DossierAchat d'intérim : les solutions pour dépenser moins
Réduire ses dépenses d'intérim et gagner en productivité : tel est bien l'enjeu des achats dans ce secteur à forte dimension sociale. À l'appui de la démarche, appels d'offres, fiabilisation des factures et analyse des coûts.

Sommaire
Miser sur un appel d'offres
"Dans 70 % des cas, nous avons besoin d'un intérimaire du jour au lendemain, raconte Éric Soumar, responsable achats matériel, maintenance et intérim chez Elior. C'est pourquoi nous avons lancé, il y a quatre ans, un appel d'offres à l'échelle européenne, avec des conditions d'expression du besoin clairement définies. Nous avons sélectionné un prestataire privilégié et un de second rang, dans le cas où le premier ne pourrait répondre à notre demande à un instant T." Avec succès : "Notre prestataire privilégié couvre 92% du périmètre de la France, ce qui signifie que l'intérim, au sein du groupe, est bien rationalisé."
L'appel d'offres est bien le passage obligé pour les grands comptes. Eiffage, l'un des leaders européens du BTP et des concessions, renouvelle ainsi la procédure tous les deux ans, afin d'étudier les opportunités du marché. Une nécessité pour ce grand groupe qui, en 2014, a brassé non moins de 330 millions d'euros d'achats d'intérim, soit l'une des premières familles, achats du groupe. "Nous ne calculons pas le ROI, mais à cette échelle, une optimisation de 2 à 3% de l'achat est déjà considérable, concède Nicolas Rigot, responsable des achats chez Eiffage. Le principe est que nos intérimaires soient missionnés uniquement par des fournisseurs référencés, grâce à des contrats-cadres nationaux - couvrant 80% de la dépense - et les 20% restants par des contrats régionaux. Nos entités ont l'obligation de travailler avec un fournisseur référencé par les RH et les achats", complète-t-il.
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À la clé, pour les entreprises, des gains portant sur la limitation des risques (de travail dissimulé, notamment), et le contrôle des conditions de prix et de services négociés dans les accords-cadres. Sans oublier de possibles remises de fin d'année en fonction du volume d'achats annuel global.
Quelles sont les bonnes pratiques pour rationaliser l'achat d'intérim ? La rédaction a relevé quelques astuces pour réaliser des économies, tout en gagnant en efficacité.
Négocier les coefficients
Autre méthode : jouer sur les coefficients. Le travail temporaire tarifie ses prestations généralement sous la forme de coefficients, de recrutement et de gestion, appliqués au salaire brut du collaborateur - hors indemnités de congés payés et de fin de mission -, ce qui établit le coût d'un intérimaire à environ deux fois son salaire de base. Ainsi, pour les acheteurs, les principales marges de pourparlers concernent-elles ces deux paramètres. Ce que reconnaît Éric Soumar, responsable achats matériel, maintenance et intérim chez Elior : "La baisse des coefficients fait, bien sûr, partie des négociations. Nous amenons sur la table 52 millions d'euros de chiffre d'affaires Europe pour l'intérim, et 39 millions d'euros pour la France. C'est un levier pour faire jouer la concurrence et obtenir des gains de négociations, dans le respect des obligations demandées".
Réduire les coûts de gestion des contrats
Aider à réduire les coûts de gestion des contrats : là est l'ambition d'Efficien'TT, offre déployée par Alphyr en 2013, qui promet jusqu'à 10% de réduction. "Nous avons constaté qu'il est dommage qu'un intérimaire régulier, déjà connu par l'entreprise cliente, soit recruté par une agence, dans une logique purement lucrative, alors que l'étape de sourcing n'est pas nécessaire, souligne Alexandre Pham, coprésident d'Alphyr. Un audit d'un an sur des sites pilotes de Carrefour nous a, par exemple, révélé que 80% des intérimaires étaient déjà connus par eux."
Utile lors du recours à des intérimaires identifiés, la solution a déjà séduit une quinzaine de clients. À l'instar d'Ivalis, société qui se situe sur le marché de l'externalisation de l'inventaire pour la grande distribution, et qui a franchi le pas, il y a trois ans, pour ses intérimaires compteurs professionnels ou étudiants, déjà sélectionnés par ses soins. "L'avantage premier est bien sûr économique, reconnaît Christophe Dupont, directeur général d'Ivalis : lorsque l'on parle de volumétrie et de régularité importantes, cela nous permet d'optimiser les coûts. Nous déléguons la gestion du contrat et de la paie à Alphyr : la solution donne une productivité inégalable". Et d'ajouter : "Le gain est confidentiel, vis-à-vis de notre prestataire, mais je peux assurer qu'il est loin d'être marginal".
