Fin des tarifs réglementés dans l'électricité : êtes-vous prêts?

L'échéance approche à grands pas. La fin des tarifs réglementés dans le domaine de l'électricité va obliger les gros consommateurs (pour les sites supérieurs à 36 kVa) à repenser leurs contrats de fournitures et de services avant le 31 décembre 2015 (pour les tarifs jaunes et verts). Grâce à la loi Nome qui permet l'ouverture du marché de l'électricité aux fournisseurs alternatifs et autres que EDF, désormais les entreprises n'ont que l'embarras du choix.

"Tout le monde n'aura pas choisi son fournisseur en 2016", s'alarme Marc Benayoun, directeur du marché entreprises et professionnels chez EDF qui prévoit 250 000 sites en offre transitoire au 1er janvier 2016 à l'occasion du Congrès Gazelec organisé en octobre dernier à Paris."Il y a un vrai risque d'embouteillage en fin d'année". Chez Engie, la directrice business line énergies entreprises et collectivités, Nathalie Verriele, se montre moins optimiste avec une prévision de 400 000 sites."En 2014, pour le gaz, 47% des sites n'avaient pas modifié leur fournisseur à la date d'échéance prévue".

"Tout le monde n'aura pas choisi son fournisseur en 2016. Il y a un vrai risque d'embouteillage"

L'effet d'aubaine des prix actuels

Cependant de nombreux groupes ont déjà anticipé la fin des tarifs réglementés comme le Crédit Agricole : "nous n'avons pas encore quitté le tarif mais nous avons lancé un appel d'offres pour négocier les conditions après les tarifs réglementés", explique Isabelle Royal, responsable du pôle achats " immobilier achats généraux et sécurité " au sein de la banque. Le Crédit Agricole a conservé son fournisseur EDF mais a "négocié les conditions économiques des changements tarifaires". Le contrat est d'une durée de 3 ans avec la possibilité de négocier "si le prix du marché baisse par rapport à celui négocié le jour de l'offre". Un contrat de 3 ans pour "jouer la sécurité en prix fixes" et ainsi "pouvoir investir".

Il en est de même pour le syndicat intercommunal d'énergies du département de la Loire (SIEL). Ce syndicat qui négocie les marchés d'électricité et de gaz pour les collectivités adhérentes a fait le choix du fournisseur Gaz Electricite de Grenoble (GEG) le 24 septembre dernier. 245 structures ont adhéré au groupement d'achat. La commande concerne 7 299 points de livraison pour une consommation annuelle d'environ 98 GigaWattheures. Un prix fixe sur trois ans a été négocié pour les cinq lots du marché. La facture globale annuelle de 14 310 000 € réglée par le SIEL, sera refacturée à chaque membre au groupement d'achat au prorata de sa consommation réelle. Selon les prévisions, le rabais moyen du contrat est d'environ 11% par rapport au tarif réglementé (entre 2,75 et 19,98% selon les contrats des collectivités).

Tous soulignent "un effet d'aubaine" qui risque de ne pas durer. En effet, les prix affichés sont favorables aux acheteurs mais le marché risque de les rattraper. "Les gains actuels et les économies engrangées risquent d'être grignotées", prévient Isabelle Royal, responsable du pôle achats " immobilier achats généraux et sécurité " du Crédit Agricole.

L'inconnu du marché de capacité

Beaucoup d'incertitudes persistent sur le marché d'électricité et notamment sur le sujet du marché de capacité. La loi Nome met en place un dispositif d'obligation de capacité appelé marché de capacité. L'article 6 de la loi prévoit que le "fournisseur d'électricité contribue, en fonction des caractéristiques de consommation de ses clients, en puissance et en énergie, sur le territoire métropolitain continental, à la sécurité d'approvisionnement en électricité". Chaque année, les fournisseurs d'électricité se verront attribuer une obligation de capacité, en vertu de laquelle ils devront garantir qu'ils sont en mesure de répondre à la consommation effective de leurs clients. Ces certificats seront délivrés notamment par RTE (Réseau de Transport d'Electricité). Un coût qui sera répercuté sur la facture des clients.

"La fin des tarifs réglementés est prévue depuis près de 5 ans. Or, le coût du marché de capacité est encore inconnu! Pourquoi nous demande-t-on de revoir nos achats d'électricité alors que nous n'avons pas toutes les informations?", s'interroge Marie-José Makareinis, directrice générale des services du SIEL, qui en appelle à la responsabilité de la commission de la régulation de l'énergie (CRE) et du gouvernement.

Pour le fournisseur Enovos, "les achats doivent être acteurs et comprendre l'impact du marché de capacité dans leurs factures", explique Arnaud Blauwart, responsable commercial France au sein du groupe, "on ne subit pas le marché de capacité, ce n'est pas une taxe!" Pour Nathalie Verriele, directrice business line énergies entreprises et collectivités chez Engie, "le marché de capacité a ses vertus. Et le fournisseur est à même d'anticiper ces coûts".

