Halte aux mauvaises pratiques achats !
Certains acheteurs ont encore des attitudes vis-à-vis de leurs sous-traitants qui sont tout bonnement inacceptables. Cela doit évoluer rapidement : avec la crise actuelle, nous allons assister à des défaillances en série si les grandes entreprises ne se montrent pas solidaires des plus petites.
Je m'abonneL'affaire avait fait grand bruit au printemps dernier : en plein confinement, General Electric (GE) avait envoyé à ses fournisseurs un courrier leur demandant de baisser leurs tarifs de 20 à 30% afin de prendre part à la crise qui touchait le marché des turbines de gaz. Une lettre qui était mal passée, tant les sous-traitants traversaient également la période avec difficulté. L'histoire a cependant connu une issue heureuse, grâce à une médiation initiée par la CPME qui a rapidement abouti à une convention signée par la CPME, le Medef et General Electric France.
Abus de position dominante
Crise ou non, les mauvaises pratiques achats perdurent. Aldric Vignon voit par exemple couramment des appels d'offre pipés, auxquels des entreprises sont invitées à concourir uniquement pour jouer le rôle de lièvre et faire baisser les prix. Avec la crise, il assiste à des négociations de prix autour du chômage partiel ou du PGE (prêt garanti pas l'Etat): "Certains donneurs d'ordre demandent à leurs fournisseurs de faire des efforts étant donné qu'ils perçoivent des aides de l'Etat", précise-t-il. Pierre Pelouzet, médiateur des entreprises, reconnaît qu'il observe des comportements indignes de la part de donneurs d'ordre. "Les abus de position dominante sont toujours d'actualité même s'ils ne sont pas le fait de la majorité des donneurs d'ordre".
Fabienne Havet rapporte aussi la mise en place, par certains acheteurs, d'accords de coopération commerciale qui sont matières à abus: "Il est courant dans la distribution que ces accords fassent reposer la garantie et le service après-vente, voire même des opérations de communication, sur les fournisseurs", décrit-elle.
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Méconnaissance des problématiques des fournisseurs
S'il existe parmi les grands donneurs d'ordre des personnes qui n'hésitent pas à imposer des conditions abusives à leurs fournisseurs, en sachant pertinemment qu'elles peuvent leur porter gravement atteinte, Pierre Pelouzet constate cependant que la plupart des mauvaises pratiques achats sont dues à une méconnaissance des conséquences pour les sous-traitants. "Ils ne se posent même pas la question de l'impact de leurs actes ; se poser la question des incidences de ses décisions sur ses parties prenantes c'est le début des bonnes pratiques", souligne-t-il. Pour lui, l'affaire General Electric est un bon exemple de ce manque de remise en question : la médiation a permis d'ouvrir les yeux de l'entreprise sur les conséquences de la baisse de tarif pour ses fournisseurs et de trouver une solution gagnant/gagnant. "Nous sommes passés d'un mode de fonctionnement basé sur le rapport de force à un mode collaboratif: General Electric a bien obtenu une réduction des coûts au final mais en raisonnant en coût complet et non pas en faisant baisser les prix", précise le médiateur des entreprises.
Pour mettre fin à leurs mauvaises pratiques, les acheteurs doivent donc prendre du recul, ne pas imposer des conditions inadmissibles à leurs fournisseurs mais dialoguer avec eux pour trouver des solutions ensemble. C'est encore plus vrai en cette période de crise. "Il y a un réel manque de compréhension des acheteurs de l'impact de la crise sur le business model des fournisseurs : beaucoup ont fait le choix de négocier les prix à la baisse sans se demander quel impact cela aurait sur l'équilibre financier de leurs sous-traitants", remarque Aldric Vignon. Pour lui, plutôt que de réelles mauvaises pratiques achats, il s'agit d'une difficulté d'adaptation des acheteurs à un environnement qui change.
Lire la suite en page 2 : De l'importance du bon de commande / Témoignage "Il est compliqué pour un petit sous-traitant de négocier avec un grand donneur d'ordre" - Stéphanie Pauzat vice-présidente de la CPME
De l'importance du bon de commande
Au-delà de cette mauvaise adaptation aux problématiques de ses fournisseurs, des process défaillants conduisent les donneurs d'ordre à mal agir vis-à-vis de leurs fournisseurs. Pierre Pelouzet rapporte qu'une des causes majeures de l'allongement des délais de paiement est un bon de commande déficient ou non envoyé. "S'ils n'ont pas reçu le bon de commande, les fournisseurs ne peuvent pas facturer, ce qui allonge d'autant plus les délais de paiement", indique-t-il.
