La négociation authentique, source d'une collaboration bénéfique, équilibrée et durable
Les approches de la négociation ont évolué et donnent une place de plus en plus importante à la personne et à la relation afin de rétablir un équilibre avec l'information et la logique.
Je m'abonneLa négociation authentique consiste à définir une fondation (le cadre) et à construire ses deux appuis (la relation et le sens) pour lancer un mouvement, la construction d'une collaboration bénéfique, équilibrée et durable.
Définir le cadre
Il faut dans un premier temps, établir un espace sécurisé, aplanir le terrain et construire une solide fondation. Cela permet de libérer la parole et d'installer la négociation. Cette mise au clair du processus constitue en elle-même un premier accord.
1. Le déroulement de la négociation, la possibilité de pauses et la durée sont discutés.
* QUOI : Partage des positions et des demandes des différents interlocuteurs
* POURQUOI : Partage des intérêts, des besoins et des ressentis
* ET SI : Invention de possibles options d'accord (création de valeur)
* VOILÀ : Évaluation et sélection de la meilleure option d'accord (répartition de valeur)
* COMMENT : Formalisation de l'accord et définition du plan d'action
2. Un rappel sur quelques règles de courtoisie et de respect (pas d'interruption, un temps de parole équilibré, une confidentialité si demandée, pas de techniques malveillantes)
3. Un rappel sur quelques règles de fonctionnement qui facilitent l'échange et permettent d'instaurer une bonne relation de travail. Par exemple, il est préférable d'avoir une parole personnelle ("Je" et non "Tu"). Il est également préférable de partager une observation, un ressenti ou une croyance personnelle plutôt que d'asséner à l'autre une vérité, un jugement ou une accusation.
Etablir la relation
Il faut ensuite créer un lien et assoir une relation. Les deux partenaires structurent l'édifice, construisent les murs porteurs, créent les ouvertures et les voies de passage qui permettent la rencontre et l'échange.
1. Le négociateur est transparent, vrai et direct. Il n'a pas d'agenda caché et ne joue pas de rôles. Il exprime rapidement et clairement ses demandes. Il ne perd pas de temps et se concentre sur l'autre pour bien comprendre sa réalité, ses intérêts et ses ressenties. Il écoute, reformule et questionne.
2. Il est connecté à l'autre et construit une bonne relation de travail. Il n'hésite pas à investir prudemment dans la relation, à prendre un risque mesuré, à faire le premier pas et à progresser pas à pas. Le principe de réciprocité engage souvent l'autre à embrayer le pas
3. Il communique en s'appuyant sur son regard ouvert et avenant, qui se connecte aux autres regards. Chacun se sent inclus, considéré et relié à lui. Ce regard indique une capacité à créer du lien et à se mettre en relation (écoute, échange et empathie), un solide appui horizontal.
Une gestion de personne et de relation
La négociation authentique est une question de personnes et de relations tout autant qu'une question d'informations et de logique. Si l'on n'aime pas l'autre, on ne le croit pas et on ne lui fait pas confiance, on ne lui achètera probablement rien...même si ces produits sont les meilleurs. Les principaux atouts du négociateur authentique sont du savoir-être (intentions) tout autant que du savoir-faire (méthodes).
C'est ainsi que les approches de la négociation ont évolué et donnent une place de plus en plus importante à la personne et à la relation afin de rétablir un équilibre avec l'information et la logique. L'approche de la négociation raisonnée (positions, intérêts, et normes) de Roger Fisher et William Ury (Getting to Yes) nous a donné des fondamentaux rationnels et utiles. Sur le plan relationnel, ils observent qu'il est important de distinguer et de séparer la personne (ce qu'elle est) du problème (ce qu'elle fait ou dit) afin de préserver la relation. Cette approche s'est enrichie d'approches centrées sur la personne (émotions, préoccupation, et perceptions).
