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Quel futur pour la fonction achats ? Arrêter d'acheter !

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Quel futur pour la fonction achats ? Arrêter d'acheter !

« Acquérir (un bien, un droit) contre paiement » voici la définition d'« acheter » proposée par le dictionnaire Le Robert. Or, selon nous, la fonction achat n'a plus pour mission régalienne d'acheter. L'impératif de décarbonation de l'économie est un catalyseur de cette rupture. Nous proposons trois explications.

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1. La possession est moribonde

Plutôt que de posséder un bien, les entreprises ont désormais intérêt à rechercher une performance à l'usage. Nous sommes au coeur de la servicisation et de l'économie de la fonctionnalité.

Plutôt que d'acheter une chaufferie ou un système de refroidissement et d'immobiliser des capitaux sur des actifs non stratégiques, l'entreprise opte, par exemple, pour un service d'efficacité énergétique. Le fournisseur conçoit, construit, exploite et maintient ces installations pour le compte du client. Par le recueil et l'analyse des données de ses équipements, il s'engage sur une performance énergétique, sur une diminution des consommations d'eaux, sur une baisse globale de l'empreinte environnementale du client.

On n'est plus dans une logique où le fournisseur cherche à vendre le plus de biens possibles. Comme il conserve la propriété de ses biens, il cherche à allonger leur durée de vie. Il a intérêt à offrir des services personnalisés à haute valeur ajoutée à son client (gestion de la maintenance, de la fin de vie, du recyclage...). In fine, ce sont moins de produits manufacturés, des durées de vie plus longues, des impacts carbones moindres.

Coté client, il n'acquiert plus les biens. Ses immobilisations sont transformées en dépenses récurrentes voire en abonnements. Sa rentabilité des capitaux est améliorée. Il bénéficie de davantage de personnalisations et il améliore son impact environnemental. Pour maintenir une performance dans la durée, il objective son fournisseur avec des contrats de partage de gains (sur des économies d'énergie, d'eaux, de consommables, de maintenance...).

2. Les systèmes linéaires sont révolus

Dans un système de production linéaire traditionnel, chaque opération, (indépendamment des autres) consomme de l'énergie, des matières premières, génère des déchets. In fine le système fournit des produits, services qui sont consommés puis jetés. Ce modèle n'est plus conciliable avec les impératifs de décarbonation. Mais, pour beaucoup la décarbonation est synonyme de coûts supplémentaires.

Les symbioses territoriales réconcilient écologie et économie :

  • Plutôt que d'acheter, des entreprises se coordonnent avec leur écosystème local pour utiliser les résidus, les co-produits, les déchets des unes qui deviennent les ressources des autres.
  • Plutôt que d'investir, elles vont partager des infrastructures, des services.

Ainsi, dans la symbiose territoriale de Dunkerque, le laitier (co-produit de la fonte) d'Arcelor Mittal est détourné de la mise en décharge et réutilisé par Ecocem pour produire du béton bas carbone. Plutôt que d'acheter de l'énergie, la chaleur fatale est récupérée sur certaines installations du territoire pour fournir de l'énergie aux autres.

Avec la puissance du digital, la philosophie de ces symbioses essaime dans tous les secteurs. On voit ainsi se développer des plateformes collaboratives (ou « B2B sharing »). Dans le BTP, par exemple, Werflinkest une plateforme belge sur laquelle les entreprises partagent des équipements, du transport, des infrastructures, des matériaux excédentaires pour réutilisation.

Cette économie collaborative interentreprises est en plein essor. Compte tenu de son énorme volume de transactions, elle représenterait des trillions de dollars.

3. Le paiement est remis en question

Dans le souci de diminuer son empreinte environnementale tout en préservant sa trésorerie, l'économie du « barter » interentreprises se structure. Elle bénéficie de la multiplication des plateformes digitales.

Dans l'ancien modèle de la possession, l'entreprise acquiert un bien contre paiement. Dans le modèle du « barter » (on parle aussi de « Corporate Trade »), l'entreprise échange un bien ou un service sur une plateforme avec une autre entreprise, sans transaction monétaire en numéraire. L'échange est valorisé via une unité de compte spécifique au réseau.

Cette pratique de « barter » est très répandue dans les pays anglo-saxons. Sur des plateformes comme Active International par exemple, une entreprise peut valoriser ses actifs inutilisés en crédits barter et les échanger contre des campagnes médias, des prestations de transports, du facility management...

