[Billet d'humour] En avril : couvre-toi bien d'un fil, ami acheteur
L'Union Européenne, jamais en peine d'innovations, a sorti de sa poche revolver, et ce dès le 9 avril, son terrible règlement UE 2022/576 : une série de mesures pour interdire les achats publics aux intérêts Russes...
Je m'abonneEh oui, l'adage populaire est bien connu : « en avril, ne te découvre pas d'un fil ». Mais pour tous ceux qui aiment les couvertures des matières premières, avril 2022 a fait l'objet d'une bombe. Finalement, ce n'était pas « ne te découvre pas d'un fil » mais plutôt « couvre-toi bien d'un fil » !
Pour le 1er avril, cela a commencé très fort : notre « camarade » et grand démocrate devant l'éternel Vladimir Poutine avait déclaré qu'à compter de cette date, tous les achats de gaz devraient se faire en roubles. Et, tant qu'à faire, il a remis le couvert en indexant le cours du rouble sur celui de l'or (du jamais vu depuis les accords de Bretton Woods), juste pour remettre cent sous dans le bastringue.
L'Union Européenne, jamais en peine d'innovations, a sorti de sa poche revolver, et ce dès le 9 avril, son terrible règlement UE 2022/576 : une série de mesures pour interdire les achats publics aux intérêts Russes. Quoi, comment ? Mais non, rassurez-vous, braves gens, c'était un gag ! Car dans les petits caractères de ce règlement, on peut lire qu'en sont exclus (notamment, mais c'est comme dans les contrats d'assurance) : les contrats d'achats de gaz, de pétrole, d'aluminium, de titane, de cuivre... La liste des exemptions est telle qu'on ne sait plus trop à quoi ces terribles sanctions s'appliquent. Au foie gras ? Au champagne ? Aux lacets de nos chaussures ?
Et pendant ce temps-là, le cours des matières premières, lui, n'a cessé d'exploser, comme un feu d'artifice tiré sur la Place Rouge. Tu veux de l'huile de tournesol ? Plante-les toi-même, c'est le retour à la terre. Tu veux du xénon pour faire des semiconducteurs ou des phares ? Pars donc à Odessa avec un treillis, ami acheteur.
Mais Firmin (comme toujours) a la solution ! Eh oui, elle est là, sous nos yeux, avec toutes ces rangées de bagnoles garées dans les rues le soir. Tu as besoin de platine ou de palladium ? Sors dans les rues avec une bonne vieille pince, et découpe les pots d'échappement des voitures qui en sont pleins. Tu veux du xénon ? Arrache les phares et repars en courant avec, et en plus c'est écolo car c'est du recyclage. Si tu as du temps, force les voitures et repars aussi avec les faisceaux de câbles, pleins de cuivre. Vidange les réservoirs des bagnoles, c'est plein de carburant pour pas cher !
C'est ce que les apôtres des matières premières appellent la « deuxième mine » : le recyclage. D'ailleurs, les Italiens, toujours débrouillards ont trouvé la solution : dans le beau pays de la Vespa, les vols se sont multipliés ce mois-ci. Simple comme bonjour : il suffit de trouver un scooter électrique dans la rue, et de lui enlever sa batterie. Ça y est, on a enfin trouvé du cobalt, et en plus c'est plus écolo que de le faire venir de la République Démocratique du Congo, où - d'après ce que disent les ONG - 20% des mineurs sont des enfants. Elle est pas belle, la vie ?
Eh oui, mes amis, soudainement on a redécouvert notre dépendance aux matières premières et à l'énergie. Les chantres de la digitalisation des achats se sont soudainement reconvertis en imprécateurs des matières premières : vilain nickel, tu as osé aller tellement haut que le London Metal Exchange a suspendu ta cotation ! Pas beau, vilain !
Alors, forcément, nous autres acheteurs, on a annoncé, bravaches, à nos Directions Générales : bien sûr qu'on est couverts sur les matières premières, on a bien évidemment tout prévu, et d'ailleurs « acheteur, c'est un métier » comme disait Miss Poitou-Charentes. C'est donc bien la preuve qu'il n'y a rien à craindre, et que tout est sous contrôle.
Alors, puisque « tout est sous contrôle », la vie est belle : pas besoin de couverture financière, le ciel s'en chargera. Pour les conditions de paiement, la direction financière s'en occupera.
Euh, mais dites-moi, on n'est pas juste en train de perdre notre crédibilité, là-dedans ? Dixit un directeur commercial : « avant, quand j'envoyais des hausses de prix à mes clients, ça prenait des plombes parce qu'ils demandaient tout un tas d'analyses... maintenant, ça m'en touche une sans faire bouger l'autre, vu que, le temps qu'ils analysent, je leur aurai déjà envoyé entre-temps une nouvelle hausse de prix. Et, de toute manière, on n'a pas le choix ».
Vivement mai : « en mai, fais tout ce qu'il te plait ». Pour avril, on a bien compris !