Le futur du travel management, c'est maintenant
Gestion de la data, hébergements alternatifs, avènement de la blockchain... le digital touche aussi le métier de travel manager. Alors, quelles sont les (nouvelles) bonnes pratiques à adopter? Voici les enjeux décryptés lors de la matinée organisée par Travel On Move, avec le soutien de GBTA France.
Je m'abonne1. Localisation: l'enjeu réglementaire
Quelles limites à la localisation des collaborateurs? Entre l'adoption du règlement européen sur la protection des données (RGPD) et celle de la loi pour une République numérique, 2016 a amené son lot de nouveautés en matière juridique. Emmanuel Walle, avocat et directeur du département droit du travail numérique au sein du cabinet Alain Bensoussan, revient sur les impacts du digital et des technologies émergentes sur les travel managers, tiraillés entre leur obligation d'assistance au voyageur et le risque d'atteinte à la vie privée de ces derniers. La localisation durant les voyages d'affaires, notamment, est au coeur des nouvelles dispositions. "L'obligation de sécurité des entreprises, qui est une obligation de résultat et engage leur responsabilité en cas d'accident dans le cadre du voyage d'affaires, s'est assouplie" note Emmanuel Walle. Ce qui compte désormais, aux yeux des juges, est la notion de période de travail effectif. En effet, la jurisprudence prévoit des poches de vie privée résiduelle dans les périodes de travail effectif (sorte de "vie privée professionnelle"), périodes pendant lesquelles la traçabilité ne peut avoir cours. Il n'existe pas d'interdiction de principe pour la géolocalisation, à condition de respecter certains critères: le salarié, lorsqu'il le souhaite, doit pouvoir déconnecter matériellement (bouton on/off sur une appli ou un GPS par exemple).
La collecte de données personnelles sur ses salariés fait quant à elle l'objet d'une interdiction de principe du RGPD. Le règlement européen, qui doit entrer en application dans chaque État membre courant 2018, impose l'intégration d'un DPO (data protection officer) dans chaque entreprise qui pratique des traitements à grande échelle de suivi régulier et systématique des personnes ou de données sensibles. Son rôle est de s'assurer que la donnée sur le salarié est récoltée de manière adéquate, pertinente (mission diplomatique, données sensibles en jeu...) et limitée. Les outils de traçabilité doivent être légitimes et ne pas engendrer un contrôle permanent. Le dispositif de suivi doit également être proportionné au vu de l'autonomie du voyageur et de la nature de son métier. Il est également obligatoire de prévoir une disposition pour éteindre les données collectées (personnes parties ou qui ne répondent plus à un besoin contractuel).
2. Hébergement: quelle place pour les solutions alternatives?
Les hébergements dits "alternatifs" le sont-ils toujours? En 2016, 48% des entreprises anglo-saxonnes ont intégré les acteurs de l'économie collaborative dans leurs politiques voyage (source: Business Travel Show). De plus en plus, les salariés en voyage d'affaires se détournent, pour des moyennes et longues durées, des traditionnelles chambres d'hôtel. Les hébergements alternatifs sont rentrés dans la norme parce qu'ils proposent de l'intimité, du confort, de l'espace et conviennent aux voyageurs en recherche d'authenticité. Même si des offres BtoB se développent, en proposant des services spécifiques (Airbnb revendique 10% de son trafic en business travel aux États-Unis), l'offre est encore fragmentée et il est difficile pour les acheteurs d'avoir affaire à un interlocuteur unique et une offre normée assurant confort et sécurité aux employés. "Souvent, les salariés choisissent ces nouveaux modes d'hébergement en passant outre l'avis de leur entreprise, assure Clara Audry, directrice du développement Europe de OneFineStay (groupe Accor). La politique voyage pratiquée par les entreprises est donc importante pour attirer et fidéliser des salariés." Reste à résoudre le challenge de la sécurité et la traçabilité pour rassurer les travel managers. "Il faut construire des normes sans tomber dans l'uniformisation et la standardisation" avertit-elle. L'enjeu pour le business travel est de s'approprier cette nouvelle offre, afin d'accéder à la donnée et conserver une visibilité sur les coûts. Sinon, l'entreprise perd la capacité à optimiser ses voyages d'affaires. Il est devenu nécessaire de remettre le confort du voyageur au coeur de la réflexion pour maîtriser cette nouvelle offre, et d'admettre que le voyage d'affaires comprend aussi une dimension loisir.