Stuart Diamond dans son ouvrage Getting More considère que le négociateur doit établir une connexion humaine, saisir toute la réalité de la personne et comprendre son terrain émotionnel. Réciproquement, le négociateur doit aussi être au clair avec sa propre réalité et ses émotions, et en permettre l'accès ou s'autoriser à la partager. Cela est ni simple, ni aisé et requiert un travail sur soi.
Gérer les émotions
Dans une négociation, l'incertitude sur l'accord final, le sentiment d'un danger ou le risque de ne pas être à la hauteur, etc. génèrent une certaine anxiété et d'autres émotions négatives et difficiles à assumer.
Lire aussi : "Nos priorités incluent l'intégration systématique des critères ESG dans toutes nos décisions"
* Certains gèrent ces émotions en les anesthésiant volontairement et énergiquement. Ils finissent par ne plus rien ressentir et ne plus pouvoir se connecter à l'autre.
* D'autres gèrent ces émotions en s'enfermant dans leur bulle cérébrale, en préparant en détail leur script, leurs rôles, leurs tactiques, leurs contremesures pour tenter de se rassurer, de tout contrôler et de supprimer le risque d'échec. Ils récitent leurs vérités, manquent d'écoute et n'arrivent pas à s'adapter. Il n'y a pas de connexions ni de dialogues mais deux monologues.
* Finalement, les derniers gèrent ces émotions par un rapport de force car la négociation dit des choses à leur propos, leur renvoie des images d'eux-mêmes qu'ils ne peuvent assumer car contraires à ce qu'ils souhaitent être. Ils rendent l'autre responsable de leurs combats intérieurs. Ils sont en danger et un conflit s'installe. Brené Brown dans son ouvrage Daring Greatly propose que les personnes osent être authentiques, être pleinement elle même avec leurs vulnérabilités, qu'elles prennent le risque d'accueillir et d'exprimer leurs émotions. Alors elles seront capables de se connecter et d'entrer en relation.
Etre attentif à sa manière d'être
Plus les enjeux et la pression sont élevés, plus la négociation est irrationnelle et chargée d'émotions, et plus les personnes sont sensibles à la manière d'être et à la qualité de la relation. Selon l'Institut Arbinger, la manière d'être, dont le fruit est le comportement, est à la source de notre influence. Elle peut être comprise comme le regard ou la considération que l'on porterait à l'autre. Elle a deux facettes : connectée ou résistante.
* Si le négociateur voit l'autre comme une personne (avec ses besoins, ses émotions, et ses angoisses), il est alors en lien et connecté à elle, et en capacité de l'influencer. Connecté, il est le siège d'intuitions et d'idées ajustées et opportunes qu'il sera à même de proposer pour co-construire une collaboration bénéfique et durable.
* Si le négociateur voit l'autre comme un objet (un moyen pour réaliser ses objectifs, un obstacle à éliminer ou un élément inutile qu'il ignore), il l'instrumentalise. En résistance, il n'a plus accès à ses intuitions, il pense que l'autre est le problème, il pense qu'il a raison, et il trouve l'autre critiquable. Il perd toute capacité d'influence et il entraîne l'autre dans le conflit.
Donner du sens
Une fois la relation établit, il s'agit de donner à la future collaboration une raison d'être forte et partagée, et de rechercher avec exigence l'accord qui soit le plus satisfaisant pour tous. Les partenaires couvrent l'édifice et lui donnent sa fonction...
* Le négociateur stimule la créativité et engage le groupe à imaginer tous les possibles accords qui maximiseraient les gains de chacun tout en donnant du sens à la collaboration naissante. Ils créent ensemble de la valeur et du sens (un plus gros gâteau).
* Une fois que tous les possibles accords ont été déposés sur la table, vient le temps de la décision et de la répartition. Chacun sélectionne, argumente et tente de capter un maximum de valeur (une belle part de gâteau) jusqu'à ce qu'une option mutuellement satisfaisante soit choisie.
* Il communique en s'appuyant sur son dos bien tenu et droit qui lui permet d'assumer son rôle, ses demandes et ses intérêts. Une bonne tenue dorsale indique une solidité, une capacité à exister (raison d'être, exigence, autonomie), un solide appui vertical.
