Risque climatique - et si les achats s'en préoccupaient ?
La crise sanitaire que nous traversons ne doit pas masquer une problématique qui va bousculer les entreprises à plus long terme : le dérèglement climatique. Les événements climatiques, mais aussi les risques liés à la transition climatique, obligent dès à présent les entreprises à prendre des mesures conséquentes. Et les achats ont leur rôle à jouer.
Je m'abonneBien que la crise sanitaire et les pénuries soient au coeur des préoccupations, les enjeux climatiques inquiètent également. 2020 serait d'ailleurs l'année la plus chaude jamais enregistrée en France selon l'organisme Météo-France, avec une température annuelle moyenne de 14°C. À l'échelle internationale, 2020 serait l'année la plus chaude à égalité avec 2016, selon l'Organisation météo mondiale. Ces constats, associés aux événements climatiques extrêmes qui ont touché notre pays et la planète l'année dernière, conduisent à une prise de conscience collective des enjeux climatiques. "Et la crise sanitaire n'a pas atténué cette préoccupation", observe Laurent Morel, administrateur du Shift Projet et associé du cabinet de conseil Carbone 4. Les chiffres qu'a publiés l'Institut du capitalisme responsable en novembre 2020 lui donnent raison : le climat reste la priorité n° 1 des Français, avec 24 % qui le situent en tête des combats de la décennie (contre 25% en janvier 2020). Côté entreprises, le risque climatique est de plus en plus pris en compte : en janvier 2020, le rapport sur les risques mondiaux du Forum économique mondial révélait que les risques climatiques arrivaient en tête des préoccupations des chefs d'entreprise pour les dix prochaines années.
Risques physiques et de transition
Il faut dire que l'impact du climat sur les entreprises n'est pas négligeable. Premier risque : le risque physique. "Le dérèglement climatique provoque une augmentation de la fréquence et de l'intensité des épisodes climatiques extrêmes et certaines régions vont être soumises à des transformations désastreuses dues aux inondations, sécheresses ou encore incendies. Et cela ne va faire qu'augmenter", prévient Laurent Morel. Les entreprises vont donc être soumises à des catastrophes naturelles du type tempêtes ou inondations mais aussi à des perturbations plus chroniques comme des vagues de chaleur. "Les événements climatiques extrêmes peuvent endommager les actifs et également générer d'importants dysfonctionnements de la supply chain, tandis que les risques plus chroniques auront comme conséquences une augmentation des coûts, une dégradation des actifs et une perte de productivité des collaborateur", avance Anna Lecomte, consultante risque chez Gras Savoye Willis Towers Watson.
Un rapport de McKinsey publié en janvier dernier se montre très pessimiste quant à l'impact économique du réchauffement climatique. En Inde, par exemple, la hausse des températures pourrait entraîner de nombreux jours non travaillés, affectant entre 2,5 et 4,5 % du PIB du pays. Le rapport cite d'autres régions (Amérique latine, Afrique subsaharienne, Asie du sud-est, ouest de l'Australie) dans lesquelles la part des heures perdues sur le temps de travail en raison de vagues de chaleur pourrait doubler, passant de 10 à 20%. McKinsey mentionne aussi le risque qui pèse sur les infrastructures, en raison d'inondations : en Floride, par exemple, les biens immobiliers risquent de perdre entre 30 et 80 milliards de dollars en cas d'inondation. Le rapport prône également une diversification des lieux d'approvisionnement en matière de riz, blé, maïs, soja, les six pays principaux dont ils proviennent pouvant être exposés à des risques climatiques.
Au-delà des risques physiques liés au dérèglement climatique, les entreprises subissent également des risques de transition, c'est-à-dire les impacts de la transition vers une économie bas carbone. Cela inclut des risques réglementaires (les réglementations en faveur du climat vont certainement se durcir, notamment vis-à-vis du carbone) mais aussi de réputation (les consommateurs sont de plus en plus exigeants vis-à-vis de l'impact environnemental des produits qu'ils consomment et les salariés souhaitent que leur entreprise s'engage en faveur du climat) ou encore financiers. Sur ce volet financier, les investisseurs mettent une pression de plus en plus importante sur les entreprises dans lesquelles ils ont des engagements pour qu'elles prennent en compte le risque climatique. "Les investisseurs ne veulent plus prendre de risques. Ils vont analyser avec attention les impacts du climats sur leurs actifs", constate Anna Lecomte.
