Acheter mieux pour durer, quels défis pour les entreprises aujourd'hui ?
Le 13 novembre 2024 au Business Centre Trocadéro, Paris - une journée de conférences organisée par Décisions Achats Connect a réuni experts et professionnels pour débattre des évolutions des fonctions achats et finance dans un monde marqué par les crises climatiques et géopolitiques.
Je m'abonneValérie Raoul-Desprez, Directrice Groupe Finance & Achats Durables chez Dassault Systèmes et Vice Présidente de l'association DFCG, et Emmanuel Millard, Président ICFOA Secrétaire général Groupe ENDRIX, ont partagé leurs expertises sur le rôle des achats dans la transformation durable des entreprises. Un constat est partagé par les deux intervenants : la durabilité, loin d'être une contrainte, devient un moteur d'innovation et un levier stratégique pour répondre aux défis climatiques et économiques.
Achats et finance durable exigent une réorganisation au sein des grandes entreprises
"Les achats ne sont plus seulement une question de coûts ; ils redéfinissent notre modèle économique", affirme la Directrice Finance et Achats durables chez Dassault. Avec son expertise en finance et achats, Valérie Raoul-Desprez a pris l'initiative de structurer une fonction de finance durable au sein de son groupe. Mais, le déploiement des plans de transition, notamment en réponse à la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) reste un enjeu critique pour les entreprises modernes. La directive impose aux entreprises de détailler l'impact environnemental de toute leur chaîne de valeur, incluant celle de leurs fournisseurs. Ce cadre réglementaire transforme les achats en un levier stratégique pour la durabilité.
Emmanuel Millard, lui, partage ses préoccupations concernant la mise en oeuvre de la CSRD, qui oblige les entreprises à étudier l'impact de toute leur chaîne de valeur, y compris celle de leurs fournisseurs : " L'adoption de telles pratiques reflète un changement de paradigme. " Or, cette nouvelle approche fait émerger des défis, notamment pour les petites et moyennes entreprises qui peinent à se conformer à ces exigences. Il insiste sur l'importance d'une gestion rigoureuse de la chaîne d'approvisionnement et du rôle central des achats dans ce processus.
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Valérie Raoul-Desprez abonde en expliquant que la transformation d'un modèle d'affaires n'est pas nécessairement synonyme de perte économique. Des actions simples, comme l'optimisation des températures dans les data centers ou la prolongation de la durée de vie des équipements, peuvent avoir un double impact : économique et durable. Elle met également en avant l'importance du rôle de l'acheteur, qui ne se contente pas de négocier les prix, mais remet en question le besoin même d'acheter, tout en encourageant une approche plus circulaire des achats ou intégrant des critères ESG dans la décision d'achat.
Collaborer avec les fournisseurs pour accélérer la transition
Cette transition, bien que coûteuse à court terme, offre des gains. Investir dans des produits plus durables et des relations responsables peut stabiliser les équations économiques sur le long terme. Toutefois, le rapport de force reste souvent déséquilibré, les grandes entreprises imposant parfois des réductions de marges à leurs fournisseurs. Dans ce contexte, les décisions doivent prendre en compte trésorerie, transparence, et respect des engagements. " On ne peut pas faire de la trésorerie sur le dos des fournisseurs, " rappelle avec conviction Valérie Raoul-Desprez, appelant à des relations plus équitables.
Pour inciter les fournisseurs à intégrer l'évolution des pratiques durables, certaines entreprises adoptent des approches contractuelles. Cela peut inclure des clauses d'engagement environnemental, des pénalités en cas de non-conformité ou encore l'ajout d'indicateurs de performance liés à la durabilité. Un exemple concret de ces initiatives réside dans l'instauration d'un prix interne carbone, un outil clé selon Valérie Raoul-Desprez. Cette méthodologie attribue un coût fictif aux émissions de CO2 des produits achetés pour orienter les décisions d'achat. : "Ce travail collectif permet à chaque acteur de la chaîne de dégager des marges et de trouver des solutions gagnantes, " explique-t-elle.
L'atteinte des objectifs climatiques repose aussi sur une mobilisation forte des partenaires externes. La Directrice Finances et Achats durables du groupe Dassault met en avant un engagement ambitieux : "Nous visons à ce que 50 % des émissions de nos fournisseurs soient couvertes par des objectifs validés SBTI d'ici 2025. Nous espérons dépasser les 40 %. fin 2024."
Entre tensions géopolitiques et ambition européenne
Cependant, ce virage durable se heurte aux réalités géopolitiques. Emmanuel Millard se montre peu optimiste : "Le futur président des États-Unis annonce déjà son retrait des instances internationales, y compris la COP." Ces choix protectionnistes risquent de ralentir les progrès face aux interdépendances économiques entre l'Europe, les États-Unis et la Chine qui restent fortes. Néanmoins, une opportunité monte à l'horizon : "L'Europe, si elle agit collectivement, peut rivaliser avec les États-Unis en termes de poids économique et devenir un leader climatique." ajoute le Président ICFOA.
En parallèle, les tensions économiques imposent de trouver un équilibre entre durabilité et rentabilité. Valérie Raoul-Desprez est persuadée : "Réduire notre empreinte carbone, c'est aussi être plus efficient. Nos fournisseurs peuvent, par exemple, réduire leurs coûts grâce à des actions simples comme l'allongement de la durée de vie des équipements." Enfin, c'est une transformation qui exige toutefois une coopération sans précédent entre les métiers, les entreprises et leurs partenaires et une volonté forte du top management.
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