"Notre processus achat à l'international est mature", Pascal Garnero, directeur achats du groupe Daher
Petit à petit, Daher fait son nid parmi les équipementiers de rang 1 pour l'aéronautique et les technologies avancées. Face aux fortes ambitions de l'ETI familiale à l'international, la direction des achats, pilotée par Pascal Garnero, a revu son plan de vol. Interview.
Je m'abonneComment est structurée votre direction des achats ?
Notre organisation est matricielle : achats familles et achats programmes. Nous avons par ailleurs une équipe en charge du développement d'outils achats, ainsi qu'une autre dédiée au développement et à la performance fournisseurs, pour aider ces derniers à régler leurs problématiques industrielles.
La particularité des achats chez Daher est que nous faisons à la fois de l'industrie et des services. Nous avons donc quatre départements achats familles : "Achats généraux et services", "Achats industriels aéronautique et défense", "Achats industriels nucléaire et énergie" et un autre pour les "Achats de systèmes et équipements" pour notre avion d'affaires, le TBM 900. Au sein de ces départements, il y a un certain nombre de familles d'achats. Par exemple, dans les achats généraux et services, là où nous avons le plus de spécificités, nous avons vingt familles d'achats. Pour l'ensemble des trois autres départements, nous comptons vingt familles supplémentaires.
Quel bilan tirez-vous de votre première convention fournisseurs, organisée en novembre 2014 ?
L'un des objectifs de la convention de 2014 était de partager avec nos fournisseurs le projet "Performance 2017 together". Ce projet comportait trois leviers : excellence opérationnelle, compétitivité et internationalisation. En termes d'excellence opérationnelle, nous avons beaucoup travaillé sur cette performance (ponctualité, qualité) avant, pendant et après cette convention. Cela nous a permis de booster les actions dédiées au développement et à la performance fournisseurs, et de constater sur le terrain les signes d'une amélioration significative de celle-ci (environ dix points de performance en ponctualité, par exemple). Nous avons d'ailleurs atteint notre objectif de performance en matière de ponctualité fixé pour cette année 2015. Cette convention nous a clairement permis de l'atteindre plus rapidement. Suite à cet événement, nous avons aussi concrétisé quelques belles collaborations, comme avec la société américaine Cadence, spécialisée dans l'usinage de pièces mécaniques et qui a rejoint depuis notre panel fournisseurs.
Face aux fortes ambitions du groupe à l'international, quelle est la feuille de route des achats ?
L'international constituait le troisième levier du projet "Performance 2017 together". Notre processus achat à l'international est aujourd'hui mature, car nous sommes déjà présents au Maroc et au Mexique. Pour élargir le périmètre des achats aux Etats-Unis, nous appliquerons les mêmes méthodes. Il nous faudra mettre en place des outils comme l'ERP SAP, pour gérer les achats en termes de demandes, commandes et livraisons. Nous poursuivrons donc la mise en place de cet outil de façon homogène sur l'ensemble du groupe. Aux Etats-Unis, nous avons également prévu d'avoir un acheteur américain sur place.
Mais ce qui compte avant tout, au-delà du redimensionnement de la direction des achats dans un contexte de croissance et d'internationalisation du groupe, c'est d'avoir une vision et une stratégie d'achats qui permettent de mettre en place des accords de partenariat avec des fournisseurs majeurs, et s'appuyer sur eux pour construire un projet. Nos acheteurs doivent donc aujourd'hui parler parfaitement anglais, être capables de développer une vision stratégique et mettre en place ces partenariats. Nous misons donc sur des profils beaucoup moins transactionnels et beaucoup plus stratégiques. Pour faire monter en compétences les acheteurs, nous leur proposons par exemple de suivre la formation "leadership achats", que nous avons développée avec un cabinet externe, pour les doter d'un certain nombre d'éléments de pilotage de portefeuille leur permettant ainsi d'être de véritables leaders de projets. C'est en s'appuyant sur ces nouveaux profils et sur nos accords de coopération partenariale que nous pouvons assurer à Daher l'accompagnement nécessaire à une croissance du chiffre d'affaires dans les années à venir.
