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"Les achats sont un vecteur de transformation, même sur les métiers"

Publié par Aude Guesnon le | Mis à jour le
'Les achats sont un vecteur de transformation, même sur les métiers'

Pendant 3 ans, Catherine le Floch, directrice des achats du groupe La Poste, s'est efforcée d'injecter de la valeur ajoutée, de la performance, et de la transversalité dans tous les domaines. Elle a démontré qu'une direction des achats forte est un levier de performance économique.

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Depuis notre entretien, Catherine Le Floch a été nommée directrice de La Poste Conseil. Elle a pris ses fonctions en décembre 2019. C'est Laurence Laroche, anciennement directrice achats du Groupe Rockwool International, qui lui a succédé. Mais, si Catherine Le Floch a quitté ses fonctions aux achats, le travail réalisé avec son équipe durant trois ans est toujours d'actualité.

A votre arrivée à la tête de la direction des achats de La Poste, quel a été votre premier challenge ?

La Poste est un groupe constitué de cinq branches d'activité. Chacune avait structuré ses achats de son côté, avec très peu d'échanges entre les services. Les activités étaient très "silotées" et les équipes très orientées "procédures". Cela s'explique notamment par le fait que La Poste est une entité adjudicatrice soumise à la directive européenne des secteurs spéciaux. Tout le sujet a été d'injecter de la valeur ajoutée, de la performance, du category management et de mettre de la transversalité dans tous les domaines, y compris dans l'organisation. Une de mes premières actions a consisté à "retourner" l'organisation de sorte à la structurer par grands domaines d'achats (voir encadré en fin d'article) et regrouper les équipes pour que chacune se concentre sur son domaine, en ait une bonne connaissance, puisse faire des propositions et apporte de la valeur ajoutée... le tout appuyé par une gouvernance forte des achats. La validation des stratégies d'achat et la signature des contrats passent par la direction des achats.

Une gouvernance resserrée au sein de la direction des achats a été mise en place, pour traiter des dossiers opérationnels ou des projets de la filière. à titre d'exemple, les stratégies d'achat, établies par chacune des directions achats pour ses catégories, sont communes à toutes les entités et doivent être validées par un comité stratégique d'achats commun au sein duquel se retrouvent l'ensemble des DHA, la direction financière, les prescripteurs concernés et la direction juridique.

Comment avez-vous procédé pour injecter de la performance au niveau des achats ?

Nous nous sommes efforcés de mieux structurer la relation fournisseurs et de développer le sourcing d'une part, et le vendor management d'autre part. Faire des consultations ne suffit plus. Historiquement, les acheteurs faisaient relativement peu de sourcing ou de façon très spécifique sur des achats particuliers.

La publication des consultations était réputée suffire pour attirer les fournisseurs. Sourcer des prestataires potentiels est à présent davantage un réflexe, tout comme les piloter dans la durée. La transformation, cela prend du temps. Avec l'ensemble des DHA, nous demandons aux équipes de bien s'informer sur les marchés fournisseurs, les acteurs mais aussi les tendances. C'est le management qui fait évoluer les pratiques. Nous les incitons aussi à bien questionner le besoin en interne. Nous avons mené un gros travail d'homogénéisation des cahiers des charges. Ce fut par exemple le cas sur les achats de formation, la téléphonie ou encore les prestations de nettoyage. Nous avons rassemblé les besoins, avons re-questionné les achats stratégiques, travaillé sur la tentation de sur-qualification du besoin, sur des véhicules par exemple.

Au-delà du comité stratégique des achats, la validation de nos achats significatifs, avant signature de contrat, se fait devant une instance, la Commission des achats de La Poste avec des membres internes et externes. Cette instance a vocation à se prononcer sur le respect des règlementations et procédures (pour les contrats de plus de 10 millions d'euros ou de plus de 1.5 million pour les prestations intellectuelles). Elle a eu une vraie vertu pédagogique à interroger chaque dossier sur le fond et a contribué, dans la durée, à améliorer nos achats.

