"L'enjeu est d'accompagner le business, de trouver des solutions à leurs problématiques et d'accompagner l'innovation fournisseurs"
Trouver des solutions aux problématiques métier, rendre opérationnelle l'innovation, anticiper les dépenses sur le plan énergétique... Les achats de LafargeHolcim France sont "complètement en support du business", expliquait Luc Jeanneney, alors qu'il en était encore le responsable...
Je m'abonneDepuis notre entretien, et après, 25 ans aux achats, Luc Jeanneney, qui était directeur achats de LafargeHolcim France, a changé de poste en interne. Il est à présent directeur stratégie pour LafargeHolcim France où il est en charge de la stratégie, du développement et des fusions/acquisitions. Son expérience d'acheteur sera indéniablement un atout pour mener à bien ses nouvelles missions: "Le métier achats, c'est établir une stratégie dans laquelle on va faire converger les objectifs des partenaires et des fournisseurs avec ceux de l'entreprise. C'est ce savoir faire ainsi que mon expérience dans différents domaines industriels en France et à l'international que j'apporte dans ma nouvelle mission". A la direction achats de LafargeHolcim France, il a été remplacé par Fabrice Pisu. Si Luc Jeanneney a changé de poste, ce qu'il nous a confié des achats de LafargeHolcim reste d'actualité.
Quel est LE challenge de la direction achats de LafargeHolcim France?
Accompagner les lignes de produits et l'activité opérationnelle pour leurs challenges : la conquête des marchés, un positionnement prix compétitif et le développement de l'innovation. Nous aidons les équipes opérationnelles à la fois par une organisation adaptée, des ambitions et une équipe ancrée dans le business. LafargeHolcim en France, c'est 400 sites industriels. Il faut avoir à la fois une vision centralisée et aussi être proche des opérationnels au niveau local ; l'enjeu de l'organisation achats est de croiser les marchés produits et fournisseurs avec notre organisation interne.
Nous, LafargeHolcim France, opérons avec trois lignes de production bien distinctes : le ciment, le béton prêt à l'emploi et les granulats. L'enjeu est, entre autres, d'accompagner le business, de trouver des solutions à leurs problématiques, d'accompagner l'innovation fournisseurs, tant sur les produits, les process et les modes de commercialisation. Afin de bien comprendre notre environnement et les enjeux du business, mais aussi de favoriser la collaboration entre nous, j'invite lors de la réunion mensuelle de l'équipe achats une personne de l'entreprise qui vient nous parler de son activité. L'acheteur est un homme chef d'orchestre qui gère une relation de plus en plus complexe et qui doit maîtriser un faisceau de contraintes et d'opportunités.
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Etes-vous drivé par la quête de l'innovation ?
Intégrer des innovations pour améliorer et développer le business est effectivement majeur pour nous. Même avec des produits standards que nous produisons depuis longtemps, comme le béton, nous développons régulièrement des innovations. C'est ainsi que le Groupe a, par exemple, développé le Ductal, un béton fibré à ultra-haute performance; très résistant qui permet de faire des produits complexes d'un point de vue architectural. Il a par exemple servi au Mucem de Marseille ou à la fondation LVMH dans le bois de Boulogne. Nous avons également développé des bétons auto-plaçants,...
Nous travaillons aussi depuis quelques années sur un autre produit qui est l'Airium, une mousse minérale qui vient remplir des blocs de béton produits chez nos clients pré-fabriquants. C'est une solution novatrice qui répond aux nouvelles normes d'isolation thermique. Le sourcing des matières premières a été réalisé très en amont et plus récemment, l'équipe achats a travaillé sur les moyens industriels à mettre en place chez nos partenaires (machine à injecter...). On est un peu hors du cadre du métier d'acheteur traditionnel, mais nous sommes complètement en support du business.
L'innovation, chez nous vient beaucoup du centre de recherche mondial du Groupe qui se trouve à l'Isle d'Abeau, et qui héberge également le laboratoire d'essai de nos activités France. Nous avons une R&D qui "pousse". Mon rôle à moi n'est pas tant de chercher l'innovation, ici, c'est de la rendre opérationnelle, de voir comment la lancer et l'industrialiser. Le travail de la direction achats France se fait donc davantage dans la mise en application opérationnelle et dans la quête de fournisseurs.