Le fournisseur qui témoigne plus haut sur les problématiques contractuelles relève un autre dysfonctionnement au niveau des process des grands donneurs d'ordre: leur lourdeur. En effet, faire évoluer le contrat inadapté à sa situation a pris de longs mois ; il a donc commencé à travailler pour ce client sans contrat... Et s'est retrouvé dans une position délicate. "Le client de mon client a souhaité stopper le projet plus tôt que prévu : alors que j'avais signé pour deux ans de prestation, il m'a été demandé de renoncer aux six derniers mois du projet. Or, je comptais sur les revenus générés par ce contrat de deux ans", raconte-t-il. Mais face à ses protestations, le donneur d'ordre lui oppose l'inexistence d'un contrat. Heureusement, la médiation a permis de trouver un compromis en très peu de temps. Autre autre exemple de lourdeur administrative apporté par ce fournisseur anonyme : un client pour lequel il avait déjà travaillé lui demande, au moment de renouveler son contrat, de renseigner une annexe sécurité. "Le service de sécurité informatique s'était réveillé. Or, une telle annexe ce n'est pas juste un document à remplir mais c'est accepter des clauses qui demandent des investissements conséquents. Dans les grands groupes, chaque service a son propre process sans penser à l'impact sur les fournisseurs", regrette-t-il.
Si les process évoluent, ainsi que la relation avec ses fournisseurs, les mauvaises pratiques achats devraient disparaître. "Depuis quelques années, l'évolution est plutôt positive, reconnaît Pierre Pelouzet. Mais le rythme est trop lent : la plupart des sujets auraient dû être traités il y a dix ans et cette lenteur fait que nous assistons à des catastrophes en série aujourd'hui". Acheteurs, il est temps de mettre sérieusement fin aux mauvaises pratiques achats !
TEMOIGNAGE - "Il est compliqué pour un petit sous-traitant de négocier avec un grand donneur d'ordre"
Stéphanie Pauzat vice-présidente de la CPME
La CPME est en première ligne pour constater les abus des donneurs d'ordre vis-à-vis de leurs petits fournisseurs. Stéphanie Pauzat vice-présidente de la CPME dit observer, avant même la crise du Covid-19, des délais de paiement allongés, des pressions exercées sur les prix, des pénalités de retard facturées pour motifs divers et variés, etc. "Sur les délais de paiement, qui est le sujet le plus remarquable, il n'est, par exemple, pas rare de voir des donneurs d'ordre exiger des factures trimestrielles, qui sont à chaque fois payées à 60 jours. Cela veut dire que le fournisseur doit avancer 5 mois de trésorerie", rapporte-t-elle.
Pour Stéphanie Pauzat, le problème réside dans le rapport de force, trop déséquilibré. "Il est compliqué pour un petit sous-traitant de négocier avec un grand donneur d'ordre, de lui demander d'agir différemment", souligne-t-elle. Elle donne l'exemple des pénalités de retard, qui ne sont presque jamais appliquées, le fournisseur ayant peur ne pas être retenu lors d'un appel d'offre futur.
La vice-présidente de la CPME pointe également la lourdeur administrative imposée aux fournisseurs de grandes entreprises, notamment en termes de documents à fournir. Bien sûr, cela correspond à des obligations réglementaires, mais les grands donneurs d'ordre pourraient accompagner leurs petits sous-traitants sur ces questions. "Les plateformes pour déposer ces documents devaient apporter une solution. Or, il n'existe pas de plateforme globale et les fournisseurs doivent renseigner plusieurs plateformes. La lourdeur administrative n'est qu'un peu allégée", signale Stéphanie Pauzat.
Bien sûr, Stéphanie Pauzat reconnaît que ce ne sont pas l'ensemble des grandes entreprises qui abusent de leur position dominante ; elle dit assister également à de bonnes pratiques. "Mais c'est trop lent et trop hétérogène", insiste-t-elle. Elle ne veut cependant pas opposer les grandes entreprises aux plus petites. "Je préfère inciter les grands donneurs d'ordre à jouer la solidarité, à nouer un vrai partenariat avec leurs petits fournisseurs", indique-t-elle. D'autant plus que cela améliorera leur image et que les petits fournisseurs sauront les remercier par davantage de fidélité.