Et comment mesurez-vous la performance des achats du Groupe ?

Une méthode homogène pour le groupe a été définie pour le calcul des gains pour les deux grandes catégories : achats récurrents et achats non récurrents. Le reporting a été intégré dans l'outil de e-sourcing, dossier par dossier.

Nous ne sommes pas encore à maturité dans le partage régulier des hypothèses de budget et de la réalité des gains. C'est un des enjeux pour bien piloter la concrétisation de la performance dans la durée, en proximité avec la direction du contrôle de gestion. Un autre enjeu est de bien renforcer l'utilisation des contrats. Nous ne sommes pas encore à un niveau satisfaisant et avons là encore une vraie marge de progrès.

Lire la suite en page 2 : Pilotage des fournisseurs stratégiques - Outils - accompagnement des acheteurs, etc...


A votre avis, quel regard les autres directions portent-elles sur la fonction achats de La Poste ?

Nous travaillons en étroite collaboration avec la direction financière, la direction juridique, la RSE - toutes les fonctions transverses support, la direction de la conformité et les directions clients. Je pense qu'il y a une réelle prise de conscience que les achats constituent un levier de performance. Nous sommes impliqués de plus en plus en amont des projets.

Je pense que l'image des achats est vraiment en train de changer. Nous sommes considérés comme des partenaires stratégiques dont l'action a un réel impact sur la performance du groupe. Nos partenaires ont bien compris que, sur un certain nombre de sujets, les achats sont un vecteur de transformation, même sur les métiers. Penser différemment le besoin, impulsion venue de la fonction achats, permet de réels changements en interne. En outre, nous sommes aujourd'hui apporteurs de solutions et accompagnateurs de nouveaux business. Il y a, je crois, une prise de conscience qu'une direction achats forte est un levier de performance économique.

L'organisation achats du groupe La Poste

Notre organisation repose sur des domaines d'achats. La direction des achats regroupe huit directions des achats qui me sont rattachées soit hiérarchiquement, soit fonctionnellement. Il y a les directions : informatique et télécom ; achats tertiaire (prestations intellectuelles, RH, marketing/communication) ; achats moyens généraux ;achats industriels et logistique, achats dite "points de contact" (retail - tout ce qui est particulier aux bureaux de poste) ; sécurité et sûreté pour le groupe ; achats d'immobilier ; achats bancaires (banque/assurance) et la direction des achats "services à l'occupant".En plus de ces directions des achats opérationnelles, nous avons également une direction transformation et performance, qui est en support aux achats. La diversité des métiers exercés au sein du groupe fait - que nous avons une grande diversité de catégories d'achats.


Biographie

Catherine Le Floch a été nommée directrice des achats du Groupe La Poste en janvier 2016, après avoir été directrice de la stratégie, de la prospection et de l'innovation du groupe (septembre 2014 - janvier 2016). Auparavant, elle fut directrice de la stratégie et du développement durable de La Poste Immo (2009 - 2104) et manager chez A.T. Kearney Paris (2000 - 2009). Catherine Le Floch est ingénieure de formation, diplômée de l'école nationale supérieure de l'aéronautique et de l'espace (1999). Catherine Le Floch a été nommée directrice de La Poste Conseil en décembre 2019

Fiche entreprises - La Poste

Activité : Groupe de service postal et bancaire

Chiffre d'affaires :

25 milliards (2018)

Spend achats : 5 milliards

Equipe achats : 350 personnes


Puisque vous évoquez la question des achats responsables... quels sont les actes d'action prioritaires de votre direction en la matière ?

La question du handicap et de l'insertion est un pilier fort de nos achats responsables. Nous accompagnons les acteurs du marché sur ce sujet, afin qu'ils soient en capacité de répondre à nos appels d'offres et veillons à réserver certains marchés au secteur adapté ou d'insertion.

