"Les bons vieux modèles que vous aimez n'existent plus !"
"La responsabilité des achats à 360". Tel était le sujet de la plénière des Universités des achats qui a permis aux intervenants de dessiner le portrait de la direction achat idéale... tout en pointant ce qu'elle n'est pas forcément aujourd'hui.
Je m'abonneLes points sur les "i" et des barres sur les "t". La plénière des Universités des achats organisées par le Cdaf (devenu Conseil national des achats ou CNA), le 15 mai dernier a réuni des paroles libres sur le thème de "La responsabilité des acheteurs". Et le moins que l'on puisse dire est qu'ils n'ont pas mâché leurs mots. C'est Pierre Pelouzet, médiateur des entreprises, et ancien président du Cdaf, qui a dégainé le premier, estimant que les acheteurs sont encore trop souvent "des gens court-termistes, uniquement préoccupés par le cash et qui ne pensent pas à nouer des partenariats". "Ma conviction", a-t-il martelé, "c'est que la profession va mourir si le cost killer reste. Car faire baisser les coûts, c'est détruire le tissu économique". Pour évoluer et subsister, la fonction doit "s'imprégner vraiment d'une nouvelle culture achats."
Marc Sauvage, président du Conseil national des achats, a alors saisi le micro pour adoucir le propos: "On ne vas pas mourir! Il y a des acheteurs qui achètent bien". Mais pour bien acheter.... mieux vaut s'appuyer sur une démarche achat vertueuse "portée par la DG", a t-il ajouté. "La DG doit donner le modèle et se demander ce qu'elle doit transmettre aux achats", a complété Godefroy de Bentzmann, cofondateur de Devoteam, en étant consciente qu'il est de "l'intérêt des entreprises d'avoir un écosystème performant", comme l'a souligné Corinne Cuisinier, directrice générale de Sibelco France.
Les achats, qui se doivent de faire du prosélithysme, considère Clara Gaymard, co-fondatrice de RAISE, en démontrant à leur DG les impacts de la quête des prix bas. Et de prendre l'exemple du coût réel d'un T-shirt à 5 euros, qui a "un prix réel beaucoup plus élevé" si on l'envisage sous un aspect RSE. Les acheteurs, tant professionnel que particuliers devraient effectivement de pencher sur la question... Et Clara Gaymard d'interpeller la salle: "Il faut mettre de l'âme, du sens dans vos achats."
Certes. Mais une question subsiste: comment se faire entendre de la DG, qui n'est pas forcément réceptive? "Il faut déjà que la DG reconnaisse la fonction achats!", s'est exclamée Natacha Tréhan, directrice du Desma de l'IAE Grenoble (Université de Grenoble). "Mais pourquoi ne la reconnaît-elle pas, alors que, dans certains secteurs, les achats représentent 60% du chiffre d'affaires?" Des applaudissements dans la salle ont salué le propos. "Pour qu'elle les reconnaisse", a repris Natacha Tréhan, "il faut lui parler de la notation extra financière de l'entreprise. Dans la notation, il y a le GRI4 qui comprend, sur 48 éléments, 12 éléments relatifs aux achats. Il faut aller voir la DG. Lui dire que la notation extra financière est essentielle... et qu'il faut donc accueillir la direction des achats au Comex..." Nouveaux applaudissements.
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Penser et travailler "out of the box"
L'acheteur se doit aussi de mettre de l'humain dans la relation avec ses fournisseurs. "C'est une constante", a estimé Corinne Cuisinier, "les rapports acheteurs/fournisseurs sont davantage un rapport de force qu'une relation partenariale." Et bing. Développer une relation partenariale avec ses fournisseurs, c'est d'abord se rendre accessible : "Les process achats trop lourds, et notamment les CGA, empêchent les grands comptes de contractualiser avec des petites entreprises", a rappelé Clara Gaymard. Pourtant, "elles ont un dynamisme, une capacité d'innovation importante et les deux ont à gagner à travailler ensemble." Quant aux startups, "il faut les traiter différemment pour attraper l'innovation au berceau", a lancé Clara Gaymard. S'adapter car "elles n'ont pas le même système de pensée" et changer ses modes de fonctionnement en acceptant de faire rentrer dans le spent des entreprises hors cadre. "Il faut laisser les acheteurs travailler avec les startups, leur donner de la souplesse, leur faire confiance. Il nous faut désapprendre et les laisser prendre des risques", a plaidé Marc Sauvage. "Une direction achats doit prendre des risques."
Etre partenaire, c'est aussi payer ses fournisseurs à temps: "Je rencontre tous les jours des entreprises qui meurent car vous ne les payez pas assez vite", a insisté Clara Gaymard. Pour une fois que le message ne venait pas de lui... Pierre Pelouzet jubilait.
Etre partenaire, a souligné Corinne Cusinier, c'est aussi accompagner la croissance de ses fournisseurs."Quand on est un grand groupe, par exemple, on a des capacités pour s'organiser à l'exportation et cela ne coûte pas grand chose d'emmener des fournisseurs et de les aider à se développer. Il faut dynamiser le système". Il convient aussi, selon Clara Gaymard, d'"investir dans leurs solutions", a commenté Clara Gaymard: "pas être simplement acheteurs, mais aussi investisseur."
"Les situations évoluent à toute vitesse: vous ne pouvez plus appliquer les modèles établis et pratiquer des copier-coller",a synthétisé Natacha Tréhan, directrice du Desma de Grenoble IAE (Université de Grenoble), qui invite l'acheteur à devenir "acheteur entrepreneur". Il faut remettre en question nos fondamentaux et nos outils; appliquer une démarche entrepreneuriale, développer de nouvelles applications collaboratives", a coutume de dire celle qui croit dur comme faire que "demain, les acheteurs n'achèteront plus des produits, mais des solutions, des usages". Et, ne jamais oublier: "les achats doivent être business oriented", selon l'expression de Natacha Tréhan, qui a trouvé appui auprès de Jean Bouverot, directeur des achats hors armement du ministère de la Défense, intervenu depuis la salle: "pour reconnaître une bonne idée quand on est acheteur, il faut savoir qu'en faire dans le business".
Les achats "qui doivent (aussi!!) se rendre sexy en interne", comme l'a assuré Jean Bouverot, ont une dernière petite mission à accomplir... A Marc Sauvage qui lui demandait ce que le président de LVMH, Bernard Arnault demande à ses acheteurs (Clara Gaymard est membre du conseil d'administration de LVMH), a répondu: "la créativité"! La conclusion sera pour Godefroy de Bentzmann: "Les bons vieux modèles que vous aimez n'existent plus", a t-il asséné...
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Allez, courage!