L'enjeu est de chercher l'innovation, d'accompagner sa concrétisation, sa contractualisation et d'élaborer une relation gagnant-gagnant avec nos fournisseurs.
Quelle relation entretenez-vous avec la finance?
Nous avons un vrai dialogue avec la finance, à laquelle nous sommes d'ailleurs rattachés, pour le suivi des achats - des gains achats et des budgets. Cette collaboration est essentielle pour expliquer et retrouver le travail des achats dans le P&L. On arrive à connaître la contribution des achats à l'amélioration des résultats de l'entreprise. Et ces résultats, identifiés sur nos trois lignes de produits, nous donnent une vraie crédibilité.
Le travail le plus intéressant se fait sur l'anticipation des dépenses, et notamment sur le pan énergétique. L'énergie représente 10% de notre budget achats (1 milliard) et le diesel représente 25% du coût transport. Nous avons des contrats de fourniture à long terme et la direction achats a mis en place un système de couvertures financières, c'est-à-dire du hedging, sur les commodités avec des marchés dit "à terme", type électricité et produits pétroliers. Ces opérations sont réalisées avec les équipes trésorerie du groupe, pour anticiper les variations des marchés afin de sécuriser l'exécution de nos budgets. Rien n'est pire que d'être victime de la volatilité des marchés. Anticiper les coûts sur des marchés volatiles est essentiel pour nous.
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Un secret à nous dévoiler dans votre gestion de risques ?
Je surveille régulièrement l'indice PMI "Purchasing Manufacturing Index" qui est un indicateur avancé sur l'état et l'évolution des différents secteurs d'activité : les index par pays et par secteur permettent d'avoir des prévisions d'intention d'achats. On est là sur de la macro-économie : on mesure ainsi les tendances sur les marchés qui permettent d'anticiper les coûts. Je suis très à l'écoute des marchés qui drivent nos structures des coûts. Etudier les structures des coûts me permet de mieux les anticiper. Sur une bonne partie de nos familles d'achats, nous avons réalisé des modèles de structures des coûts qui me permettent de calculer un coût prévisionnel, le "should be cost". J'apprécie tout particulièrement le costing achats qui permet en anticipation d'obtenir un ordre de grandeur de nos prix d'achats.
Fiche entreprise
Activité de LafargeHolcim : leader mondial des matériaux et des solutions de construction (3 lignes produits : ciment, granulats, bétons)
CA : groupe = 26,9 milliards de CHF
Effectif total : groupe 81 000, en France 5 000
Budget achats France : 1 milliard
Effectif achats France : 36 personnes
L'innovation vous est-elle aussi proposée par vos fournisseurs?
Bien sûr! Nous sommes très à l'écoute de nos fournisseurs qui peuvent apporter de vraies solutions innovantes. Je pense notamment à une innovation en cours de développement qui a émergé d'une discussion avec un fournisseur. C'est un capteur de charge installé sur les camions-toupie, qui permet de connaître en temps réel la charge exacte du poids lourds et de l'optimiser, en restant conforme à la règlementation. C'est un réel gain de temps puisqu'il n'est pas nécessaire de peser les véhicules après le chargement et d'ajuster la charge si nécessaire. C'est là un vrai plus qui a été développé avec un fournisseur et un transporteur.
Nous avons aussi une autre innovation en cours, actuellement testée à Nice, toujours sur le transport : un camion toupie Hybride, sur lequel le moteur de toupie est électrique. Normalement, la toupie est entraînée par le moteur du camion, qui tourne au gazole. C'est lourd - il y a tout de même 6 à 7 tonnes de béton dans un camion toupie -, c'est bruyant et cela pollue. Le moteur électrique sur lequel nous avons travaillé avec des transporteurs partenaires permet de réduire le bruit et bien sur la consommation de carburant.
Nous accompagnons les partenaires qui développent des innovations et, en contrepartie, nous leur donnons la perspective de continuer à travailler avec nous. Conformément à nos engagements, nous agissons donc, notamment par ce type d'innovations, pour réduire l'impact environnemental de nos activités.
Comment gérez-vous la propriété intellectuelle en cas de développement d'innovation avec des partenaires?
Cette question est traitée au cas par cas, en fonction des apports spécifiques de chaque partenaire. Néanmoins en cas de co-développement une période d'exclusivité est généralement convenue pour une durée limitée.
Comment la RSE se décline-t-elle chez LafargeHolcim?
