compétitivité pour renforcer la rentabilité de l'entreprise avec les achats contributeurs d'une meilleure rentabilité de l'entreprise ; un deuxième axe autour du renforcement de l'expertise et la structuration de la fonction avec le renforcement du category management, déjà ancré en France mais qui nécessitait de passer à l'échelle au niveau mondial ; et puis un dernier volet autour de ce que nous avons appelé l'efficacité transactionnelle qui passe notamment par la rationalisation du nombre de fournisseurs et sous-traitants. Nous travaillons chaque année avec 40 000 tiers externes. Quand nous arrivons dans un nouveau pays, cela génère la mise en place de process à mettre en place... c'est normal. Cela génère inéluctablement des coûts administratifs. L'effort est donc double avec d'une part optimiser ses coûts et d'autre part, recentrer nos volumes vers davantage de contrats-cadres.

Quelle relation entretenez-vous avec votre PDG ?

Le dialogue est constant. Par exemple, il y a 15 jours (l'interview a eu lieu à la mi-mars, NDLR.), nous avions avec notre PDG une discussion autour des prochaines grandes négociations, les grands contrats-cadres qui arrivent à échéance. Mon PDG se proposait de rencontrer ensemble certains de nos fournisseurs.

Et côté stratégie ?

Le point le plus le plus prégnant depuis plusieurs années, c'est l'orientation achats responsables. Quand j'ai pris mes fonctions en 2017, ça a été tout de suite un angle que j'ai souhaité mettre en avant. Nous avons recruté une personne en charge des achats responsables qui a travaillé initialement sur une relation responsable et durable avec nos fournisseurs et sous-traitants. Dès 2019, nous avons engagé une stratégie de décarbonation alignée avec la politique climat du groupe Bouygues. Les achats sont au coeur de la décarbonation de l'entreprise. Et les acheteurs sont en conséquence, à la fois formés et à l'écoute du marché, et particulier des fournisseurs pour tester les solutions bas carbone et les déployer à plus grande échelle quand elles se révèlent pertinentes.

Pas simple de parler de décarbonation dans la construction, cela signifie quoi justement la durabilité des achats ?

Concrètement, le béton est notre première famille d'achats. Avec nos principaux fournisseurs de ciment et de béton, Nous avons identifié les solutions décarbonées qui existent sur le marché. On les teste en primeur, on les déploie. Le secteur de la construction permet de tester rapidement une nouvelle solution à l'échelle. Cette particularité du secteur nous permet également d'aller plus loin en collaborant sur des programmes de recherche et développement avec ces grands industriels parfois mondiaux, notamment les cimentiers.

Votre sourcing évolue rapidement avec ces nouveaux critères ?

On travaille aussi avec des fournisseurs qui émergent, des start-up qui proposent de nouveaux types de ciment ultra-décarbonés. Nous faisons également évoluer notre sourcing pour réduire le bilan de notre scope 3. Exemples avec les armatures en acier pour armer le béton. Une cartographie monde des usines a été établie. Cette dernière recense les fabricants historiques qui produisent de l'armature produite dans de hauts fourneaux, mais progressivement, nos flux s'orientent vers des usines qui utilisent de l'acier recyclé, produit avec, des fours électriques, de fait moins énergivores que les hauts fourneaux.

Autre exemple de produit décarboné avec le bois de construction qui est aussi devenu un levier important de notre stratégie de décarbonation. Sur ce matériau, l'ambition à 2030 est d'utiliser le bois dans 30 % de nos bâtiments avec de la construction bois. Dans ce cas de figure, un acheteur est spécifiquement dédié à cette catégorie, et contribue activement à la sécurisation de nos contrats.

Comment procédez-vous pour sourcer l'innovation au niveau mondial ?

Avoir des acheteurs au plus proche de nos chantiers bien évidemment dans les 21 pays où on est présent est un premier prérequis. Des acheteurs sont également positionnés en Europe, en Turquie, en Chine, aux États-Unis... Ces équipes de sourcing sont au plus près des usines et échangent avec les fournisseurs sur leurs innovations. Toute la force du groupe sur l'innovation repose sur la possibilité de tester les innovations sur les chantiers. Des équipes d'ingénierie, R & D nous accompagnent. Côté fournisseurs, les industriels ont bien conscience qu'ils peuvent proposer leurs solutions. Un vrai atout en termes d'attractivité.

La compétition est-elle aussi un levier pour faire avancer la filière ?

Les échanges sont de plus en plus riches avec nos confrères mais néanmoins concurrents pour avoir une approche décarbonée de l'industrie de la construction. Rappelons que selon l'Ademe, le secteur du bâtiment et de la construction représente en France, 25 % de l'impact carbone. Et d'un point de vue mondial, tous les trois ans, le secteur émet autant de CO2 que l'ensemble des autres activités sur la planète en une seule année.