Grâce à notre ancrage local, nous menons tout un travail sur le tissu local et avons recours à des PME. L'acheteur doit toujours trouver le juste arbitrage entre massification ou achats en local. 20 % de nos achats sont effectués auprès de PME. Nous menons chaque année une étude sur les emplois induits par notre activité, région par région. Par ailleurs, le groupe apporte une attention particulière à ses émissions de CO2 et les compensent intégralement de sorte à être neutre en carbone. Nous travaillons notamment sur les véhicules de notre flotte mais aussi avec nos sous-traitants sur la partie logistique, et tout ce qui est transport routier. Nous avons listé un certain nombre d'exigences dans les cahiers des charges, dans la sélection, notamment sur les normes des véhicules utilisés. En annexe à tous nos contrats, nous mettons une charte des achats responsables et éthiques qui rappelle nos engagements sur les achats responsables, mais aussi nos engagements sociétaux, et prévoit des dispositifs d'audit.

En termes de RSE, quel est pour vous le plus gros risque ?

Nous avons une bonne maîtrise des risques mais il réside toujours des incertitudes pour ce qui est sous-traité par nos propres fournisseurs, même si nous leur demandons des audits de leurs sous-traitants. Nous avons bien sûr structuré une démarche liée à la réglementation concernant le devoir de vigilance. Nous avons ouvert une plateforme qui permet à nos fournisseurs qui le souhaitent de s'auto-évaluer gratuitement sur toutes les dimensions RSE et le devoir de vigilance, pour avoir une première appréciation. Ils peuvent la conforter en déposant un certain nombre de documents et de certifications. Nous finançons cette démarche.

Nous avons beaucoup de PME qui sont très volontaires en la matière, mais la formalisation de cette démarche est assez nouvelle pour eux. En cas d'alerte, nous pouvons déclencher un audit qui va permettre de dégager des pistes d'amélioration. Les fournisseurs sont souvent désireux de s'améliorer mais ne savent pas forcément ce qu'il faut faire. Nous n'avons jamais rencontré de blocage sur des plans de progrès.

Qu'avez-vous mis en place pour "chasser" l'innovation ? Trouvez-vous que le cadre règlementaire soit contraignant ?

La quête de l'innovation repose notamment sur une présence auprès des différentes instances en lien notamment avec des start-up. Le groupe a mis en place différentes démarches d'innovation, auxquelles les acheteurs sont associés.

J'incite mes directeurs des achats et les managers à sortir, à aller au contact des fournisseurs. L'innovation et la façon dont les acheteurs vont la chercher font partie de la check-list de questions systématiques posées en comité stratégique d'achat. Nous avons quelques expérimentations en cours, mais l'étape la plus compliquée est le passage à l'échelle du groupe. En particulier avec notre cadre réglementaire. Il est assez facile de faire des POCs mais il faut refaire une vraie mise en concurrence dès que l'on veut passer à l'étape suivante. Nous avons par ailleurs déployé des procédures de dialogue compétitives, propices à une démarche d'innovation. Nous définissons le besoin au fur et à mesure que nous avançons avec le fournisseur. Nous nous donnons ainsi la possibilité de co-développer. Mais il s'agit là d'une démarche lourde réservée à des projets structurants.

Le cadre règlementaire est relativement contraignant même s'il n'empêche en rien ce type de démarche. Il faut être dans l'anticipation. Se dire dès le départ que si le projet est amené à grossir, on doit s'inscrire dans le dialogue compétitif. Il faut prévoir des marges de manoeuvre sur la capacité de tester des choses dans le cadre du contrat, avec les fournisseurs que l'on choisit ; prévoir des plans d'innovation, comme on a des plans de progrès. Mieux vaut tout réfléchir en amont, et faire ce qu'on a dit par la suite. Bref, être un bon stratège !

Lire la suite en page 4 : Quel regards les autres directions portent-elles sur la fonction achats ?

Comment pilotez-vous les fournisseurs stratégiques ?

