Les achats responsables entrent dans une nouvelle ère
La crise de la Covid a accéléré la prise de conscience des entreprises privées, alors que les acteurs publics étaient déjà bien avancés sur la voie des achats responsables.
Je m'abonneSelon l'étude Michael Page, menée en partenariat avec le CNA, la politique d'achats responsables est d'ores et déjà une réalité pour 60% des acheteurs. Menée par Brice Malm, cette étude nous apprend aussi que les achats responsables sont une réalité dans 72% des organisations de plus de 1000 personnes. Dans les plus petites structures (moins de 500 personnes), cette pratique apparaît moins avancée et n'est une réalité que pour 45% des répondants. Selon Michael Page, cet aspect de la fonction sera inéluctablement amené à se développer dans les mois et années à venir, raison pour laquelle 50% des répondants estiment que les achats responsables sont une compétence à acquérir pour répondre aux besoins de transformation des entreprises et organisations publiques et par ailleurs rester attractif sur le marché.
Le secteur public, fer de lance
"En 2010, la de la Charte des achats responsables avec le Conseil national des achats a donné l'exemple de bonnes pratiques pour avoir une relation donneur d'ordre-fournisseurs équilibrée, rappelle Pierre Pelouzet, le Médiateur des entreprises. Aujourd'hui, on compte quelques 2000 signataires, grandes entreprises, moyennes petites, administrations..." Puis la création du label Relations fournisseurs et achats responsables (RFAR) en 2012 adossé à la norme internationale ISO 20400, a donné un cadre aux entreprises qui voulaient s'engager plus avant sur la voix de la responsabilité sociale et environnementale au service des achats. A cette époque cependant, ce sont surtout les administrations et les services publics qui montraient la voie. "Il y a 10 ans il y avait déjà une notation partie RSE sur les marchés publics, même si la terminologie n'était pas tout à fait la même", se souvient Aurélien Beaucamp, en charge de la RSE chez Michael Page. Et aujourd'hui encore, le secteur public est en pointe.
"Je crois que les acteurs publics doivent être exemplaires. Nous allons tâcher d'engager en premier lieu les ministères et les régions sur la voie de la labellisation. Je pense que ces labellisations publiques donneront de la crédibilité et de la notoriété à ce label et permettront d'entrainer les entreprises, explique Olivia Grégoire, Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance, chargée de l'Économie sociale, solidaire et responsable. Les résultats, ce sera la valorisation des entreprises qui accomplissent leur transition. Avec l'adoption de la loi Climat et Résilience, l'environnement deviendra un critère obligatoire dans la passation et dans l'exécution de tous les marchés publics ainsi que les concessions, ceux de l'Etat comme ceux des collectivités ou des hôpitaux, ce qui représente 200 milliards d'euros de transactions par an."
Le privé y trouve son intérêt
Mais depuis quelques années, et encore plus depuis la crise de la Covid 19, ce mouvement en faveur d'achats responsables et de relations apaisées entre acheteurs et fournisseurs touche en priorité les entreprises privées. Il y a une prise de conscience, mais aussi un réel intérêt. "Aujourd'hui encore plus qu'hier, nos concitoyens, qu'ils soient investisseurs, salariés, consommateurs sont en demande d'une transparence accrue sur les pratiques responsables de leurs entreprises, estime Olivia Grégoire. Dans ce contexte, adopter une politique d'achats responsables, ce n'est plus un enjeu de communication ou d'image de marque. C'est une question d'attractivité pour des talents en quête de sens, c'est un levier de financement pour des investisseurs en quête de placements responsables, c'est un moteur d'achat pour des consommateurs en quête de produits durables."
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Charité bien ordonnée commence par soi-même
Les entreprises commencent à se rendre compte que le "greenwashing", ou les effets d'annonce non suivis d'effets sont contre-productifs, car ils ?peuvent nuire considérablement à leur image et à la réputation de l'entreprise et risquent de devenir la cible d'associations et de lanceurs d'alertes. Beaucoup d'entre elles se sont donc lancées en réaction, parfois de façon un peu désordonnée, à coeur perdu dans une politique d'achats responsables.
