Le coronavirus donne-t-il la permission de ne pas payer ses créanciers ?
Même si le Covid-19 était un cas de force majeure, les débiteurs ne pourraient pas l'invoquer pour ne pas payer leurs créanciers qui ont exécuté leur part du contrat. Les débiteurs ne sont cependant pas démunis pour différer, en raison de la crise, le paiement des sommes dues.
Je m'abonneInvoquant la force majeure du fait de l'épidémie de Covid-19, certains professionnels débiteurs ont informé leurs créanciers qu'ils ne paieront pas les sommes dues pendant la crise sanitaire et demandent le report des échéances.
Pourtant, indépendamment de savoir si la crise due au Covid-19 est un cas de force majeure au sens du droit civil, la jurisprudence est claire : la force majeure ne peut pas être invoquée pour ne pas payer ce qui est dû lorsque le créancier a exécuté son obligation (par exemple livraison de produits)1.
Cependant, le droit français donne aux débiteurs d'autres moyens pour différer le paiement. En outre, les mesures prises récemment par le gouvernement reviennent à permettre aux débiteurs de ne pas payer pendant la crise sanitaire.
Pas besoin d'invoquer la force majeure pour ne pas payer dans l'immédiat
En cas de poursuite judiciaire par le créancier pour obtenir le paiement, le débiteur peut solliciter du juge, des délais de paiement pouvant aller jusqu'à deux années.
Le juge peut aussi réduire l'intérêt à un taux au moins égal au taux légal ou décider que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.
Enfin, la décision du juge suspend les procédures d'exécution engagées par le créancier. Les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant un délai fixé par le juge. Bien évidemment, ces mesures doivent être justifiées par la situation du débiteur2.
Cependant, du fait de la période de confinement, l'activité des tribunaux étant réduite aux procédures d'urgence, le risque pour le débiteur d'être judiciairement poursuivi en paiement par ses créanciers et d'être condamné par un tribunal pendant la période de confinement est très faible.
Par ailleurs, indépendamment de toute situation d'exception, en cas de procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire) le débiteur peut être exempté de payer tout ou partie de sa ou ses créances ou à tout le moins en différer le règlement.
Les mesures du gouvernement permettent de ne pas payer
Les mesures prises récemment par le gouvernement permettent aux débiteurs de ne pas payer pendant la crise sanitaire en limitant les conséquences de ce défaut de paiement.
Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires et de déchéance sanctionnant l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé sont paralysées si ce délai a expiré pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire fixée à ce jour au 24 mai 20203. A l'issue de cette période, et si le débiteur n'a toujours pas payé, l'application des astreintes et clauses susvisées, est reportée pour une durée égale au temps écoulé entre le 12 mars (ou la date à laquelle l'obligation est née) et date à laquelle elle aurait dû être exécutée.
Par exemple, si une échéance était attendue le 20 mars 2020 (huit jours après le 12 mars 2020), la clause pénale sanctionnant le non-respect de cette échéance ne produira son effet que huit jours après la fin de la période juridiquement protégée (24 juin 2020). De même, si une clause résolutoire, résultant d'une obligation née le 1er avril devait prendre effet, en cas d'inexécution, le 15 avril, ce délai de 15 jours sera reporté de 15 jours à compter du 24 juin4.
Ainsi, le créancier perd tout moyen de coercition contre le débiteur pendant une assez longue période.
Il peut cependant sans doute suspendre ses propres prestations ou livraisons, nul ne pouvant obliger un créancier à continuer à travailler avec un partenaire qui ne le paie pas, même si le défaut de paiement est explicable. Pour éviter d'en arriver à une telle situation de blocage, la communication et la recherche de solutions amiables qui permettraient aux deux parties de passer la crise est bien sûr à privilégier.
En outre, pour les astreintes et les clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020, leur application est suspendue pendant la période susvisée.
Vigilance toutefois, l'ordonnance ne dit pas que les intérêts de retard qui ne sont ni des astreintes ni des clauses pénales sont suspendus. Il est donc possible que ceux-ci continuent à courir, y compris lorsqu'ils sont majorés conformément à la loi en cas de retard de paiement5.
Par ailleurs, certaines factures font l'objet d'une attention particulière de la part du gouvernement (eau, gaz, électricité et loyers des locaux professionnels).
Pour sécuriser la situation financière de chacun et préserver la relation commerciale, la recherche d'un accord amiable avec par exemple la définition d'un plan de lissage des créances entre le débiteur et le créancier reste l'option à privilégier.
Xavier Henry et André Bricogne, avocats à la cour. Henry & Bricogne est un cabinet d'avocats dédié au droit des affaires avec une très forte expertise en contrats commerciaux, droit de la concurrence, droit de la distribution et droit de la responsabilité, en conseil comme en contentieux. Le cabinet accompagne les entreprises françaises et internationales dans toutes leurs activités.
1.Com.16 septembre 2014, n° 13-20.306.
2. Article1343-5 du code civil.
3. Article 4 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, modifiée par l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020.
4. Exemples donnés par le Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020.
5. Article L. 441-10 du code de commerce.