Il sera également demandé aux entreprises de s'engager en faveur du climat. Récemment, le fait qu'un groupe d'actionnaires d'HSBC ait demandé à l'établissement bancaire de réduire ses financements des entreprises polluantes a beaucoup fait parler.
Toute l'entreprise est concernée !
Les entreprises se doivent donc de réagir. Laurent Morel conseille tout d'abord de comprendre les enjeux climatiques et donc de former l'ensemble de l'entreprise à ce risque. "Cela concerne tout le monde", souligne-t-il. Il invite ensuite à mesurer son empreinte carbone, directe et indirecte. "C'est le premier pas indispensable pour réellement comprendre où on en est et ensuite savoir où se positionner. C'est la première urgence", insiste-t-il. Les entreprises ont en effet un rôle à jouer dans la limitation du dérèglement climatique et on attend d'elles qu'elles prennent leur part, aussi bien par leurs salariés que par leurs clients et leurs investisseurs. Pour que la démarche soit réellement efficace, cette empreinte carbone doit concerner non seulement les Scopes 1 et 2 (émission directes et indirectes) mais aussi le Scope 3 (émissions des tiers).
Les entreprises doivent également limiter l'impact des phénomènes climatiques sur leur activité. Tout d'abord en identifiant les zones à risques. "Il s'agit de quantifier les pertes en prenant un scénario à +2 ou +4 degrés afin de s'assurer de la résilience de l'entreprise et de se séparer d'actifs trop exposés le cas échéant", conseille Anna Lecomte. Fabrice Bideau-Noël, consultant opérations, supply chain et qualité chez KeenSolutions, ne parle pas de se séparer d'actifs mais de les rendre plus robustes pour faire face aux possibles catastrophes naturelles. "Il est important de faire une analyse des risques mais de manière continue, pas juste une photographie à un moment donné : il faut se poser la question de l'impact à chaque évolution", insiste-t-il.
Ces décisions doivent aussi prendre en compte le risque transitionnel : Florent Deixonne, head of sustainable & responsible investments chez Lyxor AM, parle par exemple des champs pétrolifères qui peuvent valoir beaucoup aujourd'hui et ne plus rien valoir demain, en raison de taxes par exemple. "C'est ce que l'on appelle des "actifs échoués''", précise-t-il. "Il est peut-être temps de s'en séparer. Les entreprises positionnées sur des activités sans avenir en raison du dérèglement climatique doivent aussi se poser des questions pour se repositionner. Produire des skis n'est peut-être pas une bonne idée, il est sans doute préférable de se mettre à construire des vélos..."
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Les acheteurs, au coeur de la problématique
Le risque climatique touchant potentiellement toutes les activités de l'entreprise, il faut que l'ensemble des salariés soit impliqué. Nous avons parlé de formation, mais cela doit aller plus loin, pour être vraiment efficace. "On conseille la création d'un comité climat, transverse, qui permette de prendre en compte le risque climat au sein de toutes les fonctions de l'entreprise", indique Anna Lecomte. Cela permet d'instaurer une véritable culture du risque au sein de l'entreprise et d'intégrer le risque climatique à chaque prise de décision.
Si l'ensemble des acteurs de l'entreprise doit être impliqué dans la lutte contre le risque climatique, la direction des achats a un rôle crucial à jouer. Elle est non seulement un acteur majeur de l'entreprise en termes d'impact climatique, de par les achats qu'elle permet de réaliser, mais aussi en lien avec d'autres acteurs essentiels de l'entreprise, externes cette fois : les fournisseurs. Première étape : prendre conscience des risques climatiques liés aux approvisionnements et agir en conséquence. La crise sanitaire a permis de revoir les stratégies achats et de davantage diversifier, voire de relocaliser. Ces nouvelles stratégies doivent absolument inclure le risque climatique : il ne s'agirait pas en effet de relocaliser une production dans une zone où les inondations ou les incendies sont légion. "Il faut connaître sa supply chain de manière détaillée, jusqu'aux fournisseurs de rang 3, et rassembler toutes les connaissances climatiques sur leurs régions d'implantation. Cela permet de se projeter", pointe Fabrice Bideau-Noël.
