Séverine Fletcher-Colombel, directrice des achats de la Compagnie des Alpes: "Nous devons passer en mode agile"
Spécialisé, au départ, dans l'exploitation de domaines skiables, la Compagnie des Alpes s'est diversifiée en 2002 avec l'exploitation de parc de loisirs. Séverine Fletcher-Colombel, directrice des achats du groupe depuis 2011, a créé et développé cette fonction, qu'elle professionnalise aujourd'hui.
Je m'abonneLa Compagnie des Alpes, leader européen de l'univers des loisirs, exploite 11 domaines skiables (parmi lesquels Val d'Isère, Tignes, Les Arcs, La Plagne, Les Menuires, Méribel, Les 2 Alpes...) et 13 parcs de loisirs (Parc Astérix, Futuroscope, Grévin, Walibi...). Entre autres enjeux, telle la fin de la mise en place du système d'information, sa directrice achats, Séverine Fletcher-Colombel, doit continuer à "vendre " en interne la fonction achats et développer le réflexe achats chez tous les collaborateurs du groupe, mais aussi mettre en place les outils qui permettront de rendre visibles les résultats de la fonction.
Quelle stratégie achats avez-vous déployée quand vous êtes arrivée en 2011 ?
La décision de créer une direction des achats pour le groupe a été prise en 2009, suite à un audit réalisé par le cabinet Crop&Co. J'ai été recrutée en 2011 pour créer et développer la fonction achats, fonction qui est aujourd'hui rattachée à la direction financière. Notre direction couvre l'ensemble du périmètre achats à l'exception des familles " restauration " et "retail " qui sont rattachées à la direction opérationnelle des destinations de loisirs.
Les achats sont aujourd'hui organisés par métier, avec un acheteur en charge de la partie destinations de loisir et un autre dédié aux domaines skiables. Une troisième personne s'occupe de l'administration de nos bases de données.
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Le gros chantier qui nous occupe actuellement est le déploiement de notre nouveau système d'information orienté à la fois finance (avec Talentia) et achats (avec Kimoce). À travers ce nouvel outil, nous mettons en place une base fournisseurs et une base articles communes avec une tarification qui sera ensuite appliquée sur l'ensemble de nos sites. C'est un projet essentiel pour la direction des achats car il nous permettra de suivre et d'analyser en temps réel l'ensemble de nos familles d'achats, notre dépendance économique ou encore la RSE chez nos fournisseurs. Nous mettrons également en place, pour nos entités opérationnelles, un reporting d'activité achats mensuel. L'implémentation de ce nouveau système d'information doit être achevée fin 2017.
Titulaire d'une maîtrise en commerce international et d'un executive MBA à l'Essec, Séverine Fletcher-Colombel a exercé durant une dizaine d'années des fonctions opérationnelles achats et supply chain au sein de groupes comme Air Liquide ou Suez. Elle rejoint ensuite Idex pour renforcer la direction des achats groupe et monter la politique achats opérationnels. Elle prendra ensuite la direction opérationnelle d'un groupe familial de sous-traitance aéronautique. En 2011, elle rejoint le groupe Compagnie des Alpes pour créer la direction des achats groupe et mettre en place la politique achats déclinaison de la stratégie globale du groupe.
Le groupe Compagnie des Alpes s'est créé par croissance externe ; notre mode de fonctionnement s'apparentait donc à celui d'une fédération de PME avec, entre autres, des problématiques assez classiques de récupération d'information. C'est la raison pour laquelle, en 2013, et sous l'impulsion de notre direction générale, nous avons décidé de mettre en place un système d'information global pour l'ensemble de nos sites, pour passer à un fonctionnement groupe, tout en restant agiles.
Quelles sont vos familles d'achats stratégiques ?
Notre première famille d'achats est l'énergie. Nous avons donc mené un important travail d'optimisation de cette famille dès 2011. Nous nous sommes également penchés sur la famille " engins de damage " , à la fois sur l'achat des machines (dameuses) - environ vingt par an - et sur la partie maintenance. Notre objectif : standardiser le besoin pour l'achat de ces machines, en étroite collaboration avec les équipes techniques et opérationnelles. Cela nous a permis de donner de la visibilité aux fournisseurs et de réaliser des économies de l'ordre de 12 %.
Sur la famille d'achats " remontés mécaniques " - nous exploitons neuf stations via des délégations de service public - le marché est très restreint, nous travaillons avec cinq fournisseurs. La valeur ajoutée des achats se trouve donc au niveau du cahier des charges et de l'analyse TCO car rappelons qu'une remontée mécanique s'exploite pendant 20-25 ans.
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Nous travaillons aujourd'hui avec environ 10 000 fournisseurs, ce qui est important. Nous irons donc vers une réduction de ce panel. Certaines familles, qui entrent notamment dans la catégorie maintenance ou consommables, peuvent être optimisées.
Pour fluidifier et faciliter la gestion de la famille d'achats " voyages et déplacements " , nous avons mis en place des cartes affaires. Nous ne travaillons pas simplement sur le coût d'achat et le TCO mais aussi beaucoup sur le changement des habitudes et la transformation.
Autre chantier en cours : le déploiement de la billetterie dans les destinations de loisirs. Comme notre cible est à la fois B to C et B to B, nous sommes très impactés par la digitalisation, surtout sur la partie B to B.
