Quel avenir pour les TMC ?
Concurrencées frontalement par des offres technologiques innovantes, les agences de voyages se retrouvent remises en question sur leur utilité en tant qu'intermédiaire. Si elles ne sont pas menacées dans leur existence, leur avenir passe néanmoins par un repositionnement stratégique indispensable.
Je m'abonneEn 2017, l'entreprise Sodexo donnait naissance à Rydoo, nouvel entrant sur le marché du tourisme d'affaires. Une offre de bout en bout qui concurrence directement les agences de voyages puisqu'elle invite tout simplement les entreprises à se passer des services de ces acteurs historiques. En un seul outil, on retrouve chez Rydoo une gestion de réservations, des paiements, des reportings, des communications en cas de problème, etc. De quoi se poser la question de l'avenir des intermédiaires du secteur. Tristan Dessain-Gelinet, cofondateur de l'agence de voyages d'affaires Travel Planet, estime que le paysage du secteur n'évolue pas aussi vite qu'il ne le devrait.
Au sein des agences de voyages, les discours se caractérisent toujours beaucoup par des annonces, des déclarations d'intentions, mais qui ne se traduisent pas réellement par des innovations notables dans les faits. Dans la plupart des TMC (Traval Management Companies), on se contente de nouveautés mineures en partant du principe que tant que le marché fonctionne de la sorte, celles-ci sont suffisantes. Ce manque d'anticipation peut avoir des conséquences redoutables à l'avenir.
L'accélération technologique des dernières années contribue fortement à modifier les enjeux pour les agences. Les grandes entreprises avaient jusque-là plusieurs outils et une agence de voyages. Elles s'intéressent aujourd'hui beaucoup à la question de la mobilité, aux possibilités d'innover et de simplifier la gestion des déplacements, confie Paulo Catalao, directeur Account Management chez le fournisseur de solutions KDS.
Aujourd'hui, les approches intégrées avec des outils Travel & Expense de ce type ont vocation à être au coeur du dispositif client. Ces solutions donnent aujourd'hui satisfaction à l'ensemble des services, pas seulement au niveau des achats, mais aussi au niveau des directions financières.
Une redistribution des cartes
L'existence même des TMC n'est pas en danger car les grandes entreprises ont besoin d'intermédiaires, relativise Tristan Dessain-Gelinet. Par ailleurs, dans l'Histoire, lorsque la voiture est apparue, le carrosse et le fiacre n'ont pas disparu du jour au lendemain. Mais à terme, pour certaines d'entre elles, le modèle économique deviendra intenable sans réel changement d'approche. Si le TMC n'est là que pour émettre des billets et pour être un passeur de plat entre un fournisseur et une entreprise cliente, ce n'est pas viable à long terme.
Jusque-là, le fournisseur a toujours rémunéré la TMC pour diffuser son contenu. Avec les changements qui se produisent actuellement, le fournisseur estime de plus en plus souvent qu'il est en mesure de diffuser seul son contenu. Et le contexte économique fait qu'il peut choisir son mode de distribution. On distingue quatre acteurs dans le tourisme d'affaires :
- le SBT, sur la partie concernant l'interface soumise à l'utilisateur final,
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- le GDS qui rassemble les contenus,
- les TMC,
- la carte de paiement.
Si on n'intègre pas ces quatre dimensions, "on se retrouve avec quatre secteurs évoluant en parallèle alors que les marges globales se retrouvent divisées par deux", ajoute Tristan Dessain-Gelinet. Conscient de la nécessité de s'adapter à un nouveau contexte, American Express GBT a ainsi fait l'acquisition de la TMC britannique HRG et de KDS au cours des dernières années, afin de renforcer à la fois son maillage stratégique et sa capacité d'innovation technologique.
La volonté de pouvoir offrir des solutions de bout en bout a été un des critères de décision essentiels sur ce plan. Il s'agit de pouvoir mieux gérer l'ensemble des dépenses pour le client. N'oublions pas qu'environ 50 % de celles-ci ne sont pas gérées par les agences (frais annexes, repas, etc.). La demande des clients est forte pour évoluer dans ce sens. "GBT a aussi misé sur les compétences et l'esprit d'entreprise de KDS, ce qui va faire naître de nouvelles technologies. De nombreux investissements ont lieu pour mieux choisir les bons fournisseurs", explique Julien Kauffmann, vice-président et directeur général France, Benelux et Europe du Sud d'American Express GBT.
Vers une recomposition au sein des acteurs historiques ?
Paulo Catalao affirme que Amex GBT a fait l'acquisition de KDS car ils ont compris que s'ils ne se connectaient pas mieux au client, par le biais des services que l'on propose, ils seront déconnectés des attentes. Le risque est que la société cliente et ses voyageurs soient frustrés par une offre trop restreinte. La nouveauté est que les acteurs historiques doivent aller au-delà de leur métier en disposant aussi d'offres propriétaires également sur la partie Expense.
Le coût que représente une agence de voyages peut être élevé et pose aujourd'hui un problème. Les modifications et annulations de billets sont par exemple à l'origine de coûts qui pourraient disparaître. KDS travaille actuellement sur le fait de pouvoir modifier les voyages rails après émission. Le rôle des agences est plus que jamais au coeur des débats. Julien Kauffmann le résume comme une nécessité de gérer les contradictions des clients qui veulent plus de choix, prendre moins de risques, avec plus de diversité...