Sur le sujet de la RSE, nous avons démarré il y a très longtemps. Nous avons un code de conduite des affaires fournisseurs élaboré par le groupe. En France, nous sommes signataires de la Charte et nos conditions générales d'achats sont alignées sur les dernières recommandations de la Médiation inter-entreprises. Au-delà des évaluations, nous allons maintenant basculer dans une phase plus opérationnelle et mener des audits chez les fournisseurs. Nous allons développer ces audits dans le cadre de l'installation sur notre usine de Martres-Tolosane (Haute Garonne) d'une toute nouvelle ligne de cuisson du clinker (produit de base du ciment, obtenu à partir de la cuisson d'un mélange de calcaire et d'argile). Le plus gros projet d'investissement de LafargeHolcim en France depuis 40 ans avec 100 millions d'euros d'investissement.
Nous sommes notamment très vigilants sur les questions de la sécurité au travail. Notre première mission est d'assurer la santé et la sécurité sur nos sites de production. Il nous incombe de nous assurer que notre personnel, mais aussi les sous-traitants et les prestataires qui travaillent sur nos sites, rentrent chaque soir chez eux en bonne santé et sans avoir été blessés. C'est une ambition RSE forte du groupe LafargeHolcim qui requiert un engagement des tous les managers et de leurs équipes. Aux achats et aux approvisionnements, nous sommes aussi porteurs de cette ambition. J'incite ainsi mes acheteurs à aller voir nos fournisseurs sur les sites pour échanger avec eux et vérifier qu'ils respectent les protocoles de sécurité, qu'ils ont bien tous les EPI, etc. Ils maîtrisent donc le sujet et sont crédibles lors de négociations avec les fournisseurs. Et tous les 15 jours, un "¼ d'heure sécurité" réunit les équipes pour 15 minutes d'échange sur un thème santé/sécurité.
La RSE, c'est aussi l'économie circulaire dans laquelle je vous sais très engagé...
Notre industrie émet beaucoup de CO2 et nous avons pris le problème à bras le corps. Notre enjeu est de réduire les émissions de CO2 liées à nos activités, notamment en produisant du ciment émettant moins de CO2. Pour réduire ces émissions, nous avons travaillé sur la valorisation des déchets. Plutôt que d'acheter des matières premières ou des combustibles, nous valorisons doublement les déchets : en énergie et aussi en matière. Par exemple nous brûlons les vieux pneus qui ont un pouvoir calorifique pour le four et les autres composants, la carcasse en fer par exemple, rentrent dans la composition du ciment. On brûle aussi des déchets bois, une de nos usines à Contes (Alpes Maritimes) a été choisie comme site pilote dans le cadre du green deal signé par l'industrie cimentière avec le gouvernement. Cela fait des années que nous investissons régulièrement pour pouvoir incinérer des matériaux très différents. Aujourd'hui, 50% de notre énergie provient des activités de valorisation de déchets et nous avons l'ambition d'arriver à 70% dans 5 ans.
Autre activité éco-circulaire, le recyclage de matériaux de déconstruction collectés par notre propre filière qui opère sous une marque dédiée, aggneo. Ils peuvent avoir deux finalités : soit être ré-exploités pour combler nos carrières dans le cadre des plans de réaménagement post-exploitation, soit être transformés en granulats recyclés, pour la construction des routes ou pour faire du béton destiné aux bâtiments. Aujourd'hui, nous proposons des bétons qui contiennent des granulats recyclés dans la limite des seuils autorisés par la réglementation. Pour la mise en oeuvre, il faut qualifier ces matériaux et ensuite les traiter pour les recycler. Nous avons cherché, et identifié, des prestataires capables de caractériser ces matériaux. Nos produits sont à base de matière première extraite des sols, mais si on en extrait moins, c'est la société dans son ensemble qui y gagne, et tout cela s'inscrit dans une évolution vertueuse du système économique et son environnement.
Comment gérez-vous / anticipez-vous la baisse des réserves de sable annoncée ?
Anticiper les besoins en ressources fait partie de notre métier des granulats. Nous disposons de nombreuses carrières partout en France, et nous avons constamment plusieurs projets d'extension ou de création en cours. Tout l'enjeu est de maintenir le maillage territorial dans le temps pour limiter les coûts de transport, puisque nous sommes sur des produits volumineux qui nécessitent de grandes capacités de transport.