La Compagnie des Alpes
Activité : groupe européen de loisirs
CA 2016 : 720,2 M€ (+4.4 % vs 2015)
Effectif Groupe : 4 668 (ETP)
Budget achats : 391,7 M€
Effectif achats : 15 personnes
(dont 11 en fonctionnel)
Parvenez-vous à mutualiser certains achats sur l'ensemble de vos sites ?
Oui et notamment les prestations de contrôles techniques de nos attractions, très importants avant la réouverture des parcs, pendant la saison et à la fermeture. De même sur la partie maintenance des trains des attractions, les opérations annuelles sont mutualisées sur l'ensemble de nos parcs via des contrats pluriannuels. Les achats de vêtements de nos opérateurs ont également été mutualisés ainsi que les achats techniques récurrents (poulies, courroies, etc.) ou encore les services généraux comme la reprographie.
Zoom
Les neuf stations de ski gérées par le groupe en délégation de service public :
- La Plagne
- Les Arcs
- Les deux Alpes
- Serre Chevalier
- -Grand Massif (Sixt, Samoens, Flaine, Morillon)
- Les Ménuires
- Méribel
- Val d'Isère
- Tignes
Les 13 parcs de loisirs et musées :
- -France : Parc Astérix, Le Futuroscope, Musée Grévin, France Miniature
- -Belgique : Walibi Belgique, Aqualibi, Bellewaerde
- Hollande : Walibi Hollande
- Allemagne : Fort Fun
- Suisse : Chaplin's world
- Corée du Sud : Grévin
- Canada Grévin
- République tchèque : Grévin
Quelle relation entretenez-vous avec vos fournisseurs ?
Nous mettons en place de nombreux partenariats, notamment techniques, avec nos fournisseurs stratégiques ainsi que des démarches de codéveloppement sur un certain nombre de familles d'achats. Nous travaillons aussi beaucoup avec des start-up. À nous aujourd'hui d'adapter notre processus de prise de décision à cet écosystème composé de structures très agiles et réactives.
Quelle est votre maturité en termes de gestion du risque fournisseurs ?
Nous avons une direction dédiée au risk management (risques et assurances) depuis six ans qui est, elle aussi, rattachée à la direction financière. Nous travaillons en étroite collaboration avec les directions juridique et financière et suivons de près la situation financière de nos fournisseurs.
Quels sont les chantiers prioritaires pour les achats en 2017 ?
En premier lieu, la fin de la mise en place de notre système d'information avec la conduite du changement et les formations qui les accompagnent. Continuer ensuite à " vendre " en interne la fonction achats et développer le réflexe achats chez tous les collaborateurs du groupe et enfin, mettre en place les outils qui permettront de rendre visibles les résultats de la fonction.
Notre direction des achats sera donc mature quand nous aurons consolidé la partie approvisionnement pour développer la partie stratégie achats et mettre le cap sur d'autres chantiers achats : RSE, resserrement du panel fournisseurs ou encore suivi qualitatif de nos fournisseurs.
Doit-il y avoir, selon vous, une vie avant les achats ?
Un directeur achats doit avoir une vision globale de l'entreprise. Pour cela, avoir occupé par le passé d'autres fonctions, dans d'autres secteurs d'activité et taille d'entreprises est un vrai plus, selon moi, pour appréhender cette fonction. Une direction des achats ne doit pas vivre seule dans son coin mais bien répondre aux objectifs globaux de la stratégie de l'entreprise.
Encouragez-vous vos acheteurs à aller sur le terrain ?
Oui, se déplacer sur sites est primordial compte tenu de nos activités. J'encourage également les acheteurs à se rendre sur des salons pour faire du sourcing, surtout lorsque l'on envisage de développer de nouvelles activités et donc de manier de nouvelles familles d'achats. Cela nécessite de notre part une ouverture d'esprit pour être capable d'envisager les solutions qui pourraient être déployées demain dans nos parcs de loisirs et domaines skiables. Par ailleurs, cela permet de challenger très positivement notre besoin. Je me déplace pour ma part au moins une fois par semaine sur les différents sites, chez des fournisseurs ou sur des événements.
Je suis membre également de l'Association des responsables et directeurs achats (Adra) et du club Planète Sourcing, ce qui me permet de benchmarker les bonnes pratiques achats et de m'alimenter pour ensuite mieux vendre les projets achats en interne.
Nous communiquons sur nos actions en interne via un intranet et nous faisons des commissions achats toutes les six semaines où nous réunissons tous nos acheteurs. Enfin, nous avons un comité achats avec notre directrice générale déléguée, nos directeurs opérationnels et notre directeur financier, ce qui nous permet d'avoir une certaine visibilité.
Quels sont vos engagements en termes d'achats responsables ?
Nous sommes très attentifs à la dimension responsable de nos achats. Le troisième volet de notre politique achats groupe est d'ailleurs consacré au développement durable et achat responsable. Tout acteur achats du groupe doit ainsi, tant en interne que vis-à-vis des fournisseurs, être intraitable vis-à-vis d'un fournisseur qui ne respecterait pas les droits fondamentaux reconnus au plan international.
Nous sommes soucieux également de l'impact environnemental de nos achats. Le groupe a mis en place, par exemple, un observatoire de la faune et de la flore sur les différents domaines skiables, permettant ainsi de mesurer son impact sur l'environnement.
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