Enjeux RSE et nettoyage peuvent faire bon ménage !
Les prises de conscience environnementales et sociétales modifient en profondeur les achats en matière d'hygiène. Ils se doivent d'être plus vertueux, durables et profitables. Mais quid de leur compétitivité ?
Je m'abonneJadis simple volonté affichée ou argument marketing invoqué, l'achat durable se veut aujourd'hui une pratique courante appliquée à quasi toutes les familles d'achat. Et même si la rationalisation des coûts reste dominante, les enjeux RSE se montrent particulièrement prégnants sur la famille des produits d'entretien et prestations de nettoyage. "Les décideurs achats déclinent une politique RSE de plus en plus globale en contrôlant les produits employés avec la volonté d'avoir une traçabilité depuis la chaîne d'approvisionnement jusqu'au retraitement des déchets associés, en favorisant l'insertion de personnel à mobilité réduite et les emplois adaptés et en s'évertuant à renforcer le bien-être social", énonce en préambule Stéphane Salfati, directeur opérationnel chez Incos.
Largement dupliquée, la prise de conscience environnementale se solde ainsi par une utilisation progressive des produits verts, en lieu et place des détergents et autres produits d'entretien d'origine pétrochimique ; d'où le grand retour du savon de Marseille et du bicarbonate de soude. La success story que connaît Cleanea depuis ses débuts témoigne de cet engouement écologique. Cette entreprise innovante s'est vu décerner le prix "Coup de coeur" au Cleantech Republic 2011 pour le développement d'une technologie qui produit des détergents écologiques biodégradables directement sur site avec la machine Europa V3 (commercialisée 13 700 euros ht ) grâce à l'électrolyse ; améliorant le bilan carbone des produits (de 30 à 50 %) par rapport à des détergents classiques et limitant la détérioration des nappes phréatiques.
Des pratiques plus vertes...
Pour évoluer vers des pratiques plus vertes, "le premier bon réflexe consiste à s'interroger sur la nécessité de recourir à un produit détergent ou désinfectant selon la finalité de la pièce (bureau, salle de réunion, accueil...). Bien souvent, un tissu microfibre suffit amplement. Dans le cas contraire, il est préférable de s'orienter vers des produits écologiques, répondant à un label certifié non autodéclaré. Ou, à défaut, de procéder à des ajustements sur les quantités utilisées pour réduire l'empreinte environnementale", détaille Pierre Ravenel, directeur et spécialiste achats responsables chez Karistem.
Ces dernières années, les fabricants de produits d'entretien et de nettoyage ont copieusement élargi leurs gammes bios, réussissant sur certains créneaux à répondre aux contraintes environnementales exigées par les écolabels sans augmenter les coûts. "Nous proposons à nos clients des papiers toilettes écologiques et des essuie-mains papier écolabellisés", confirme Solène Behaghel, responsable marketing sanitaire chez Elis. Pour le lavage des mains, les mousses écolabellisées remportent les suffrages des directeurs achats pour leur confort et leur efficacité. "Nous travaillons sur l'offre de mousses écolabels pour en améliorer l'accessibilité car il y a encore un delta coût par rapport à la mousse classique", avance Solène Behaghel.
Concernant le séchage des mains, les modèles à air pulsé sont venus bousculer les offres, ces dix dernières années. "Après l'engouement pour la nouveauté air pulsé, on constate un rééquilibrage de la demande, raisonnée selon les types de besoins, entre essuie-mains papier, solution coton et air pulsé", constate Solène Behaghel. Nécessitant un suivi hebdomadaire, "l'essuie-mains à air pulsé se justifie davantage dans des lieux à fort passage", prévient Stéphane Salfati. Surtout, son acoustique peut être dommageable en cas de proximité immédiate avec des bureaux. Dans tous les cas, "le feuille-à-feuille, coûteux sur les plans financier et environnemental, est à proscrire", affirme Stéphane Salfati. Plus vert et moins coûteux, le modèle en tissu jouit toutefois d'une image moins hygiénique que l'essuie-mains papier écolabellisé, produit jetable à usage unique.
Autre tendance sur le marché, la progression des huiles essentielles pour parfumer les sanitaires et le développement des grilles désodorisantes pour urinoir, qui libèrent des enzymes pour traiter mauvaises odeurs et canalisations. Compter entre 3,5 et 5 euros ht l'unité. "Pour le confort de l'usager, changez les grilles une fois par mois, en alternant les parfums (mangue/melon vert)", préconise Solène Behaghel.
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... et sociétales ?