Les directions achats peuvent aller plus loin et même se poser la question de la pertinence de certains approvisionnements, notamment vis-à-vis de ressources soit très émettrices de CO2, soit en voie de disparition. "On pense pouvoir compter indéfiniment sur certaines ressources. Or, les prospectives climatiques nous enseignent que des chaînes d'approvisionnement sont potentiellement à risque", met en garde Laurent Morel. Cela passe aussi par des prises de décision concernant les voyages d'affaire par exemple : c'est le rôle des achats de guider les clients internes vers des modes de déplacement moins émetteurs de gaz à effet de serre.
Accompagner et orienter ses fournisseurs
Les achats ont aussi un rôle à jouer vis-à-vis de la prise de conscience des fournisseurs quant au risque climatique. Fabrice Bideau-Noël pense que la culture du risque climatique doit concerner l'entreprise étendue et donc l'ensemble des acteurs internes mais aussi externes, et en premier lieu les fournisseurs. "Il faut s'assurer que ses fournisseurs et leurs équipes sont préparés à gérer les risques climatiques en les accompagnant sur leur analyse de risques, de vulnérabilité, les réponses à apporter, etc.", avance-t-il. De quoi s'assurer de leur robustesse et de leur résilience. Véronique Mariotti pense que les grands donneurs d'ordre peuvent apporter des solutions à leurs fournisseurs pour répondre à certains risques physiques. "Vis-à-vis de la sécheresse, par exemple, il existe des systèmes de recyclage de l'eau. Les entreprises peuvent orienter leurs fournisseurs exposés vers ce genre de solutions".
À l'occasion d'un webinar consacré à la green supply chain, Camille Villard, consultant supply chain chez Flow&Co, a parlé du compte carbone entreprise qui prend en compte non seulement les Scopes 1 et 2 (émissions directes et indirectes) mais aussi le Scope 3 (émissions des tiers). "Les Scopes 1 et 2 sont loin d'être représentatifs d'une activité puisque beaucoup de choses sont sous-traitées aujourd'hui. Un compte carbone entreprise a donc toute sa légitimité : piloté par les supply chain, il permet une vision transverse, à 360° tout au long de la chaîne de valeur d'un produit", explique-t-il.
L'objectif est de déterminer les pôles de la supply chain les plus générateurs de carbone afin de trouver des solutions et ce, aussi bien sur l'amont que lors de la production que vis-à-vis de l'aval. "On entre dans le coeur de chaque composant, on isole ce qui pose problème et on met en place des solutions", ajoute Camille Villard. Ce qui veut dire que les achats se poseront la question de la proximité du lieu d'approvisionnement, par exemple, et travailleront main dans la main avec fournisseurs pour trouver des solutions. "L'idée est de développer des projets, de créer des synergies internes ou extra-entreprises, afin d'imaginer des solutions permettant d'amener les supply chain telles qu'on les connaît aujourd'hui, à se transformer vers un modèle plus responsable", résume Camille Villard.
Véronique Mariotti confirme que certaines grandes entreprises matures sur le sujet engagent leur chaîne d'approvisionnement sur le sujet du climat et notamment la décarbonation. "Les entreprises qui sont avancées sur Scopes 1 et 2 s'attaquent aujourd'hui au Scope 3 et cela demande le concours des fournisseurs. Ils peuvent les aider en les formant ou en définissant avec eux leur plan de réduction", imagine Véronique Mariotti, experte sur les sujets risque climat chez EcoAct. Une collaboration achats/fournisseurs autour du climat qui peut ensuite conduire à de la co-innovation. Aux acheteurs de se saisir de ce sujet, à la fois crucial et tendance !
Risques mais aussi opportunités
Lutter contre le risque climatique ouvre de nombreuses opportunités : se positionner sur de nouveaux marchés, bénéficier d'aides et de financements, etc. Les entreprises ne devraient donc pas uniquement voir l'aspect risque mais considérer toutes les portes que cette voie ouvre. D'autant plus que, comme le souligne Laurent Morel, il y a une véritable attente collective vis-à-vis des enjeux climatiques. En étant proactif, non seulement, on évite de mettre à mal l'image et la compétitivité de l'entreprise mais on la rend également plus performante. "Les entreprises qui ont pris très tôt le biais de la transition climatique ont pu créer de nouveaux business et saisir de véritables opportunités", constate Florent Deixonne, head of sustainable & responsible investments chez Lyxor AM.
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