Nous avons un SRM embarqué dans l'outil de e-sourcing. Les fournisseurs sont classés par grands domaines. Nous avons des responsables grands comptes fournisseurs auprès des différentes directions achats qui gèrent la relation avec eux. Nous allons avoir aussi bien de très gros fournisseurs qui sont majeurs, tant dans les dépenses que dans la sécurisation de nos activités opérationnelle, que des petits fournisseurs qui sont très stratégiques pour nous, selon le secteur d'activité. Par exemple, notre principale catégorie d'achats concerne le transport et la livraison. Les fournisseurs en questions sont essentiellement des PME qu'il s'agit, pour nous, d'accompagner afin de sécuriser leur activité. Autre exemple, les sociétés d'intérim sont également des fournisseurs très importants pour nous. Chaque direction achats a sa liste de fournisseurs stratégiques auprès desquels elle mène régulièrement des revues de compte et instaure des plans de progrès, quand cela est nécessaire, dans une logique de vendor management.

Avez-vous des outils qui vous permettent d'aller au-delà des gains pour jauger de la satisfaction des clients ?

Au-delà de l'aspect économique, nous utilisons différents outils de mesure de la satisfaction des prescripteurs, dans une logique d'amélioration continue. Après chaque consultation, nous administrons un questionnaire. Sachant que la demande des prescripteurs est protéiforme. Il leur faut à la fois de la rapidité, de la fiabilité, de la performance, de l'innovation, etc. Nous essayons ensuite de savoir si les achats ont répondu correctement à tous les enjeux.

Nous administrons également régulièrement une enquête de type NPS pour mesurer l'adhésion des prescripteurs et l'évolution de celle-ci.

Le changement est-il aussi passé par les outils liés aux achats ?

Il est évident que l'amélioration de la performance des achats passait aussi par une évolution de nos systèmes d'information. Il nous fallait nous équiper dans une optique de simplification. Nous avons donc déployé à l'automne dernier un outil d'e-sourcing unique et transverse auprès de l'ensemble de la filière, de sorte à digitaliser l'ensemble des consultations, et nous venons de choisir un outil d'e-procurement. L'objectif est d'avoir des processus simplifiés et harmonisés à travers le groupe. Par ailleurs, nous travaillons sur la donnée. Nous avons fait un travail préalable sur les référentiels. Nous menons un certain nombre d'expérimentations autour de la RPA (robotisation). Nous déployons des projets de chatbot pour accompagner le déploiement de l'analyse de la data pour mieux la travailler et la restituer.

Et sur le plan RH, comment accompagnez-vous les acheteurs ?

Avec la direction des ressources humaines, nous avons mené un travail de fond pour redéfinir les métiers. C'est quoi être acheteur ? C'est quoi être category manager ? En veillant à être en cohérence avec le marché.

Nous sommes en train de consolider les cursus de formation associés pour chaque population. Le cursus de formation, qui sera probablement déployé sur trois-quatre ans, se concentre sur le métier d'acheteur comme catalyseur de la performance. Il s'agit d'inciter les acheteurs à se poser les bonnes questions en vue de construire les meilleurs compromis en termes de performance, avec un vrai souci d'opérationnalité, de performance économique, de performance RSE, de la conformité, etc. Ils sont également formés à l'accompagnement de projet et à la quête de l'innovation.

La réalité, c'est que nous exerçons un métier riche et multifacette... et c'est dans cette capacité à réunir des différents questionnements que les acheteurs vont apporter une réelle valeur ajoutée. Il faut qu'ils aient conscience de ces différentes composantes pour mieux les mettre en musique.

En complément, nous proposons également des formations sur les achats responsables et surtout ce qui est conformité. Nous veillons aussi à proposer des cursus de formation à des postiers "non acheteurs" qui souhaiteraient rejoindre notre filière.

Lire la suite en page 3: Achats responsables - RSE - Quête de l'innovation


 
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