Malgré leur progression, les produits réputés écologiques n'en ont pas fini avec leurs détracteurs, qui les accusent d'être moins dégraissants que les produits classiques. Pour compenser, ils seraient utilisés en plus grande quantité, alourdissant la facture. "En moyenne, les prix à l'achat demeurent plus élevés. On peut, toutefois, parvenir à un même coût en contrôlant la consommation", modère Alain Alleaume, fondateur du cabinet Altaris.
Les appareils qui contribuent à optimiser l'utilisation ou l'application des produits nettoyants écologiques sont d'ailleurs dans le viseur des directeurs achats. Les distributeurs automatiques, comme les distributeurs de savon qui ont le mérite de réduire le gaspillage en diffusant la juste dose, n'ont pas fini de se répandre. Plus récentes, les centrales de dilution présentent l'avantage de remplir les flacons, les pulvérisateurs ou autres autolaveuses avec une solution diluée et répondant à un pourcentage précis. Les lavettes préimprégnées sont préconisées pour éviter les erreurs de dosage et garantir la sécurisation de l'application. Les balais de lavage avec réservoir intégré dans le manche contribuent au contrôle de la quantité d'utilisation de produit mais aussi à la diminution de la pénibilité des interventions de nettoyage.
"Ces produits représentent un coût à l'achat qui peut être rapidement amorti grâce à un gain de produit ou de productivité. Surtout, cela va dans le bon sens en termes de RSE", notifie Stéphane Salfati.
Les entreprises ne se contentent plus de bannir les produits polluants de leurs étagères. Elles vont plus loin dans leur démarche en définissant une politique RSE répondant à des critères sociétaux. "Explicités en quelques lignes il y a dix ans, les enjeux RSE peuvent aujourd'hui être décrits dans un cahier des charges spécifique, annexé au cahier des charges général", résume Stéphane Salfati. Le bien-être social et le bien-être au travail sont mieux pris en considération.
D'ordinaire plutôt programmées tôt le matin ou en soirée, les tâches de nettoyage peuvent, pour certaines, être organisées en journée pour améliorer la qualité de vie des agents. "Basculer sur des horaires en journée est une très bonne pratique en termes de visibilité et de RSE ; voyant son travail valorisé, le personnel en poste se sent plus intégré. Bien sûr, cela doit s'inscrire en conformité avec la culture de l'entreprise et son mode d'organisation", met en avant Stéphane Salfati.
Témoignage
Guillaume Hubert, dirigeant d'O'Petits Soins
"Lors du contrôle qualité, il faut être binaire et impartial"
> Comment mettre en place un contrôle qualité efficace ?
Dans le cahier des charges, détaillez avec précision vos attentes sur les cadences de nettoyage, les moyens matériels, chimiques et humains. Imposez au prestataire des autocontrôles hebdomadaires avec ses outils, des contrôles contradictoires mensuels avec une trame de suivi élaborée par vos soins et utile lors de vos contrôles en interne pour ne pas risquer de les fausser.
> Comment doit se dérouler un contrôle en interne ?
Le contrôle doit être imprévu et se dérouler aux heures de présence des agents ; ce qui permet de vérifier les heures d'arrivée/départ, la préparation des solutions, l'état du matériel et la propreté du local ménage. Vous devez en profiter pour les questionner sur les bonnes pratiques de nettoyage (les codes couleurs microfibres, par exemple), leur demander de vous expliquer les tâches du jour et de la semaine. Vérifiez que les produits sont adaptés et utilisés en quantité suffisante, que l'eau de lavage est changée régulièrement et que les équipements de protection individuelle sont bien portés... N'hésitez pas à agrémenter votre rapport de photographies, particulièrement en l'absence de témoin.
> Quels sont les pièges à éviter ?
Lors du contrôle qualité, il faut être binaire et impartial. Il est aussi nécessaire de générer, non pas du correctif, mais du préventif en communiquant régulièrement avec votre partenaire et avec les agents de propreté ; le manque de qualité n'étant pas forcément lié à l'agent lui-même mais bien souvent à son encadrement. Enfin, pour mesurer la progression, n'omettez pas de croiser votre perception d'acheteur avec celle des collaborateurs ; leurs retours pouvant venir consolider votre analyse.
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Un cahier des charges fonctionnel, un outil qui sied aux enjeux RSE ?
Pour faire émerger des solutions innovantes et créatives, rédiger un cahier des charges fonctionnel semble indiqué et propice à l'atteinte des objectifs RSE. Au rédacteur d'identifier différentes typologies de besoins (bureau de la direction générale, bureaux de passage, locaux techniques...), en recueillant pour chacune le niveau d'exigence fonctionnelle attendu.