Paolo Catalo considère que les TMC sont là pour apporter un service complémentaire, pas seulement une billetterie. Elles sont importantes au niveau achats, sourcing, mais aussi en termes de service, et de conseils. Tristan Dessain-Gelinet estime quant à lui qu' "elles doivent devenir l'acteur qui propose, voire qui développe la solution technologique nécessaire et qui la met en oeuvre". La TMC a un avenir si elle est tout à la fois éditeur, opérateur et intégrateur de bout en bout. On peut tout à fait imaginer à l'avenir que des mutations importantes proviennent de sociétés issues d'autres domaines d'activité comme l'IT.
Un besoin d'agilité
L'une des clés pour l'avenir des TMC serait de pouvoir proposer du sur-mesure. CWT dispose par exemple d'une offre modulable. "Si le client veut du tout en un, nous sommes en capacité de lui proposer. Nous avons des accords privilégiés avec des partenaires technologiques comme des outils de réservation en ligne, de gestion de notes de frais. Nous avons une solution de reporting consolidé qui intéresse beaucoup de sociétés. Elle prend en compte toutes les informations Travel & Expense, ce qui signifie les données d'agence, mais aussi de cartes de crédit ou des outils de notes de frais, afin d'avoir une visibilité complète de toute la dépense relative aux voyages d'affaires. Certains clients préfèrent choisir eux-mêmes un certain nombre d'acteurs technologiques avec lesquels ils souhaitent être en collaboration. Il faut pouvoir répondre également dans ces cas", précise Christophe Renard, vice-président de CWT Solutions Group, la division conseil de CWT.
Les grandes entreprises cherchent souvent des solutions répondant à un certain nombre de critères qui sont très variables, tandis que les PME peuvent être davantage intéressées par des solutions packagées tout en un. Par exemple, une société peut refuser comme mode de paiement la carte American Express et préférer la carte Visa BNP Affaires en raison d'accords financiers existants.
La dimension géographique est un autre point essentiel, notamment vis-à-vis des grands comptes qui ont une envergure mondiale. Les partenariats avec des distributeurs locaux, le fait de travailler à la bonne offre pour chaque pays sont des éléments déterminants.
Sur le rail, les besoins en France ou en Espagne sont très spécifiques. En France, il faut pouvoir vendre les offres SNCF, mais aussi les TER qui sont gérés par les régions, donc il y a un développement technique spécifique à faire car dans le cas des régions, il faut mettre sur place une offre point par point. Il n'y a pas d'interlocuteur global comme au sein de la SNCF pour ce qui est des offres nationales. Les organisations ayant des structures fortes internationalement font alors la différence, illustre Julien Kauffmann.
L'humain en complément des nouveaux développements
Tristan Dessain-Gelinet souligne que "la valeur ajoutée de l'accompagnement humain sera un point crucial pour l'avenir des TMC, mais ce n'est pas le seul. Il doit venir en complément de la technologie, car malgré toutes les innovations prometteuses annoncées, il ne faut pas oublier que celle-ci atteint toujours ses limites. Concrètement, il s'agit de trouver des solutions adaptées, rapides, face à d'innombrables situations de blocage que le voyageur peut rencontrer dans ses déplacements. Les agences de voyages doivent plus que jamais proposer un métier de service, et non pas un métier technique."
Cette évolution implique une révolution culturelle qui, pour l'instant, semble ne pas se produire. "Expliquer aux collaborateurs qu'ils ne vont plus travailler sur des GDS, mais sur d'autres outils permettant de trouver des solutions pertinentes pour les voyageurs en termes de service additionnel ou exceptionnel est un message qui a du mal à trouver un écho. Le poids culturel des années passées fait que beaucoup de collaborateurs au sein des agences affirment que leur savoir-faire premier est de prendre en charge les billets de train ou d'avion" précise-t-il. La réservation sur mobile prend un essor rapide et les TMC se doivent de prendre dès maintenant ce virage.
"Nous avons lancé notre application, "myCWT" via laquelle on peut dorénavant réserver les vols et les hôtels. On observe beaucoup d'intérêt à l'égard de cette innovation. Nous lançons également actuellement une fonctionnalité de messagerie instantanée qui combine l'intelligence artificielle d'un robot capable de répondre à des demandes standards d'un voyageur et l'expertise d'un agent de voyages si les difficultés rencontrées sont plus complexes à traiter", illustre Christophe Renard. À terme, l'application a également vocation à intégrer la réservation des trains ainsi que des véhicules de location.
Les solutions permettant la maîtrise des données sont particulièrement demandées aujourd'hui par les entreprises, tout comme les outils de digitalisation de l'expérience voyageurs. Les données recueillies et interprétées permettent de comprendre les failles, les tendances, les points d'amélioration, soit pour optimiser le poste de dépense que représente le tourisme d'affaires, soit pour mieux répondre à certains besoins manifestes et faire ainsi évoluer la politique voyages. Le volet conseil sur ce plan devient un élément crucial.
Les préoccupations environnementales seront par ailleurs de plus en plus au coeur des conseils à apporter afin de rendre le voyage d'affaires plus responsable. La génération Y, particulièrement sensibilisée à ces enjeux, est celle qui pousse les entreprises à prendre en compte ces notions. "Pour chaque réservation, un bilan carbone extrêmement précis, les alternatives moins consommatrices d'énergies et de ressources polluantes seront de plus en plus intégrés par les travel managers et demandés par les utilisateurs", indique Christophe Renard.