En tant que leader sur notre marché, nous avons le devoir de tirer notre industrie vers le haut, d'être pionnier en termes de décarbonation, et en tant qu'acheteur nous avons la responsabilité de la concrétiser via la décarbonation de notre scope 3.

Quelle est votre approche avec vos 40 000 fournisseurs ?

Nous avons identifié 501 fournisseurs majeurs mondiaux avec qui Nous avons engagé fin 2022 un programme (pouvez-vous en repréciser le nom baptisé Committed Supply Chain ?). Nous avons lancé ce programme lors d'une convention fournisseurs et sous-traitants que nous avons organisé ici en novembre 2022 sur notre siège de Guyancourt. Depuis 2023, nous sommes en train de construire un plan d'action à échéance 2027. L'objectif est de suivre le progrès de nos fournisseurs et sous-traitants en termes de décarbonation. À horizon 2026, l'objectif est également

Pour suivre leur progrès en termes de décarbonation d'une part d'autres enjeux, RE selon leur selon leur activité. Nous nous sommes pour ambition que tous nos partenaires soient évalués par Ecovadis. Et à l'horizon 2026, 60 d'entre eux, a minima, doivent avoir obtenu une certification argent.

Et côté data, comment cela fonctionne ?

Cette notion de traçabilité et de données est stratégique. Tout le monde doit parler finalement, le même langage. Chez Bouygues Construction, nous avons décidé d'être objectivés par rapport aux exigences SBTi. Pour rappel, il s'agit d'une méthodologie alignée et cohérente avec les recommandations faites par le GIEC. La démarche de la SBTi, entièrement fondée sur des analyses scientifiques et des recommandations d'éminents spécialistes, vise à répondre aux ambitions de la COP21 via l'engagement et la sensibilisation des entreprises. Outre l'ambition d'atteindre l'objectif Net Zéro, se conformer aux SBTi, nous pousse à aligner le reporting carbone et de réconcilier les chiffres des fournisseurs et sous-traitants.

Côté RSE, il y aurait un fossé entre la France et le reste du monde. Comment harmoniser et convaincre ?

Oui, de prime abord, il y a un écart, il y a un écart assez important selon les zones du monde. Mais progressivement, grâce à l'ADN du secteur de la construction, ces grandes orientations sont très vite adoptées par nos équipes partout dans le monde. Prenons l'exemple de l'Asie où nous démarrons de nouveaux chantiers à Hong Kong où le béton bas carbone et d'acier recyclé sont au coeur des projets dès leur démarrage.

Du chemin reste encore à parcourir ?

Industriels, grands groupes ou encore les PME, sont de plus en plus acculturés à cette notion de facteur d'émission carbone et. Et nous progressons. Le métier d'acheteur, quant à lui, s'est profondément complexifié. Les arbitrages portent simultanément sur la sécurisation de la performance et sur la RSE. L'enjeu numéro un demeure la compétitivité. Mais de nouvelles composantes et facteurs doivent être intégrés avec agilité. D'où l'importance de renforcer le category management et de renforcer l'expertise des acheteurs.

Face à la complexité, au nombre de sujets croissants notamment ceux de la compliance et le climat d'incertitude, comment arbitrer ?

Tout est presque devenu régalien. Cette réflexion pour mieux décider, nous l'avons initiée fin 2023 avec la direction RSE de l'entreprise et la direction juridique. Nous sommes est en train d'affiner comment faire le ROI pour les acheteurs qui sont au coeur de ce dispositif.

Et justement l'acheteur dans tout cela ?

L'acheteur est face à un marché très mouvant, avec des disruptions, avec des inflations puis des déflations. Donc il doit plus que jamais faire preuve d'intelligence économique. Il est, il doit être aussi en mesure de proposer aux opérationnels des solutions issues de réemploi, des solutions issues de matériaux biosourcés. Nos 530 acheteurs, c'est une force pour partager les bonnes pratiques. Nous renforçons également leur expertise grâce à des formations produits, des formations achats responsables mais aussi des formations à la négociation. À titre d'exemple, nous avons créé à l'international une formation « purchasing fondamentals » qui est dédiée aux profils juniors ou qui ont rejoint récemment l'entreprise pour les acculturer au métier de l'achat, et en particulier un métier d'achat dans la construction.

Rencontrez-vous des difficultés pour recruter certains profils ?

Le secteur du BTP est un secteur peu attractif de prime abord. Aujourd'hui, la donne change. Un étudiant qui arrive chez nous en stage ou en alternance se rend compte rapidement de la diversité des métiers et des projets. Les diplômés comprennent également qu'ils débutent dans un métier qui construit des ouvrages qui resteront dans le temps. L'acculturation au monde de la construction se fait rapidement et permet de donner tout de suite du relief et des perspectives aux collaborateurs. Des parcours et une politique de mobilité offrent de nombreuses opportunités dans le parcours de collaborateur. J'ai en tête un jeune collaborateur qui est parti plusieurs années en Australie pour accompagner une équipe sur une réponse d'appel d'offres. Il revient en France dans quelques semaines, je lui souhaite de repartir, peut-être sur un sur un grand projet à l'international dans le futur, Nous avons aussi des profils très internationaux qui ont travaillé au Moyen-Orient, qui sont maintenant en Asie et qui demain seront en France.