Outre le fait de revoir son panel fournisseurs, la fin des tarifs réglementés a aussi pour conséquence de permettre aux entreprises de repenser leur consommation d'électricité et de faire de l'optimisation tarifaire. Certaines entreprises peuvent alors s'apercevoir qu'elles sont "mal turpées *", soit avoir une facture qui ne corresponde pas à leur consommation réelle.

Des clients "mal turpés"

"Comment les clients peuvent-ils souscrire une fausse puissance?", s'interroge Marc Benayoun, directeur du marché entreprises et professionnels chez EDF,"Les besoins évoluent certes mais c'est au client d'adapter son contrat". N'en déplaise à EDF, c'est un fait, de nombreux clients ont une mauvaise définition de leur périmètre de consommation. Ainsi, le SIEL : "beaucoup de nos adhérents ont des tarifs qui ne correspondent pas à leur consommation. Nous allons donc recenser les 7000 points de livraison et les répartir par lot pour analyser l'ensemble des tarifs", illustre Marie-José Makareinis, directrice générale des services du syndicat intercommunal d'énergies du département de la Loire.

Optimiser requiert d'avoir des interlocuteurs aptes sur le sujet en interne. Ce qui n'est pas le cas de tout le monde."L'optimisation des contrats est perçu comme un sujet complexe et administratif. Et non forcément traité par les achats", détaille Isabelle Royal, responsable du pôle achats " immobilier achats généraux et sécurité " au Crédit Agricole. De son côté, le le syndicat intercommunal d'énergies du département de la Loire (SIEL) dispose d'une équipe de 10 experts dans le domaine de l'énergie pour l'ensemble des collectivités.

"Il existe un vrai conflit d'intérêt avec des énergéticiens qui veulent aider à baisser la consommation d'énergie de leurs clients. C'est un peu comme si Marlboro aider les fumeurs à arrêter de fumer!"

L'efficacité énergétique : le conflit d'intérêt des prestataires?

Cependant, concernant l'efficacité énergétique, les fournisseurs se bousculent au portillon pour proposer leurs conseils. Un sujet diversement traité. Chez Bonduelle, "un binôme achats/R&D travaille dessus depuis plus de 10 ans", rapporte Constantin Riniotis, responsable du pôle achats à la direction des achats de Bonduelle. Pour Mareva Edel, directrice commerciale chez E.ON France, "certains clients attendent des fournisseurs proactifs sur le sujet de l'efficacité énergétique tandis que d'autres, à l'exemple de Bonduelle, traitent cela en interne". Justement, ce rôle de conseil des fournisseurs irritePauline Mispoulet, présidente directrice générale du Gesec (groupement économique sanitaire électricité), un réseau national de 350 PME locales spécialisées dans les travaux et la maintenance technique de vos bâtiments et auteur de l'ouvrage "Energie et prospérité - les entrepreneurs au coeur de la transition". "Il existe un vrai conflit d'intérêt avec des énergéticiens qui veulent aider à baisser la consommation d'énergie de leurs clients. C'est un peu comme si Marlboro aider les fumeurs à arrêter de fumer!"

Aider à mieux voir moins consommer de la part d'énergéticiens, fournisseurs d'énergie peut prêter à confusion. Car cela reviendrait à ce qu'ils s'attaquent eux-mêmes à leur coeur de métier. "C'est faux", Pour le directeur du marché entreprises et professionnels d'EDF, "Nous n'allons pas mieux quand nos clients consomment plus car nous n'allons pas faire travailler nos équipes en 3x8 h. D'autant plus qu'une demande qui augmente nécessite de réaliser des investissements".

Autre sujet de préoccupation, la massification et la peur de voir se regrouper les grands groupes au détriment des PME spécialisées dans la fourniture d'électricité."Aujourd'hui, nous sommes dans un système de concurrence faussé! Il ne s'agit pas d'un combat des petits contre les grands mais l'économie des PME est un sujet important. Il existe des problèmes d'oligopoles. Il s'agit donc de faire attention à la biodiversité dans le secteur", insiste la présidente directrice générale du Gesec, avant d'interpeller les acheteurs : "clients soyez vigilants dans vos achats! Qui demain sera présent sur le marché ?", tout en soulignant le rôle moteur que doivent avoir les PME, "soyez réactives".

En guise de réponse, Marc Benayoun, directeur du marché entreprises et professionnels chez EDF, souligne le fait que la "pluralité des acteurs stimule l'innovation". Tandis que Nathalie Verriele, directrice business line énergies entreprises et collectivités chez Engie souligne qu'Engie réalise des appels à candidature auprès de start-up pour "des sujets liés aux smart grids, stockage d'énergie".

*Dans le cadre de l'ouverture des marchés à la concurrence, l'acheminement et le raccordement au réseau public de distribution de l'électricité sont des missions de service public. À ce titre, le tarif payé par les utilisateurs du réseau est réglementé par les pouvoirs publics. Il s'agit du TURPE (Tarif d'Utilisation des Réseaux Publics d'Electricité), qui assure aujourd'hui 90 % des recettes d'ERDF. Le TURPE permet à ERDF de financer ses activités, d'assurer sa mission d'entretien du réseau et de le moderniser.