Arnaud de Lamezan (Lagardère): "Nous avons un rôle de chef d'orchestre de la stratégie achats"
Compte tenu de la diversité des métiers du groupe, la direction des achats et de l'immobilier de Lagardère, pilotée par Arnaud de Lamezan, élabore sa stratégie de façon très participative, tout en laissant une grande autonomie aux responsables des branches d'activités.
Je m'abonne> Quel est le profil de votre direction des achats et de l'immobilier?
Cette direction a été créée en 2002 afin de fédérer, sans se substituer à eux, les nombreux acheteurs et responsables achats du groupe, qui gèrent entre 3 et 4 milliards d'euros par an pour nos quatre branches d'activités: Lagardère Publishing (édition et distribution de livres), Lagardère Active (presse, radio, TV et Internet), Lagardère Travel Retail (duty free, alimentaire, vente de biens culturels sur les lieux de transport) et Lagardère Sports & Entertainment en charge de la commercialisation de droits sportifs, de conseil en sponsoring sportif, ainsi que de gestion d'enceintes sportives et de salles de spectacles.
Nous laissons une grande autonomie aux métiers, car les personnes en charge des achats directs sont en général très compétentes sur leurs familles respectives. C'est pourquoi, au lieu d'avoir une réflexion classique top-down, la philosophie du groupe est de miser sur des approches bottom-up pour faire remonter les besoins et faire émerger les solutions du terrain.
Cela se traduit donc par une équipe achats et immobilier centrale très réduite (quatre personnes) pour ainsi laisser des responsabilités plus étendues aux acheteurs et aux lead buyers décentralisés, basés sur le terrain.
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C'est à eux que reviennent en bonne partie les lauriers des opérations de groupe réussies, car avec une telle diversité de métiers, le succès des démarches transversales ne peut être que collégial.
> Quelles sont, dans ce contexte très décentralisé, les missions de votre direction?
D'abord, nous aidons les différentes entités achats à réduire les coûts de leurs achats communs en fédérant les sociétés du groupe, en massifiant les volumes et en réduisant le nombre de fournisseurs sur toutes les catégories et les étendues géographiques possibles. Il existe donc des contrats Lagardère actifs sur une multitude de catégories. Sur les achats directs, compte tenu de la diversité des métiers, les synergies potentielles sont plus rares. Nous avons néanmoins réussi à créer des synergies importantes sur l'achat de papier notamment, famille stratégique pour nos activités publishing et presse.
Notre mission consiste également à renforcer l'efficacité des acheteurs, à organiser avec eux la cohérence de leurs approches et rendre celles-ci conformes aux orientations et aux valeurs du groupe en particulier en termes d'achats responsables, de compliance, de maîtrise des risques, etc. Nous avons donc un rôle de supervision et de chef d'orchestre de la stratégie achats pour nous assurer que nous avons bien mis les bons moyens et les bonnes méthodes en place pour un travail efficace.
Groupe Lagardère
Activités: Édition, production, diffusion et distribution de contenus
CA 2015: 7,2 Md€
- Lagardère Publishing: 2,2 Md€
- Lagardère Travel Retail: 3,5 Md€
- Lagardère Active: 962 M€
- Lagardère Sports & entertainment: 515 M€
Effectifs salariés dans le monde: 25 784 (au 31 décembre 2015)
Budget achats: 4 Md€
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> Pourquoi avoir réuni les achats et l'immobilier au sein d'une même direction?
Cela permet, d'une part, de gérer sans heurt ni discontinuité les nombreux sujets communs touchant, par exemple, aux services généraux et, d'autre part, d'aborder avec un regard plus critique et des mesures appropriées les nombreuses mauvaises pratiques liées aux métiers de l'immobilier comme l'existence de conflits d'intérêts, d'honoraires souvent élevés pour des performances discutables...
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> Quelle est votre stratégie en termes de relation fournisseurs?
Au-delà des principes généraux énoncés dans la politique d'achats de Lagardère, cette stratégie évolue en fonction de nos activités. Afin de mieux connaître nos principaux partenaires et les faire grandir, nous envisageons d'organiser des événements de type conventions fournisseurs. Nous le faisons déjà au niveau de la branche Travel Retail. Nous pourrions le faire pour les fournisseurs principaux, stratégiques et ceux que nous souhaitons faire évoluer.
> Quels sont vos principaux risques et comment les gérez-vous?
Nous avions une démarche traditionnelle d'évitement des risques comme, par exemple, privilégier les fournisseurs importants car moins risqués. Depuis quelques années, nous avons une direction des risques bien identifiée, qui élabore une cartographie de nos principaux risques, mise à jour deux fois par an, et sur laquelle nous devons préciser notre niveau de maîtrise et les actions mises en oeuvre.
Un exemple: le monde des imprimeurs s'est considérablement réduit, ces dernières années. Au niveau de la branche Lagardère Publishing, nous les accompagnons en veillant aussi à ne pas nous retrouver en situation de dépendance, risque important pour nous.
