"Les achats sont de plus en plus associés à la démarche commerciale" - François Blanckaert, CPO de Sodexo
Chez Sodexo, les achats sont au plus près du business avec une organisation très décentralisée. RSE, digital ou développement des talents, François Blanckaert, actuel directeur achats du groupe dévoile ici sa stratégie.
Je m'abonneQue représentent les achats chez Sodexo ?
Nous avons un budget achats annuel de 10 milliards d'euros pour notre business sur sites (NDLR : chiffres de mars 2019). Nos achats sont très variés, de l'alimentaire, des équipements et services pour nos restaurants et pour nos activités de Facilities Management. Les équipes achats représentent à peu près 850 personnes au niveau mondial réparties dans une soixantaine de pays.
Comment est organisée votre direction?
A l'image de l'entreprise, la fonction achat est très décentralisée, et 95% des équipes sont sur le terrain. Cette dimension locale est absolument fondamentale pour que les équipes achat soient ancrées au business local. On a besoin d'être à proximité des équipes marketing, ventes et opérations, et bien sûr des fournisseurs, dans chacun des 64 pays dans lesquels nous sommes implantés.
J'ai vraiment une organisation achats assez riche avec des category managers, des experts de distribution et de logistique, jusqu'au support aux équipes opérations dans la relation avec les clients. Selon les catégories, nos stratégies d'achats peuvent être mondiales, régionales, voire ultra locales. Dans la relation fournisseurs, on fait le grand écart, cela va de la négociation d'un contrat mondial avec Coca Cola jusqu'à la création de nouvelles filières locales en aidant des PME à se développer.
Vous avez auparavant travaillé dans les achats chez Danone pendant 15 ans. Qu'en avez-vous retenu ?
Danone a été une formidable école pour moi. En arrivant chez Sodexo, j'ai retrouvé des bonnes pratiques d'achats notamment en termes de RSE. Mais ce qui a été une surprise incroyable c'est la complexité, la diversité et la richesse de la supply-chain de Sodexo, les achats fournissent aujourd'hui plus de 30 000 sites chez Sodexo. On approvisionne un nombre incroyable de catégories : de l'alimentaire (viandes, poissons, fruits et légumes, épiceries, boissons, etc) pour des restaurants d'entreprise, des hôpitaux ou des écoles mais aussi des opérations plus spécifiques comme Lenôtre. Des services de nettoyage, de gardiennage, de maintenance et des services liés au fonctionnement de l'entreprise (technologie, ...). On a en face de nous une vaste quantité de catégories d'achat et de clients internes. On ne peut pas s'ennuyer, c'est vraiment passionnant !
Mon poste actuel m'apporte aussi une importante dimension humaine. Chez Sodexo, il y a 420 000 collaborateurs qui travaillent chaque jour au service de 100 millions de consommateurs. C'est une société de services avec toute cette dimension humaine qui la rend particulièrement attrayante.
Quels sont les grands axes de développement de la stratégie achats chez Sodexo ?
Nous menons de front trois grands chantiers : celui de positionner les achats au plus près du business et devenir un partenaire incontournable au service de la croissance de l'entreprise, mettre les achats responsables au coeur de la transformation stratégique de Sodexo et enfin développer nos partenariats dans nos relations fournisseurs. Enfin, il y a un sujet transversal qui est essentiel à mes yeux : nos talents et leur développement
Ainsi, le Comex a validé le plan de transformation achats sur 3 ans dès fin 2018. (NDLR : François Blanckaert a pris la tête de la direction achats de Sodexo en juin 2018). Près de 40 millions d'euros ont été validés sur ce premier plan de transformation de la fonction.
Avez-vous un plan de digitalisation de l'entreprise qui impacte les achats ?
La digitalisation de la fonction est au coeur de notre transformation, j'en attends 4 bénéfices : renforcer la puissance analytique essentielle à l'efficacité des acheteurs, améliorer l'animation de la relation fournisseurs à tous les niveaux, simplifier et automatiser la mise en oeuvre de processus opérationnels, et finalement apporter la transparence en temps réel à nos clients et à nos convives.
Cette transformation doit bien sûr prendre en compte des niveaux de maturité différents d'un pays à l'autre. Nous avons donc des approches différentes mais qui convergent toutes vers une vision commune. Le succès de cette approche c'est une collaboration renforcée avec les équipes IT et Digitales au niveau global et régional.
Lire la suite en page 2 : Achats responsables, biodiversité & leadership achats
Comment amener les achats à être plus proche du business ?
La proximité business est pour moi un enjeu clé. Par cette proximité, ce qui est intéressant c'est qu'au-delà d'aller chercher de l'optimisation des coûts, c'est la connexion avec les équipes commerciales et l'intégration avec le business.
