Olivier Djezvedjian (groupe Rocher) : "L'acheteur devient un gestionnaire de projets"
La direction des achats du groupe Rocher pilote actuellement un important chantier stratégique, baptisé projet " Orchis ", en lien direct avec les directions marketing et R&D, dont l'objectif est de réduire de 10% le coût de revient des produits, de " premiumiser " l'image produit du groupe et de redessiner les contours de la relation fournisseurs.
Je m'abonneComment est né le projet " orchis " ?
Le projet Orchis s'inscrit tout d'abord dans l'évolution de notre business model car nous sommes de plus en plus des retailers. Ce projet est donc né concomitamment avec cette nouvelle ambition : passer de la VPC - jusqu'alors canal historique - au retail, véritable canal de croissance aujourd'hui pour nous. Une stratégie qui impacte donc fortement le marchandising de nos produits. Et dans ce domaine, nous changeons radicalement de dimension.
En septembre 2012, la direction générale nous a challengé en nous demandant comment nous pouvions, structurellement, baisser nos coûts de revient de 10% tout en optimisant la qualité perçue des packagings pour nos clientes. Pour y parvenir, nous devions donc envisager de mettre en place une nouvelle stratégie. C'est à la direction des achats qu'a été confié ce challenge car la fonction achat dans l'entreprise est de plus en plus transverse et constitue un vrai vecteur de changement. La clé d'entrée de ce projet était, dans un premier temps, de savoir comment parvenir à faire travailler plusieurs fonctions ensemble et, dans un second temps et au-delà de l'objectif quantitatif, comment arriver à donner du sens à ce projet et remplir l'objectif qualitatif qui était d'augmenter la valeur perçue de nos produits. Le projet Orchis n'est donc pas un projet de réduction de coûts, même si c'est la clé d'entrée. Nous avons réussi à dépasser le cost killing car nos prescripteurs au marketing, notamment, sont devenus moteurs du projet.
Groupe Rocher
- Chiffre d'affaires : 2,5 milliards d'euros en 2014
- Effectif achats : 75 acheteurs (effectif total : 15 000 collaborateurs)
- Volume achats : 1,2 milliard d'euros
- 3 usines principales en Bretagne (85% de la production, 10 000 emplois indirects)
Quelle a été votre approche de travail ?
L'idée était de glisser d'une méthode de travail itérative (comment concevoir un modèle de design ? Comment l'industrialiser ? Comment l'acheter ? Comment le faire vivre dans nos usines ? Comment le mettre sur le marché ?), à une vision beaucoup plus synchrone en faisant travailler, très en amont, les fonctions achats, R&D et marketing avec, en données d'entrées, des fournisseurs comme des agences de design. Nous avons donc misé sur un modèle que nous pourrions appeler de " weight watchers " dans la mesure où nous avons mis en place un système de points à chaque fois que nous développions un nouveau produit.
Ce projet a-t-il modifié les contours de votre relation avec les fournisseurs ?
Ce projet les a faits fortement évolué. En septembre 2013, nous avons décidé de nous adresser, de manière collective avec les directions marketing et R&D, directement à nos fournisseurs en invitant une quarantaine d'entre eux à venir nous rencontrer à Issy-les-Moulineaux, au siège du groupe. Cette rencontre a changé beaucoup de choses car les fournisseurs sont venus nous apporter des éléments de construction que l'on n'aurait pu imaginer. Nous leur avons bien expliqué qu'il ne s'agissait pas d'un projet de cost killing mais bien de s'inscrire, ensemble, dans la construction d'un nouvel écosystème fournisseurs.
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Jusqu'à aujourd'hui, nous avions des plans produits avec six ou sept pots soin du visage avec des développements récurrents car tous les trois ou quatre ans, nous revoyions nos pots. Tous les ans, un pot était donc remis en appel d'offre. Avec un seul pot au lieu de sept, le train va s'arrêter moins souvent en gare ce qui va demander un vrai effort en termes de ressources à mettre en place pour s'assurer que nos fournisseurs vont pouvoir nous accompagner dans la durée.