Le domaine des achats sur lequel nous travaillons le plus aujourd'hui et qui couvre une grande partie de nos risques est celui des achats responsables. Il y a trois ans, à la suite d'un audit de notre positionnement en termes d'achats responsables par rapport à d'autres grandes entreprises, nous avons été notés sur les sept critères de l'Obsar (Observatoire des achats responsables). Cet audit nous a permis d'uniformiser nos approches fournisseurs via, notamment, l'élaboration d'outils communs (par exemple, les RFI).
En parallèle, nous avons créé une Charte achats responsables, que nos fournisseurs ont signée. Nous avons accéléré cette démarche en nouant un accord avec la plateforme de notation RSE EcoVadis pour les gros achats et/ou les achats à risques.
En termes de délais de paiement, au-delà des aspects réglementaires, nous avons eu une réflexion poussée sur le financement de la supply chain en collaboration avec la direction financière. L'idée étant de savoir si nous rentrions, ou non, dans un système de reverse factoring. Nous ne l'avons finalement pas fait, la principale raison étant que ce système devient nettement moins intéressant lorsque les taux d'intérêt sont bas.
Les sept critères de la politique achats responsables du groupe
- L'utilisation étendue d'une méthodologie d'achats.
- La sélection responsable des meilleurs fournisseurs en termes de réduction des coûts, d'innovation, de contribution à la croissance et de maîtrise des risques.
- La mise à disposition par le groupe, pour toutes ses entités, des avantages liés à sa puissance d'achats.
- La mutualisation des moyens mis en oeuvre plutôt que leur multiplication.
- Le développement des réseaux internes et la circulation des meilleures pratiques d'achats et de consommation.
- La prise en compte des nécessités locales selon les métiers et les sociétés du groupe.
- Le respect des réglementations et lois applicables, ainsi que des règles de déontologie, en particulier vis-à-vis des fournisseurs.
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> Comment collaborez-vous avec les autres directions du groupe?
Les collaborations les plus fortes sont avec la direction du développement durable que nous rencontrons presque quotidiennement, soit sur les achats, soit sur l'immobilier. Nous collaborons aussi beaucoup avec la DSI, très active dans les achats de hard et de soft, la direction des risques et, bien sûr, la direction financière.
> Quels sont les principaux objectifs de votre direction?
Nous voulons poursuivre et intensifier notre démarche en faveur du développement des achats responsables via notre travail avec EcoVadis. Et faire entrer nos fournisseurs dans cette démarche n'est pas toujours facile, au départ; nous devons donc bien les accompagner. Cela va d'ailleurs dans le sens de la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordres, qui se profile. Cette loi est une opportunité pour nous afin d'améliorer encore nos pratiques.
"Notre marché fournisseurs pourrait être aussi un marché clients. Nous sommes au début de cette démarche à fort potentiel."
Les achats doivent accompagner également le développement des branches du groupe, comme Travel Retail, axe stratégique important pour le groupe, suite notamment au rachat de Paradies (boutiques duty free sur 80 aéroports aux États-Unis). Nous avons pour cela une excellente collaboration avec le directeur achats de la branche, qui nous a rejoints il y a deux ans, venant de la grande distribution. Son arrivée a considérablement boosté les achats de cette branche.
Un autre chantier que je souhaite faire grandir s'intitule "Harvest vendor potential". Il part du postulat que nos fournisseurs pourraient être intéressés par ce que nous vendons en B to B, cela sans pression, en organisant des rencontres avec leurs chargés de sponsoring ou de marketing et nos vendeurs en B to B. L'idée est donc d'ouvrir le marché fournisseurs aux personnes du groupe qui vendent nos produits B to B. Dans le domaine du sport, par exemple, nous vendons des prestations de marketing sportif ou de l'événementiel. Notre marché fournisseurs pourrait donc être aussi un marché clients. Nous sommes au début de cette démarche à fort potentiel.
> Quel profil d'acheteur recherchez-vous et comment devrait évoluer la fonction, selon vous?
Nous devons aller chercher des profils hybrides qui proviennent d'autres secteurs, car ils apportent une bouffée d'air frais et un renouveau souvent salutaire. Concernant la fonction et compte tenu de notre organisation très décentralisée, où les achats sont souvent effectués par des opérationnels, l'idée n'est pas de vouloir repeindre tout le monde en acheteur mais que l'on se donne les moyens pour que chaque personne amenée à effectuer des achats le fasse avec efficacité et dans les règles définies.
Biographie
Avant de rejoindre Lagardère, Arnaud de Lamezan a oeuvré dans les domaines des achats et de la logistique au sein de groupes internationaux de la grande consommation (Procter & Gamble, Unilever, Reckitt-Benckiser, Bestfoods) puis de la restauration collective avec Sodexo. Auparavant, il était directeur des achats Europe chez Unilever, animant les achats des ingrédients alimentaires pour la trentaine d'usines en Europe.
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