Lire aussi : Vendor Management System vs e-procurement : le match des solutions d'achats de prestations intellectuelles
La fonction achat est de plus en plus associée à la démarche commerciale et sollicitée pour le développement d'offres pour nos clients. Cela nécessite un travail colossal en amont mais c'est un travail essentiel car nos clients et consommateurs prêtent de plus en plus d'attention aux approvisionnements. La fonction achats peut jouer un rôle important dans le développement commercial et la croissance de l'entreprise, c'est très gratifiant, car nous sommes vu comme un partenaire business incontournable au service de la croissance de l'entreprise. Dans cette démarche, les achats responsables jouent un rôle clé. Pour notre client Inditex en Espagne par exemple, notre offre de produits locaux de 65% de produits provenant de producteurs locaux, avec lesquels nous travaillons à la planification saisonnière de leurs cultures, nous a permis de faire la différence !
Parlons des achats responsables chez Sodexo, qui est un axe très fort de votre stratégie achats...
C'est un axe fondamental dans la démarche responsable de Sodexo qui est d'ailleurs un leader dans le domaine depuis plus de 15 ans. Notre roadmap s'organise autour de 3 piliers clés que sont le développement de la santé et du bien-être des consommateurs et des collaborateurs, l'équité sociale et enfin un axe environnemental avec notamment la protection des ressources naturelles. Pour chacun de ces axes on a travaillé à la fois sur le renforcement de la gestion des risques et la création de valeur pour l'entreprise dans l'idée d'en faire un facteur fort de différenciation.
Si je prends par exemple l'équité sociale, le premier niveau relatif à la gestion des risques est de s'assurer que nos fournisseurs s'engagent à respecter notre code de conduite fournisseurs. Prenons le cas des achats de vêtements de travail pour nos 420 000 collaborateurs. C'est une catégorie à haut risque en termes de conditions de travail et de qualité et sur laquelle nous sommes particulièrement vigilants. Ainsi, nous avons notre propre équipe Sodexo sur le site du fournisseur pour assurer la conformité à travers des contrôles stricts.
Un de nos 9 engagements de notre plan " Better tomorrow 2025 " porte sur le développement de la diversité de nos fournisseurs. Nous le mesurons par le montant de dépenses auprès des petites et moyennes entreprises. Cela peut passer par des entreprises à vocation sociale ou des entreprises gérées par des femmes ou des minorités ethniques. Nous voulons faire en sorte que la diversité de nos fournisseurs soit une source de performance pour l'entreprise.
Ainsi, en France, on travaille dans le cadre du programme " Impact plus " dans l'économie inclusive avec 14 entreprises régionales dans différents secteurs d'activités comme la Ferme de Béthanie ou Pain & Partage à Marseille. Les entreprises bénéficient de coaching et du support économique d'un grand groupe pour faciliter leur développement. Nous les accompagnons également en les mettant en contact avec nos partenaires distributeurs ou avec des associations. Cela nécessite une nouvelle expertise achat mais le programme se fait sous l'égide du business avec le sponsoring du Comex France. L'acheteur n'est pas seul dans ce process. Le bénéfice pour nos partenaires ? On s'engage sur des volumes, sur un certain niveau de dépenses, ce qui leur permet ensuite d'investir à leur tour. Nous sommes au plus proche du tissu économique et on en mesure directement l'impact. Actuellement, nous dépensons 1,5 milliards d'euros annuellement auprès de PME, et avons pour objectif de porter ce montant à 2 milliards dès 2025.
Lire la suite en page 3 : Risques achats, biodiversité, bien-être animal,...
Concernant la gestion des risques achats, on parle de risques alimentaires, de risques éthiques liés à l'industrie textile, ... Aujourd'hui le bien-être animal devient également une préoccupation majeure dans un secteur comme le vôtre.
Le bien-être animal est une priorité. Ainsi Sodexo est à l'initiative de la Global Coalition for Animal Welfare (GCAW) lancée en 2018 et qui regroupe aujourd'hui de grands noms de la production et de la restauration comme Nestlé, Unilever, Elior Group, Sodexo et IKEA. (NDLR : " La coalition a pour objectif de lever les obstacles fondamentaux à l'amélioration des conditions d'élevage des animaux, d'accélérer le développement de nouvelles normes, et d'être vecteur de progrès sur les principaux enjeux de bien-être animal ". Le GCAW s'engage sur le bien-être des poissons d'élevage ou des normes mondiales pour le transport et l'abattage, ...)
Autre exemple. On travaille depuis plus de 20 ans avec les poulets fermiers de Loué et dans ce cadre on s'est engagé sur le respect du bien-être animal et plus précisément ici dans le cadre de l'European Chicken Commitment.
De même, nous travaillons depuis plus de 10 ans avec WWF sur les produits de la mer. On achète beaucoup de poisson et chaque année, WWF nous apporte son support technique pour éditer notre catalogue d'achats. Ce qui nous permet d'exclure de notre catalogue d'achats des espèces qui seraient en danger, protégées ou en voie de disparition. Ainsi, tous les acheteurs de Sodexo dans le monde sont obligés de respecter ce guide d'achat. Cela s'inscrit dans le respect de la biodiversité.
Justement, outre l'aspect respect de la biodiversité, comment les achats s'inscrivent dans une politique de protection des ressources et de respect de l'environnement ?