L'intérêt pour une entreprise est de valoriser des actifs sous-utilisés, des stocks invendus voire de la main-d'oeuvre en sous-charge. Le barter est au coeur des démarches RSE : cela évite d'acheter un matériel alors qu'il en existe un dormant à proximité, cela évite d'acheter des produits alors qu'ils sont en stocks dans une autre firme.

Le Ministère de l'Économie en France a même rédigé un guide à l'attention des entreprises afin de favoriser ces barters.

Si la fonction Achat n'a plus pour vocation à acheter, quelles sont ses nouvelles missions ? Nous proposons trois nouvelles missions.

1. Une mission d'évangéliste en interne

La mission d'évangéliste est répandue dans le monde des technologies pour faire adopter de nouveaux standards, pour convertir à de nouveaux usages, tels que les logiciels libres par exemple. Dans une économie où la décarbonation est prioritaire, le rôle d'évangéliste des acheteurs va devenir prépondérant. Ils devront contribuer aux changements d'habitudes en interne. S'agissant de l'économie de la fonctionnalité, ils devront tout d'abord rassurer. La peur des entreprises est de ne plus posséder, donc de ne plus maîtriser. Les acheteurs devront rassurer en déployant de nouvelles approches contractuelles intégrant des plans de sécurisation dans la durée, précisant la propriété des datas, les impacts de l'IFRS 16...

S'agissant de l'échange, du partage, de la réutilisation plutôt que de l'achat, ils devront accompagner cette transformation des modes de consommations pour l'ancrer dans la durée. Débuter par des plateformes internes permet d'acculturer les collaborateurs à ces logiques avant d'envisager des projets plus ambitieux avec des acteurs externes. La SNCF, par exemple, met en réseau ses salariés pour qu'ils s'échangent du matériel. « Rien ne se jette, rien ne s'achète, tout se retrouve sur La Boutique Eco » voici le slogan. Presque deux millions d'euros d'achats ont ainsi été évités depuis 2018.

2. Une mission de mutualisme en externe

En biologie, le mutualisme apparaît lorsque des individus de plusieurs espèces bénéficient de l'activité de l'autre. L'association permet de complémenter leurs fonctions, d'exploiter de nouvelles ressources ou de devenir plus compétitifs qu'ils ne le seraient indépendamment. En transposant cette approche à l'entreprise. La fonction achat a un rôle essentiel dans le développement du mutualisme avec son écosystème externe, dans le but de limiter l'empreinte environnementale. Le changement fondamental est celui de la proximité. Dans le modèle traditionnel de l'achat, de la possession, les fournisseurs peuvent être à l'autre bout du monde. Dans le barter, l'économie collaborative ou les symbioses, la proximité devient clé. La posture des achats doit changer. Ils doivent davantage intégrer l'écosystème proche dans leurs analyses.

3. Une mission de valorisation extra financière :

Historiquement, les directions générales attendent de la fonction achat des résultats financiers. Dans la majorité des entreprises, le premier indicateur achat demeure les économies réalisées. Avec les nouveaux objectifs de neutralité carbone sur lesquels de nombreuses entreprises se sont engagées, la mission des achats intègre une nouvelle dimension centrée sur la performance extra-financière. La valorisation extra financière des entreprises revêt de plus en plus d'importance. Elle conditionne leur capacité à lever des fonds, à bénéficier de taux préférentiels, à fidéliser leurs actionnaires, à attirer clients et collaborateurs...

Or, la contribution de la fonction achat est déterminante dans cette notation extra financière, non seulement en tant qu'accélérateur de la décarbonation mais plus largement dans sa contribution significative aux enjeux sociaux, sociétaux, éthiques et environnementaux au sens large (eau, biodiversité...). Cette fonction est à l'aube d'une nouvelle ère permettant de s'extraire définitivement d'une image négative de « cost killer ». Elle porte désormais des valeurs environnementales et de partage fortes. De la même façon que certaines entreprises changent leur nom à une étape clef de leur développement pour modifier leur image, il est temps que la fonction achat change de nom.

A propos de l'auteur:

Natacha Tréhan est Maître de Conférences en Management des Achats Université Grenoble Alpes, Chercheur au CERAG, Membre du Conseil d'Administration du CNA (Conseil National des Achats), Responsable pédagogique du master DESMA de Grenoble IAE-INPG

 
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