Lire aussi : Les achats, fer de lance des politiques publiques ?
Daher
- 2009 : intègre Socata et devient avionneur.
- Septembre 2014 : devient le prestataire logistique sur les quatre usines européennes d'Airbus Helicopters.
- Mars 2014 : lance son TBM 900, avion d'affaires à mono-turbopropulseur.
- Juin 2015 : est récompensé par le prix "Best performer Award" par Airbus.
Quelle est votre stratégie en matière de gestion des risques achats ?
à l'instar d'un certain nombre d'autres fonctions, les achats sont inclus dans un processus global de gestion des risques du groupe Daher. Il y a donc une entité centrale qui gère les risques. Au sein de la direction des achats, nous avons un processus d'"escalation des risques" depuis les personnes en charge de l'achat opérationnel. Lorsqu'un problème sérieux est identifié, nous remontons des "red flags" à la direction générale, puis des "top down" sont mis en place sous la forme d'actions opérationnelles. Les risques techniques sont donc gérés après avoir fait du "top down" et, au niveau de la direction des achats, nous faisons appel à l'équipe en charge du développement et de la performance fournisseurs, afin qu'elle mette en place des actions ciblées et opérationnelles.
Nous pouvons également mettre un expert à demeure chez un fournisseur pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois, afin qu'il contrôle la mise en place de méthodes "lean", par exemple. La gestion des risques financiers se fait en binôme avec l'acheteur en charge du fournisseur et la finance. De façon régulière, nous avons une revue des risques où nous étudions la criticité éventuelle et nous mettons une alerte si nous constatons une dégradation de la situation financière d'un fournisseur.
Avez-vous une stratégie de "double sourcing" à l'international ?
Oui, et nous cherchons à la développer davantage, et en particulier dans les pays à bas coûts. Nous faisons appel à des fournisseurs français de Daher ayant des filiales ou des accords de coopération avec des partenaires à l'étranger. Nous demandons à ces fournisseurs français de mettre en place une double source dans la mesure du possible, à condition qu'ils continuent à produire en France 50 % des volumes et développent la source internationale pour les autres 50 %, soit avec un partenaire, soit avec une filiale. Cette stratégie nous permet de prévoir un transfert de la production à 50 % et de manière sécurisée.
Par ailleurs, Airbus, dans le cadre de la montée en cadence de certains de ses gros programmes, comme celui de l'A320, nous demande aussi de mettre en place deux sources pour certaines pièces.
Lire aussi : Compliance et achats responsables - Comment naviguer entre réglementation et création de valeur ?
Daher est un acteur de la troisième révolution industrielle. Comment les achats y participent-ils ?
Nous avons mis en place une équipe innovation au sein du groupe Daher, et les achats sont partie prenante avec un acheteur dédié à l'innovation qui travaille avec la R&T [recherche et technologie, NDLR] et le "Daher Lab", pour apporter l'innovation via une démarche de codéveloppement avec les fournisseurs. Nous le faisons notamment dans le domaine de l'impression 3D.
La direction de Daher nous demande aujourd'hui d'être proactifs pour parvenir à dénicher l'innovation en allant à la rencontre de pépites innovantes et nous y travaillons. Dans la mission des acheteurs "familles" dédiés à la stratégie et aux partenariats, il y a aussi l'innovation. Pour y parvenir, ils doivent avant tout bien connaître les besoins technologiques de Daher et donc avoir une compréhension technique. Nous recrutons pour cela des ingénieurs Bac+5 ayant suivi une formation complémentaire en achats.
Pour la veille technologique, nous faisons aussi appel à l'équipe marketing pour qu'elle nous fournisse des informations, en attendant que les acheteurs du groupe soient suffisamment matures pour être capables, eux-mêmes, d'avoir cette vision proactive sur les besoins technologiques de Daher. C'est un vrai axe de progrès pour la direction des achats dans les années à venir.