Les achats sont-ils parties prenantes lors d'ouvertures de carrières?
En amont, ces sujets sont gérés par des équipes dédiées au sein de l'entreprise, les experts fonciers, des géologues, etc. Au niveau des achats, nous intervenons plus en support, par exemple pour les prestations de drones. Les drones sont utilisés pour faire des relevés d'exploitations de nos carrières. Ils nous permettent de faire les inventaires de stocks, de mesurer les fronts de carrière, avec des relevés informatiques. Nous avons sourcé les prestataires sur ce marché émergent et nous sommes à présent opérationnels.
Comment sont structurés les achats au sein du Groupe LafargeHolcim ?
Nous avons une direction achats groupe qui travaille avec des category managers qui assurent la coordination par zones, sur leur périmètre. Ils donnent les grands axes de travail avec les fournisseurs sur les zones sur lesquelles on va consulter, les objectifs. L'enjeu est d'avoir le bon coût qualité/délai. Il n'y a pas que le prix car il est important d'apprécier le risque en termes de qualité. Nous considérons l'ensemble du périmètre de la prestation. On travaille main dans la main avec ces category managers. Par exemple, nous venons de lancer un appel d'offres sur des pièces de fonderie sur le périmètre EMEA et c'est un acheteur France qui a piloté le dossier avec un category manager du groupe. Idem sur les bigs bags qui sont brandés Lafarge et qui a nécessité une interface avec la direction marketing.
Et la direction achats France?
La France fait partie des filiales importantes du groupe. Nous avons donc une vraie structure achats. L'équipe, composée de 36 personnes, est structurée autour de deux métiers: le "sourcing to contract" (qui réunit 60% des effectifs) et le "procurement to pay" (40% des effectifs). Les acheteurs interviennent sur 3 périmètres : les achats directs, les achats indirects et le transport. Nous avons trois profils d'acheteurs : centraux, régionaux et locaux, ce qui permet à notre organisation de coller au business en termes géographiques et en termes d'organisation opérationnelle. Et petit détail, qui n'en est pas un : notre organisation achats correspond à la structure de P&L, c'est à dire le compte de résultat de l'entreprise, ce qui facilite le dialogue avec la finance.
En fonction des enjeux des marchés, nous sommes capables d'adresser correctement tous les sujets pour les trois lignes de produits, quelle que soit leur localisation, avec une complexité : nous avons 10 000 fournisseurs actifs. Des gros et des petits, avec un ancrage local très important. LafargeHolcim France est très présent dans les territoires et nos achats sont réalisés à 95% en France.
Est-ce à dire que vous privilégiez les achats en local et non pas les contrats globaux?
La question "est-ce que je prends un contrat avec un fournisseur national qui va adresser l'ensemble de mes sites" ou "est-ce que je laisse une souplesse en local pour traiter avec des fournisseurs locaux" est celle que l'on se pose systématiquement et on y répond au cas par cas. Nous avons des contrats avec des fournisseurs nationaux pour couvrir certains besoins de tous les sites, mais nous laissons aussi une grande latitude aux sites pour contractualiser en local et ainsi favoriser le tissu économique local. Prenons l'exemple des vêtements de travail qui doivent respecter des normes très strictes en termes de visibilité, de sécurité et de résistance. Idem pour les équipements de protection individuelle (EPI). Nous avons des fournisseurs nationaux pour ces deux types d'équipements. L'enjeu est d'être capable d'adresser une organisation atomisée, plus de 400 sites en Fracne, et d'avoir un niveau de service équivalent pour tous les sites.
Sur des sujets tels le nettoyage industriel, nous avons une ouverture complète à des fournisseurs locaux. Et il est aussi toujours intéressant de challenger des fournisseurs nationaux avec des fournisseurs locaux. Cela fait progresser tout le monde. Il n'y a rien de pire que de garder 10 ou 15 ans le même fournisseur, car tout le monde prend de mauvaises habitudes. Changer de fournisseur est une source d'inquiétude pour les opérationnels. Il faut être présent très en amont auprès d'eux, afin de les accompagner et leur présenter le bénéfice à en tirer. Le vrai travail est de savoir quand il est judicieux de relancer un appel d'offres. Ce doit être fait à une fréquence régulière, tout en s'adaptant à chaque famille d'achats. Il faut aussi rassurer nos partenaires et savoir s'adapter et ne jamais être dans des schémas rigides.