[Tribune] Achats : comment rester stratégique à l'heure de l'agilité
Les adeptes de l'agile voient les achats comme un frein à l'innovation et les contournent pour les cantonner à des fonctions administratives. A charge donc pour les achats de se réinventer pour apporter une vraie valeur dans la démarche.
Je m'abonne90% des entreprises déclarent avoir lancé des projets en mode agile, impactant les modes de fonctionnement de certaines fonctions comme le marketing et la DSI. Certains acteurs tels que ING, AXA, Allianz ou encore SKF ont décidé de généraliser l'approche à l'ensemble de leur organisation (agilité à l'échelle). Cela se traduit souvent par la mise en place d'écosystèmes, sorte de communautés pluridisciplinaires travaillant autour d'un même objectif pour un même groupe de clients. Découlent de ces écosystèmes des petites équipes (des squads) autonomes et en capacité de prendre des décisions. Ces nouveaux modèles sont inspirés du monde des éditeurs de software mais aussi de modèles plus médiatiques comme celui de Spotify.
Si ces transformations sont nécessaires, comme une anticipation pragmatique aux révolutions que certains s'apprêtent à vivre, cela n'est pas sans conséquences pour les achats qui voient évoluer d'une part leur positionnement dans ces nouveaux modes de fonctionnement, d'autre part le besoin de leurs prescripteurs :
- modes d'interventions nouveaux;
- fournisseurs inconnus au panel;
- délais de sourcing raccourci;
- visibilité planning et budgétaire floue...
Le mode agile : un vrai challenge pour les achats
C'est en effet un nouveau mode de fonctionnement que les départements achats auraient tort de considérer comme une passade, car si l'approche agile génère autant d'engouement, c'est qu'elle permet à l'entreprise d'assurer la cohérence avec le besoin client tout en réduisant le time to market. Et ça marche ! Trois fois plus de projets aboutissent avec succès en adoptant une approche agile comparé à une approche traditionnelle.
La recette miracle ? Simplicité et voix du client. Les équipes agiles travaillent par boucles courtes : un objectif simple, des délais courts et des revues régulières avec le client. La planification à outrance est ainsi proscrite, se faisant au fur et à mesure des boucles et retours client. Il faut donc assurer la disponibilité de la bonne compétence au bon moment et tout de suite : c'est le nerf de la guerre et un challenge redoutable pour les organisations achats traditionnelles. Or, les achats ne sont en effet pas toujours adaptés à ces nouvelles évolutions. Le mouvement croissant d'externalisation et la consolidation de certains marchés auprès de fournisseurs globaux les ont poussé à se processer, à se centraliser, ce qui a permis de gagner en pouvoir de négociation mais a eu pour conséquence de diminuer la proximité avec les prescripteurs, de perdre en flexibilité, d'appauvrir la diversité des panels fournisseurs.
Ces évolutions qui ont permis la sécurisation de la relation fournisseurs, l'augmentation du niveau de contrôle budgétaire... ont aussi abouti à des processus plus lourds et souvent mal digitalisés. Il n'est pas rare de voir des processus de validation réclamant jusqu'à 6 approbateurs par boucles : les délais d'exécutions trop longs sont une "douleur" récurrente". A cela s'ajoute le fait que les approches agiles sont fondées sur la découverte progressive des attendus et une consommation itérative du budget en fonction des résultats. Or jusqu'ici le besoin avait toujours été exprimé de manière figée.
Sans description précise du scope, comment construire le budget et les délais associés, éléments clés habituellement nécessaires aux appels et contractualisations d'offres ?
Assez d'éléments pour que les adeptes de l'agile voient les achats comme un frein à l'innovation et les contournent pour les cantonner à des fonctions administratives. A charge donc pour les achats de se réinventer pour apporter une vraie valeur dans la démarche.
Une réinvention qui doit passer par un changement organisationnel
Les achats doivent non seulement réinventer leur organisation mais aussi rechercher de nouvelles compétences afin de se rapprocher du prescripteur, par exemple en détachant dans certains cas un acheteur au sein même d'une squad, un profil qui doit posséder des compétences techniques et agiles de façon à savoir détecter et comprendre rapidement le besoin. Il pourra ainsi adapter le processus sans perte de temps et décliner pertinemment la stratégie des achats. De plus, les panels fournisseurs évoluent avec la multiplication de start-up et de petites structures locales innovantes : l'accompagnement au développement fournisseur nécessite alors des acheteurs implantés localement et proches des problématiques techniques.
Réviser et alléger les processus achats pour les rendre plus rapides
Il n'est en effet pas rare d'identifier jusqu'à 90% de tâches à non-valeur ajoutée sur ces processus, notamment en phase de validation. Des initiatives Lean ont ainsi permis d'accélérer les processus sans atténuer leur efficacité.
Cela passe par la suppression des redondances : exit l'approbateur sollicité 3 fois à 1 semaine d'intervalle. Par la diminution des temps d'attente, qui passe souvent par l'automatisation de tâches à faible valeur ajoutée telles que les relances, ou par l'identification claire des acteurs et des prochaines étapes qui permet d'engrener le processus sans temps de flottement.
La qualité est aussi au coeur de la démarche avec de l'autocontrôle et des détrompeurs. Et, comme toute action Lean, l'homme doit être au coeur de la démarche avec une meilleur adhésion des différents acteurs via une digitalisation intelligente (outil simplifié et plus visuel, alertes correctement quantifiées, etc.).
Un changement de paradigme pour les achats
Traditionnellement, comme par exemple lors d'un développement en cycle en V, un projet était défini en fonction d'un périmètre figé, le coût et les délais étant considérés comme des variables libres. L'appel d'offres permettait par la suite de figer ces deux paramètres et les achats s'assuraient du respect de ce triptyque. Avec l'approche agile c'est au contraire les délais et les coûts qui sont fixés ; le périmètre quant à lui reste libre tout au long du développement. Cela nécessite de revoir ses habitudes (KPI, tactique de négociation, etc.) et de passer de contrats parfois trop rigides à des contrats construits autour d'un principe de flexibilité.
Changement du paradigme périmètre-coût-délais : approche en cycle en V vs approche agile
Les projets en approche agile ont débouché naturellement sur un principe d'agilité à l'échelle : c'est l'ensemble de l'organisation qui doit se transformer pour accompagner les développements projets et innovations afin de maximiser les bienfaits de l'agilité. Les achats, qui ont connu un formidable essor et ont mûri dans leurs pratiques ces dernières décennies, disposent aujourd'hui des outils et des compétences pour se réinventer et rester une fonction stratégique de l'entreprise. Il s'agit pour eux de continuer à assurer avec brio leurs missions actuelles tout en revenant aux fondamentaux : mettre au centre de leurs préoccupations la relation avec leurs prescripteurs.
Par Noémie Escaith et Grégory Richard - experts chez Ayming