Lors d'une négociation, ces appuis permettent de garder l'équilibre et de se mettre en mouvement. Ils permettent aussi d'assumer les dilemmes auxquels sont confrontés les négociateurs. D'un point de vue rationnel, le négociateur doit à la fois créer de la valeur et en capter une part importante. D'un point de vue relationnel, il doit à la fois, être bienveillant (dans la relation) et exigeant (sur le fond). La négociation authentique s'inspire des nombreux travaux récents sur la négociation, la médiation et l'art oratoire.
Ces deux piliers sont les garants d'un partenariat pérenne. Demandons-nous si nous connaissons le sens et maîtrisons la relation des collaborations-clés que nous avons construites...Il serait peut-être intéressant de les revisiter à l'aune de cette approche.
Elle rééquilibre et articule mieux les informations et la logique avec les personnes et la relation. La négociation authentique permet de découvrir et d'imprimer un sens fort et partagé à la collaboration au-delà du contrat. Elle permet aussi d'établir et d'assurer une bonne et solide relation de travail, une vraie entente au-delà des échanges.
Les écueils à éviter
Le but d'une négociation est de co-construire avec l'autre une collaboration équilibrée, bénéfique pour tous et durable. Une négociation réussie se juge sur la qualité et la durée de la collaboration qui en résulte.
Une négociation réussie débouchant sur un bon partenariat est une source vitale de compétitivité tout autant que l'innovation technologique. Pour y parvenir, mieux vaut éviter les écueils suivants :
* Combien de gisements de gains laissons-nous sur la table de négociation ? Certains négociateurs cloisonnent la discussion à la seule variable du coût et court-circuitent la phase inventive qui permet de créer de la valeur en découvrant des options maximisant les gains pour tous.
* Combien de négociations se dégradent et finissent en conflit ? Les recherches d'alternatives et les mesures de pression, les contrats trop complexes et jamais finalisés, la multiplicité des litiges et des réunions d'explications, la mise en place d'actions de représailles, etc. représentent des investissements défensifs conséquents qui ne créent aucune valeur.
* Si un négociateur arrive à la table de négociation en pensant qu'il y aura une guerre, il s'y prépare. Il y aura alors sûrement une guerre. Notre manière d'être a un impact direct sur la négociation. L'utilisation de la force coûte cher, n'est pas stable, ne produit que d'éventuels effets à court terme et surtout provoque des résistances et des représailles. Les victoires ne rendent pas nécessairement le vainqueur gagnant. Les stratégies de sourcing tendent à réduire le nombre de fournisseurs, à privilégier le partenariat et le long terme, et à partager les risques et les investissements. La priorité est donnée à la collaboration mais sa mise en pratique pose parfois des difficultés. Plusieurs grands groupes français ont défini une Charte de relations inter-entreprises. Son but est "de souligner les exigences d'une relation équilibrée, authentique et durable entre l'entreprise et ses fournisseurs". En cas de différends, des médiateurs internes sont désignés pour les résoudre à l'amiable.
Et si guerre il y a, la médiation vient au secours des négociations qui patinent et se dégradent, des collaborations qui déraillent et s'enlisent. La médiation est une approche structurée qui s'intéresse à la relation et aux difficultés à s'entendre. Elle rétablit une communication défaillante au travers de techniques d'écoute, de reformulation et de questionnement. Elle amène les parties enfermées dans leurs monologues à s'écouter et se comprendre. Le médiateur invite les personnes à trouver elles mêmes des solutions créatives conformes à leurs intérêts. Il n'a aucun pouvoir, mais offre simplement un lieu, une procédure, un savoir-faire et une manière d'être qui favorisent le dialogue et rétablissent la communication avec les personnes.
Philippe Maestrati, 47 ans, ex-SVP Achats et Supply Chain de CGG, quinze ans à des postes de direction des achats et de la Supply Chain (Schlumberger, Flextronics) et sept ans dans le management des opérations chez Schlumberger.