Nous avons également mis en place un projet industriel de " lean manufacturing " intitulé " Extended Sequoïa ", basé sur la recherche de compétitivité avec une notion de partage de gains. Ce projet requiert de notre part beaucoup d'énergie et nous avons dû faire un travail de " cherry picking " pour sélectionner les fournisseurs les plus matures.
Ce projet a-t-il permis à la direction des achats d'être davantage reconnue ?
Difficile de vous répondre... mais ce que je peux vous dire c'est que mon thermomètre d'indicateurs c'est de savoir si mes collaborateurs ont plaisir à faire leur travail ! Aujourd'hui j'ai le sentiment qu'ils en prennent plus qu'auparavant car ils sont intégrés de plus en plus tôt dans la chaîne de production.
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Quelle est votre maturité en termes de gestion des risques fournisseurs ?
Le risque fournisseur est l'un des trois piliers de la mission des achats telle que nous l'avons déclinée au sein du groupe. Si l'on regarde le premier risque pour nous, à savoir le risque d'approvisionnement et la maîtrise de la supply chain, notre clé d'entrée ne peut pas être par chiffre d'affaires d'achat car nous avons des matières premières qui ne représentent que quelques dizaines de milliers d'euros d'achat par an mais dont l'impact est colossal pour notre chiffre d'affaires global. Nous essayons donc de déterminer, pour chacun de nos fournisseurs, quel est notre alignement stratégique vis-à-vis d'eux et quel est leur motivation pour nous accompagner. Ce travail ne peut être mené que si nous avons une bonne connaissance de notre tissu fournisseurs. La meilleure prévention, c'est la connaissance.
Pour nos matières premières végétales, au coeur de nos produits, nous avons créé 250 filières spécifiques qui ont trois ambitions : la sécurisation des approvisionnements, la protection de la biodiversité et la communication autour de ces projets qui s'inscrivent dans une démarche de développement durable, notamment auprès des populations locales. Sans oublier que notre principale filière de sourcing végétale reste à la Gacilly, village natal de Monsieur Yves Rocher, où nous cultivons sept espèces de plantes sur 55 hectares : Camomille matricaire et romaine, Calendula, Bleuet, Mauve, Arnica et la Ficoïde Glaciale qui rentre dans la composition de notre dernier anti-âge Sérum Végétal.
Avez-vous mis en place une cartographie pour les risques achats ?
Nous réalisons des cartographies par segment. Nous avons par exemple élaboré une cartographie pour la sous-traitance où nous regardons de près les éléments financiers. La deuxième clé d'entrée est notre proportion de chiffre d'affaires réalisé avec les fournisseurs. Nous ne nous interdisons pas la dépendance à condition qu'elle soit gérée et maîtrisée. On ne peut pas se laisser surprendre. Quand on regarde la structure industrielle de nos fournisseurs, on s'aperçoit que l'on peut parfois représenter entre 40 et 60 % de l'activité d'une usine. Dans ce cas, nous avons des enjeux de co-développement (lean manufacturing), d'éco-conception ou de développement durable et de maîtrise de la dépense CO2 dans l'acheminement des produits.
Ce travail de gestion du risque fournisseurs a été exacerbé avec la crise de 2008-2009 qui nous a fait prendre conscience de la fragilité de ces relations avec notamment des faillites de fournisseurs de rang 1 et 2. Nous avons aussi appris à mieux accompagner nos fournisseurs, à la fois dans le passage de la crise mais aussi quand l'activité est repartie. Ces moments difficiles nous ont permis de bâtir un véritable capital confiance et social.
Quelles sont vos relations avec la direction du risk management ?
Le risk management est une fonction centrale au sein du groupe Rocher. Cette fonction apparaît auprès des achats comme clé lors de quelques situations très spécifiques et peu nombreuses. Quand les recours habituels mis en oeuvre dans la gestion d'une relation fournisseur sont épuisés, la fonction apparaît alors avec un rôle de médiation. C'est important pour le fournisseur qui voit dans cette ouverture la possibilité de s'adresser à une autre direction, avec des interlocuteurs qui posent un regard plus neuf sur la situation.
Son dirigeant est par ailleurs actif dans l'implication du groupe Rocher en tant que signataire de la Charte des Relations fournisseur Responsables. Cette charte à été signée il y a deux ans par Yann de Feraudy, le patron des opérations du groupe.