"Agrémenter le cahier des charges de photos d'une salle que vous jugez propre permet au prestataire de mieux appréhender vos attentes", conseille Pierre Ravenel. Pour optimiser le contrat, il s'agit de jouer sur les niveaux de propreté selon les locaux et la perception des usagers.
Lire aussi : Compliance et achats responsables - Comment naviguer entre réglementation et création de valeur ?
"Il faut inciter le prestataire à entrer dans une nouvelle démarche, en lui adressant un cahier des charges fonctionnel qui détaille poste par poste le résultat avec le niveau de performance attendu et en l'invitant à proposer des solutions innovantes. Cela peut le conduire à optimiser l'encadrement et les plages horaires, en recourant à une même équipe sur deux sites ou en confiant des tâches annexes au nettoyage à l'équipe en poste, par exemple. Ou encore à utiliser de nouveaux types de matériel ou à optimiser le taux d'utilisation des produits en définissant des ratios. Avec une telle démarche, on peut réduire les budgets de 10 à 15 %, sans dégrader le service rendu ni affecter les marges du prestataire", détaille Alain Alleaume. Reste, ensuite, à opérer l'arbitrage le plus avantageux entre les candidats en lice.
Certains directeurs achats misent sur un unique interlocuteur national, là où d'autres privilégient une myriade de pme locales pour encourager l'emploi. Il n'y a pas une solution meilleure qu'une autre si ce n'est celle qui tient compte de la culture de l'entreprise, de son organisation et de ses emplacements géographiques. "L'allotissement des contrats de facility management est parfois un bon levier qui ne se traduit pas forcément par un surcoût d'achat", rappelle Pierre Ravenel. Actuellement, les grands groupes cherchent plutôt à globaliser leurs contrats de FM. Les établissements de taille intermédiaire semblent eux aussi souvent emprunter cette même direction. À juste titre ? Selon Pierre Ravenel, "cela peut se révéler bénéfique pour diminuer les coûts directs et réduire le temps alloué à la gestion des contrats lorsque vous occupez un très vaste immeuble sur Paris ; à condition que le prestataire choisi soit mature et à même de proposer des plans de progrès sur le long terme."
Enfin, une réflexion doit être menée sur les moyens de contrôle à mettre en place pour un pilotage efficace des prestations, d'après Alain Alleaume. "Inclure dans le contrat un système de bonus/malus doit être envisagé pour garantir sa bonne exécution. Courante dans d'autres domaines, cette pratique est bien plus récente sur cette famille d'achat." En bref, tout doit être mentionné et décrit, le plus en amont possible.
Témoignage
Rémy Peltier, directeur des achats au sein de CNP Assurances
"Nous avons un unique interlocuteur tout en faisant travailler de petits artisans en régions"
En 2014, suite à la passation d'un appel d'offres nettoyage et hygiène, CNP Assurances retenait le groupe Challancin pour son approche humaine et son management d'équipe. Depuis, le prestataire assure le nettoyage du siège parisien - qui s'étend sur 40 000 m²- et de deux sites secondaires en régions - qui représentent respectivement 20 000 m² et 2 500 m² ; les antennes en régions éloignées étant confiées à des partenaires locaux. "Nous avons un unique interlocuteur tout en faisant travailler de petits artisans en régions", se réjouit Rémy Peltier, directeur des achats. La rédaction du cahier des charges s'est faite collégialement pour garantir l'adéquation entre les besoins exprimés par le client, la Direction de l'exécution des travaux, les impératifs à respecter selon l'activité (locaux de bureaux, parties communes, sanitaires, restauration, locaux informatiques, auditorium...) et la part RSE. "Prochainement, nous allons ouvrir une discussion afin d'étendre les prestations en journée pour contribuer au bien-être social", précise Rémy Peltier.
Régulièrement, la qualité du nettoyage est appréciée d'après une grille d'évaluation objective et exploitable, établie par le client et le prestataire. "Au final, cette relation qui se tisse au fil du temps au travers du dialogue et de l'échange devient le gage de la bonne moralité du contractant. Cela ne dispense pas pour autant des contrôles et des obligations légales", nuance Rémy Peltier. Sur cette famille d'achat, le prix doit être appréhendé au plus juste, d'après ce dernier. "Il ne faut pas commettre l'erreur de chercher à faire des économies à tous crins sur cette prestation. Il faut en faire, bien entendu, et c'est le travail de l'acheteur. Mais ne perdons pas de vue que les salaires représentent la part la plus importante des charges de ces prestations. Pour en réduire le coût, il convient d'activer d'autres leviers."