[Avis d'expert] Pratiques d'approvisionnement : déglobaliser constitue-t-il la seule leçon à tirer de la crise de la Covid-19 ?
Les dernières semaines que nous avons vécues et celles qui vont venir mettent à rude épreuve les chaînes d'approvisionnement de nos entreprises. Et remettent en question les dogmes qui pouvaient exister en la matière.
Je m'abonneL'Asie, si loin... si près...
Au commencement, quand on pensait encore que la crise sanitaire liée au Covid-19 se cantonnerait grosso modo (comme les précédentes) à la zone asiatique, les entreprises françaises, une fois les premières sueurs froides passées, se sont rassurées avec une certaine raison : l'épidémie a eu lieu en pleine période du Tet ; les commandes avaient été anticipées, il était possible d'amortir le choc sans trop de problème... et de louer la formidable capacité de résilience de l'économie chinoise qui finirait bien par repartir avec le rythme effréné auquel elle nous a habitués.
On a vu se développer des discours vantant aussi bien les mesures prises préventivement pour se prémunir au maximum d'une crise économique que les enseignements que l'on pourrait en tirer. Maîtriser ses risques d'approvisionnement liés aux fournisseurs exotiques, réduire son impact CO2, participer à la réindustrialisation de l'Europe et de la France, la question de notre souveraineté technologique apparaissant parfois en filigrane. Des stratégies de régionalisation des achats ont ainsi déjà cours dans certaines grandes entreprises.
Mais la démarche ne saurait être envisagée à court terme en réaction à une crise. (Re)créer un réseau de sous-traitants performants en local, cela prend du temps, car il faut identifier les fournisseurs, auditer ses contrats, faire une analyse de risque en fonctions de ses attendus, et de ses lead-times, mettre en place des grilles d'analyse, certifier les produits... Et elle cette démarche doit impérativement continuer à permettre de bénéficier d'un coût complet bas. Pas évident sur certains marchés tant les coûts de production asiatique peuvent être compétitifs.
" Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés "
Si chacun avait en tête l'interdépendance issue du modèle de mondialisation actuel, l'effet domino induit avait été minoré en raison de l'éloignement des sources d'approvisionnement.
Le développement de l'épidémie en Italie puis en France nous a ramenés à une tout autre réalité : avoir un sourcing local ne constitue en aucune façon une garantie. La question s'est déplacée du registre géographique à celui du risk-management. Mes fournisseurs ont-ils un Plan de Continuité de l'Activité ? Quelle est la solidité de la chaîne logistique amont et aval (plus difficile à maitriser comme en témoigne chaque grève du secteur routier).
Make or Buy ? Avant son rachat par Rémy Martin au début des années 80, la chaîne de magasins Nicolas fonctionnait en quasi autarcie sur son site de Charenton : imprimerie intégrée pour les étiquettes et les brochures commerciales, garage automobile pour les réparations du parc de camions de livraisons, chaîne d'embouteillage...Plus personne ne songerait à adopter une telle organisation aujourd'hui. Nos entreprises sont condamnées à acheter.
Des remèdes qui apparaissent comme des injonctions paradoxales ?
Finalement, quand l'objectif est de baisser l'impact potentiel d'une crise sanitaire sur notre activité économique les solutions qui s'offrent à nous de façon pragmatique peuvent se résumer ainsi :
- déglobaliser en modifiant son sourcing pour aller vers plus de local et sans doute des marchés partagés qui permettent de diluer le risque de défaillance du fournisseur. Mais l'entreprise est-elle prête à accepter une légère hausse de coût en contrepartie ?
- augmenter son niveau de stock. Ce levier est sans doute l'amortisseur le plus pertinent face au type de crise actuelle, au moins à court terme.
Il s'agirait alors d'un vrai changement de paradigme et une évolution des fondamentaux car depuis de nombreuses années, voire des décennies, la chasse au stock et la course au prix d'achat bas (même en coût complet) constituent les lois cardinales de la bonne gestion d'une entreprise.
Face à ces paradoxes, sommes-nous prêts à perdre collectivement quelques points de rentabilité tous les ans pour ne pas en perdre 50 ou faire faillite une fois tous les 20 ou 30 ans ?
Souhaitons que le confinement auquel nous sommes astreints nous permette de prendre le temps de la réflexion sur l'évolution dans la durée de nos modèles d'approvisionnement.
Une fois la crise passée, la mémoire ne risque-t-elle pas de nous faire défaut rapidement ?
Par François Perrin associé Euklead. Il est un des membres fondateurs d'Euklead pour lequel il est en charge du Business Development et du management de projets. François Perrin siège également au bureau du Medef Gironde, à la CCI de Bordeaux et au comité d'audit de Kedge Business School.