Autre utilité de cette fonction, c'est celle d'arbitre pour lever des points de blocage en interne. À travers une prise de recul et une mise en perspective moins partisane, elle permet de discerner les choix à faire, en plaçant toujours la cliente au coeur de nos actions.
Quelle place occupe la qualité dans vos process d'achats ?
Il y a cinq ans, nous avons achevé de gros travaux de rénovation de nos processus industriels où notre actionnaire a réaffirmé son ambition du " Made in France " au travers de nos usines afin qu'elles soient conformes aux bonnes pratiques de fabrication portées par la norme ISO 22716, qui est la colonne vertébrale de notre activité cosmétique. Nous avons donc renforcé notre structure d'audit fournisseurs, très orientés aujourd'hui sur des audits " produit-process " et beaucoup moins sur des audits " systèmes ". Nous sommes donc beaucoup plus attentifs aux processus de fabrication du composant chez notre fournisseur car c'est la clé de la compétitivité du groupe.
Comment avez-vous formé vos équipes aux bonnes pratiques d'achats ?
Aujourd'hui, nous nous orientons davantage vers les " soft skills " que vers des " hard skills ". Le métier d'acheteur, selon moi, devient de plus en plus un métier de gestionnaire de projets. Ce projet d'entreprise Orchis est un bon exemple. Aux acheteurs ensuite de développer, dans leur approche d'achats de production ou hors production, un vrai travail sur les " soft skills " afin de devenir de meilleurs business partners auprès des prescripteurs.
Il me paraît primordial aussi aujourd'hui que les acheteurs soient connectés au sein de l'entreprise et à l'extérieur et qu'ils soient capables de travailler en réseau.
Nous sommes attentifs enfin au cadre qui permet à ces compétences de se développer. Nous avons élaboré, au sein de la fonction achat et qualité, un set de valeurs directement décliné de celles du groupe. Les trois principales : " Oser dire " car nous devons être capable de nous remettre régulièrement en question, " challenger le statut quo " et apporter de la valeur et " accepter que l'erreur puisse arriver ".
Quels sont les objectifs de vos Trophées Fournisseurs ?
A l'instar de notre site fournisseur (accessible à tout le monde : www.groupe-rocher-fournisseurs.com), ces Trophées sont un des outils nous permettant de bien reconnaître et mieux connaître nos fournisseurs pour, in fine, parvenir à les motiver afin qu'ils nous accompagnent, nous aident à mieux gérer nos risques et nous permettent d'aller chercher de l'innovation. Notre président, Bris Rocher, a été fortement impliqué dans cette remise de Trophées, qui se sont déroulés en janvier dernier chez nous, à la Grée des Landes, L'Eco-Hôtel Spa Yves Rocher, et qui récompensaient cette année la compétitivité au travers notamment du projet Orchis mais aussi le développement durable, l'innovation et la qualité.
Le groupe Rocher développe une activité btb
"Cette activité permet à la direction des achats de créer un pont direct avec l'activité commerciale et donc avec des clients"
Depuis janvier 2015, Olivier Djezvedjian a pris la présidence du " Laboratoire Européen de Création Cosmétique ", petite activité btb au sein du groupe Rocher, dont l'objectif est de concevoir, développer et distribuer des produits pour des marques propres donc marque distributeur (MDD) - MDD sélectives, MDD parapharmacie ou encore MDD GMS.
"Cette activité permet à la direction des achats de créer un pont direct avec l'activité commerciale et donc avec des clients. Acheteurs et commerciaux vont ainsi pouvoir travailler en étroite collaboration pour croiser un certain nombre de compétences et donc d'enrichir encore un peu plus les profils".
Un acheteur est dédié exclusivement à cette activité pour aller chercher de la compétitivité, du sourcing, introduire des nouveaux fournisseurs potentiellement réintégrables ensuite dans le panel fournisseurs des autres marques du groupe. "Pour nos clients, c'est aussi une manière de leur dire que nous passons de l'acte d'achat dans nos usines (assemblage, fabrication des vracs et conditionnement) à l'acte de vente auprès de nos clientes et donc que nous maîtrisons la supply chain de bout en bout."