Comment définiriez-vous votre sens du management ?

Je suis quelqu'un qui fait confiance et qui est prêt à confier des responsabilités. Le fait que nos chantiers soient partout dans le monde rend nos équipes opérationnelles de toute façon très, très autonomes dans leur manière de fonctionner et donc un acheteur qui se retrouve à la tête des achats d'une opération à tout de suite une grande responsabilité sur les épaules. L'acheteur est très vite confronté à de vrais sujets opérationnels, à des préconisations, à des recommandations.

Avec mes équipes, nous avons à la fois une approche de gouvernance globale tout en confiant des responsabilités très vite aux acheteurs, tout comme l'entreprise confie des responsabilités très vite au chef de chantier, au conducteur de travaux. La culture managériale de l'entreprise repose sur le principe de subsidiarité.

Si vous rencontrez un jeune acheteur, lors de son premier jour chez vous, quel conseil lui donner ?

Reste curieux. Reste à l'écoute. Comprends comment fonctionne une opération, comment fonctionne un chantier ! Nous avons la chance d'être dans un métier où tout n'est pas écrit dans le marbré. Il y a des opportunités pour proposer des solutions innovantes et durables.

Si on devait revenir sur un des projets où vous étiez aux manettes ?

Deux exemples me viennent à l'esprit. Un premier qui remonte à une quinzaine d'années. J'étais dans une filiale en France ou nous avons réalisé de grands projets hospitaliers, de grands projets publics. En parallèle, nous démarrions le chantier de l'EPR de Flamanville. Le deuxième exemple se situe au moment de mon arrivée à Hong Kong en 2013 pour construire l'organisation Asie Pacifique. J'ai eu la chance d'arriver à Hong Kong à un moment où on démarrait plusieurs chantiers de plusieurs milliards d'euros. un milliard d'euros, mais aussi des chantiers d'infrastructures, de tunnels, de ponts. Je pense notamment au pont Zhuhaï de Macao (le pont le plus long du monde avec 55 km d'autoroute, NDLR). Des chantiers monumentaux mais avec l'humain au coeur des sujets et des équipes travaux multiculturelles très investies. Nous avons eu la chance de construire des ouvrages qui perdureront et sur lesquels j'ai pu apporter une expertise achat avec mes équipes.

Quels sont les prochains défis achats dans l'industrie de la construction ?

Tout d'abord, nous avons une trajectoire 2030 très ambitieuse et il s'agit de tirer notre industrie vers le haut pour la décarboner. Ensuite, il faut continuer à transformer notre entreprise et notre industrie vers davantage de digitalisations, de modernisation et d'industrialisation. Le troisième enjeu concerne l'attractivité de notre métier, de l'industrie de la construction.

Dans votre quotidien, quels sont les sujets qui vous mobilisent le plus ?

Difficiles de faire une journée type mais si on doit résumer sur un mois type, nous avons la tête dans le guidon sur les basiques du métier. Mon quotidien revient en grande partie à être à l'écoute, à l'écoute des opérationnels pour leur proposer les solutions, à l'écoute des équipes pour que les organisations achats soient plus performantes, à l'écoute du marché, rencontrer des fournisseurs et échanger. Ce qui me mobilise le plus c'est le dialogue avec les équipes et aller à la rencontre des collaborateurs, comprendre quels sont leurs points de souffrance en termes de process et de contraintes métiers pour ensuite orienter nos axes de progrès dans la bonne direction.

Vers quelle direction se dirigent vos projets de transformation ?

Nous avons un grand chantier qui doit s'ouvrir autour du SRM et notamment sur le comment nous digitalisons mieux la gestion de notre relation fournisseurs et sous-traitants.

Biographie

Éric Bouret est diplômé de Grenoble École de Management. Il est également titulaire d'un MBA de Southern Illinois University. Il commence sa carrière aux achats dans le groupe Bouygues en 1998 chez GFC Construction à Lyon. En 2003, il rejoint Norpac (Lille) comme responsable des Achats, puis prend en charge les achats de Quille Construction à Rouen en 2006. Il est ensuite nommé directeur adjoint Achats en 2011, en charge de Bouygues Entreprises France Europe zone sud. En 2013, il rejoint Hong Kong pour structurer les achats des filiales locales (Dragages Hong Kong, BYME HK, VSL-Intrafor HK), avant d'étendre ses responsabilités achats sur la zone Asie Pacifique pour l'ensemble des métiers de Bouygues Construction en 2015. Depuis septembre 2017, Éric Bouret est directeur des Achats de Bouygues Construction.

 
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