Les géants du secteur hôtelier se sont déjà emparés du sujet:
- Accor propose avec OneFineStay une solution alliant hébergement authentique (privé) et luxueux, à destination des touristes et des professionnels. L'offre d'appartements est exclusive et l'opérateur délivre ses services directement dans les appartements, notamment via son service joignable 24h/24 grâce à un smartphone en libre service.
- Airbnb a lancé une offre business en 2015, axée sur la sécurité (traveler tracking sur des voyages en cours et à venir, carte interactive) et qui s'inscrit dans l'écosystème business travel, grâce à des partenariats avec Amex, Carlson, Concur pour les notes de frais, ainsi que des acteurs de la sécurité. Résultat: un système de reporting en temps réel pour l'entreprise, avec notion d'optimisation (coût par nuitée et par personne), une base de profils et un onglet paramétrage pour établir une politique voyage, ainsi qu'une rubrique réservée au paiement.
3. Politique voyage: les promesses de la blockchain
Déjà adoptée par certaines banques et assurances, la blockchain offre de nouvelles perspectives aux travel managers. Jean-Luc Bogros, associé chez W-Inn, qui conçoit et développe une suite pour le tourisme, voit en cette technologie de nombreuses opportunités pour la gestion des voyages d'affaires. Procédé transparent, sécurisé et décentralisé de stockage et de transmission d'informations, la blockchain contient l'historique de tous les échanges effectués. Que ce soit pour de l'échange de titres ou de monnaie, elle permet ainsi la traçabilité et la vérification des informations, grâce aux smart contracts. Ces programmes autonomes exécutent un contrat de manière automatique selon certaines conditions. Très concrètement, ces smart contracts pourraient, selon Jean-Luc Bogros, permettre de gérer un programme de fidélisation et la récolte de points, par exemple, en évitant d'avoir à provisionner des sommes comptables. Ou encore de relier un point de fidélité à une monnaie virtuelle, jusqu'à imaginer une place de marché avec les valeurs des points de plusieurs entreprises. La blockchain permettrait ainsi d'assurer la traçabilité des points, en sachant à quoi ils ont été consacrés, alors que l'utilisation des points fidélité baisse de 2% par an.
Pendant le voyage, la blockchain pourrait permettre de gérer des identités administratives, en téléchargeant des documents dans un portefeuille virtuel, associé à des données biométriques, protégées, documents qui seraient délivrés à chaque étape de la vérification (aéroport au départ, à l'arrivée, à l'hôtel...), pour une visibilité immédiate. La blockchain trouverait également son intérêt dans la gestion automatisée des assurances, en déclenchant un paiement de manière automatique si un avion a du retard. "Avec une expérience améliorée de leur voyage, les collaborateurs seront plus à même d'être satisfaits de leur entreprise" souligne Jean-Luc Bogros.
Pour les travel managers, la blockchain permet donc une gestion désintermédiée des données du voyage et émancipée des contraintes de sécurisation. À moyen terme, associée au big data ("je connais mon environnement") et à l'intelligence artificielle ("je suis capable d'en déduire des informations"), la blockchain promet des services costauds: sécurisation en temps réel des collaborateurs lors de leurs déplacements, gestion transversale des avantages des opérateurs de voyages, consolidation des informations pour un pilotage prédictif du travel management ou encore optimisation des coûts et charges pour chaque voyage... Toutefois, les données permettant de remonter à l'identité d'un voyageur sont considérées comme personnelles, et ne peuvent pas être implémentées dans un système comme la blockchain. En effet, l'entrée en application prochaine du RGPD imposera une conservation limitée des informations à caractère personnel. Le législateur devrait s'emparer de la question dans les prochaines années, alors rendez-vous dans le futur pour vérifier!
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