On connaît les impacts environnementaux des activités humaines agricoles qui sont en partie à l'origine du dérèglement climatique. C'est pourquoi on a un agenda clair de réduire nos émissions carbone de 34% d'ici 2025 sur les scopes 1,2 et 3. On travaille aussi sur le sujet de la déforestation grâce à des partages d'objectifs avec nos fournisseurs.
Nous avons aussi supprimé tous les plastiques à usage unique (pailles, couverts) dès février 2021 en Europe dans le cadre de la législation européenne. Au-delà de l'élimination du plastique, on réfléchit à des alternatives et à des solutions issues de l'économie circulaire pour éliminer à terme les emballages à usage unique. Nous développons par exemple des systèmes de consignes chez nos clients et remplaçons ainsi les contenants jetables par des contenant en verre.
Enfin, nous réfléchissons aussi à développer des filières d'aliments qui ont disparu ou peu utilisé et qui auraient un impact moindre sur l'environnement. Nous avons par exemple déployé le programme "Future 50" en 2019 destiné à réintégrer dans nos recettes 50 aliments " bons pour la planète ", c'est-à-dire avec un impact moindre sur l'environnement, tout en garantissant une alimentation saine, variée et équilibrée.
Vous êtes très engagé dans le leadership de vos équipes. Comment cela se traduit-il ?
Oui, c'est un aspect très important car je veux faire de la relation un avantage concurrentiel. Dans une organisation mondiale, nous devons gérer les problématiques de différences de cultures tout en ayant un langage unique. Les objectifs peuvent être différents mais ils doivent être convergents. C'est cela la beauté du métier d'acheteur : c'est être capable de répondre à toutes ces contradictions. Le métier d'acheteur nécessite des compétences très larges, une approche rationnelle, analytique, orientée chiffres mais aussi un état d'esprit créatif, intuitif et inspiré. Sur les sujets RSE, on a même besoin d'avoir quelques activistes dans le bon sens du terme, qui vont nous chatouiller et accepter les challenges. C'est formidable de réussir à créer des équipes aussi variées ! Enfin, c'est du collaboratif pour construire des stratégies d'achats. On va utiliser l'intelligence collective pour trouver des solutions à une problématique très complexe.
GCAW, "Business for Inclusive Growth" , ... Vous êtes engagés dans de nombreuses coalitions et groupes de travail. Vous estimez qu'on est plus forts ensemble ?
Evidemment. On peut réaliser de micro-actions et construire des relations durables mais on ne peut pas changer le monde tout seul. C'est pourquoi on a besoin de s'entourer de nombreux experts sur tous ces sujets. C'est vraiment la clé du succès. S'engager dans des coalitions permet d'avoir un effet de masse et donc plus d'impact. C'est important pour faire évoluer de façon équitable toute une industrie. On peut aussi davantage interagir avec les législateurs. C'est vraiment cette notion de regrouper à la fois les acteurs des filières et le public et le privé qui va nous permettre d'adresser des problématiques très complexes.
Par exemple, Sodexo est un membre fondateur de la coalition " Business for inclusive Growth " qui regroupe une quarantaine de très grandes entreprises mondiales (Danone, L'Oréal, Axa, Unilever, Vinci, ...) et qui lutte contre les inégalités, de revenus, d'opportunités. Nous travaillons par exemple sur des problématiques de respect des droits humains ou d'achats inclusifs. L'ambition est de mettre en place des pilotes en commun avec des outils vraiment concrets qu'ensuite on pourrait potentiellement reproduire à plus grande échelle.
Selon vous, comment les achats peuvent changer le monde ?
A mes yeux, les achats responsables sont la clé pour avoir un impact positif. Car ce qui est vraiment intéressant dans toutes ces expériences d'achats responsables c'est de démarrer à l'échelle de pilote pour ensuite les déployer au niveau mondial à grande échelle. Par exemple, on démarre tout petit avec le développement de la filière lentilles bio dans les Yvelines avec 20 tonnes de production. On teste une méthodologie, des relations avec des associations, des producteurs. On l'adapte et on l'améliore au fur et à mesure que l'on déploie sur d'autres filières et dans d'autres régions.
Ainsi, l'enjeu futur des achats, selon moi, c'est d'arriver à reproduire à grande échelle ces pilotes. Car avec la taille de Sodexo et nos volumes d'achats, on a vraiment le potentiel gigantesque d'avoir un impact visible sur la planète et sur les hommes. C'est un moteur déterminant pour les acheteurs aujourd'hui.
1966 : Pierre Bellon crée la Société d'exploitation hôtelière : Sodexho ( pour SOciété D'EXploitation HÔtelière, aériennes, maritimes et terrestres). La PME française se positionne alors sur un créneau novateur : la restauration collective.
1983 : Introduction à la Bourse de Paris.
1987 : Sodexho rachète Chèque Restaurant.
1991 : L'entreprise devient le restaurateur officiel du Tour de France. Le contrat a été renouvelé jusqu'en 2023.
2008 : Sodexho devient Sodexo.
2011 : Sodexo rachète le groupe de gastronomie Lenôtre au groupe Accor.