"Il faut commencer par nommer un leader achat responsable idéalement rattaché à la direction RSE, s'il en, existe une, elle-même dans la mesure du possible rattachée à la direction générale ou membre du Comex afin d'entraîner tout l'écosystème achats et fournisseurs dans la démarche, explique Brice Malm, pour Michael Page, et ensuite, il faut définir les priorités et y aller par étape, c'est-à-dire ne pas vouloir tout changer d'un coup, et surtout ne pas imposer à ses fournisseurs des obligations intenables." Les pouvoirs publics ont bien compris la situation puisque suite à un rapport remis à Olivia Grégoire, Pierre Pelouzet a mis en place un parcours vers l'obtention du label relations fournisseurs et achats responsables (Lire Un "parcours national des achats responsables" pour inciter à la labellisation). "La signature de la charte devient l'entrée du parcours, et est accompagnée d'un autodiagnostique qui permet aux signataires de connaître leurs marges de progression, raconte le Médiateur des entreprises. Ensuite, le label propose trois niveaux ; bronze, argent et or, qui sont autant d'étapes vers l'excellence en matière d'achats."
Ne pas de précipiter donc, et surtout montrer l'exemple. Car trop souvent encore, les entreprises demandent à leurs fournisseurs de s'engager sur les matières premières vertueuses, le bilan carbone neutre, les droits humains... Des efforts qu'elles n'entreprennent pas toujours elles-mêmes !
Encore des obstacles à franchir
Quand on lui demande où se trouvent les axes d'amélioration concernant les achats responsables et les relations entre acheteurs et fournisseurs, Pierre Pelouzet n'y va pas par quatre chemins. "Les délais de paiements sont un véritable point de blocage, un mal bien français, d'ailleurs je pilote un comité de crise sur la question", répond-t-il. Pour le Médiateur des entreprises, le travail en coût complet, qui prend en compte cycle de vie (de la matière première au recyclage) du produit qu'on achète n'est pas encore assez pris en compte, même si cela progresse.
Pour Olivia Grégoire, "le premier des freins, c'est qu'on a trop longtemps perçu et présenté la RSE comme une contrainte réglementaire. Par manque de temps ou de pédagogie, la RSE n'a pas été traitée comme un atout stratégique, et a souvent été vue comme un poste de dépenses accessoire à gérer dans un contexte de contraintes de court terme : quand il fallait sabrer dans les budgets, la RSE était la première victime. Elle a été cantonnée à une démarche d'image de marque et de communication. C'est ce qui a d'ailleurs conduit à des campagnes d'éco-blanchiment qui, dénoncées par les ONG, qui ont au moins permis de faire prendre conscience du risque réputationnel inhérent à une RSE de vitrine. Heureusement, depuis 2017, les choses sont en train de changer. L'un des grands apports du quinquennat sur ce sujet a été la loi PACTE (Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises), qui a permis de proposer une vraie boîte à outils au service des entreprises souhaitant devenir plus responsables", analyse-t-elle.
Des défis à venir
Malgré ces obstacles, les multiples prises de conscience (consommateurs, salariés, directions, etc.) vont dans le sens d'une généralisation des achats responsables. Mais il n'est pas interdit de donner un coup de pouce au phénomène. Ansi, avec la réformé du label RFAR, les acteurs publics vont devoir se montrer encore plus exemplaires et tenter de l'obtenir en masse. Objectif : 80% des achats de l'Etat labellisés à fin 2022 !
Ministère des Armées : le bon élève
En 2010, le ministère des Armées fut un des premiers à signer la charte des Achats Responsables et depuis 2014, il est détenteur du label Relations Fournisseurs Achats Responsables. Il est remis pour une durée de trois ans, avec une vérification annuelle sur des critères rédhibitoires par un auditeur indépendant agréé. En 2021, son budget se montait à 39,2 milliards d'euros. Le site internet des achats du ministère est le vecteur d'environ 5 milliards d'achats par an, ce qui en fait le plus gros acheteur public labellisé.