Et pour cause : "Nous avons appliqué la logique du lean manufacturing à ces contrats de gestion sans sourcing, explique Alexandre Pham, en décomposant l'ensemble du processus administratif en étapes, comme le choix du candidat ou l'émission d'un contrat, ainsi qu'en sous-étapes telles que récolter des informations, les saisir, éditer le contrat, le mettre sous pli, ou encore émettre la déclaration d'embauche. Nous sommes à même d'affecter le prix le plus juste possible à chaque contrat validé." Résultat, pour le client : en fonction du niveau de rémunération du collaborateur et de la durée des missions, notamment, Efficien'TT propose des coefficients allant de 1,66 à 1,78.
"Une bonne négociation ne sert à rien, si les tarifs ne sont pas correctement appliqués sur les factures", prévient Nicolas Rigot, dont l'entreprise s'est munie d'un logiciel de dématérialisation de l'acte d'achats de travail temporaire.
Le travail temporaire tarifie ses prestations généralement sous la forme de coefficients, de recrutement et de gestion, appliqués au salaire brut du collaborateur, ce qui établit le coût d'un intérimaire à environ deux fois son salaire de base.
Éviter les erreurs de facturation
Les erreurs sont fréquentes, comme l'explique François Chauvin, directeur général de DirectSkills : "Souvent, les factures sont peu contrôlables et sans homogénéité, car exprimées dans le référentiel de chaque agence de travail temporaire et non dans celui du client et sans traçabilité complète, de la commande à la facture. Les entreprises manquent aussi de temps pour expliquer leurs règles de paie aux agences, ce qui génère des erreurs d'interprétation et de saisie."
La société propose ainsi de traiter les erreurs à la source, grâce à un logiciel qui codifie les variables de chaque client. Fini la mauvaise affectation de la qualification de l'intérimaire, le coefficient d'intérim erroné, ou le faux pas dans l'application des règles de paie - une heure de pause non rémunérée selon l'accord d'entreprise, et malgré tout facturée par l'agence, par exemple. "Un audit sur l'application des accords-cadres détecte, en général, une moyenne d'écart de facturation entre 0,4 et 2 %, sur le contrôle de l'application du coefficient uniquement, précise François Chauvin. Au global, notre solution fait gagner de 2 à 6 % sur la facture."
Optimiser l'achat de prestations intellectuelles
Autre outil à disposition des acheteurs, Pixid, plateforme d'optimisation d'intérim et d'achat de prestations intellectuelles. Le service "met en relation de manière dématérialisée les agences d'intérim et les entreprises", explique Étienne Colella, son président. Le principe : une application en SaaS, accessible uniquement par Internet, permettant aux clients, outre la fiabilisation des factures, la signature électronique des contrats de service, la réception des confirmations de commande, ou encore le reporting. "Quand le client se connecte, un paramétrage des contrats-cadres avec le taux à appliquer s'effectue automatiquement. Le contrôle de la facture peut se faire à tout moment, même a posteriori, grâce aux reportings qui se font directement sur la plateforme : il est ainsi possible de savoir qui a facturé quoi et de mettre à jour des KPI", précise le dirigeant.
Pour les grands comptes, la solution, qui a séduit un millier de clients, coûte entre 30 000 et 200 000 euros par an. Avec des économies de 1% à 3% de la dépense annuelle intérim. "Pour une entreprise qui achète pour 10 millions d'euros d'intérim par an, le gain annuel peut aller jusqu'à 300 000 euros", relève Étienne Colella.
Intégrer des indicateurs de performance
Enfin, il est possible, pour les services achats, de définir des indicateurs de performance dans les contrats, et d'appliquer des bonus ou des malus en fonction du degré d'atteinte des objectifs. "Nous apprécions, par exemple, le respect du calendrier convenu pour la paie ou le nombre de contrats non reçus par les intérimaires", indique Christophe Dupont. "Certains de nos clients imposent des critères de performance administrative dans leurs contrats, par exemple sur la fiabilité des factures", remarque aussi Alexandre Pham.
"Notre solution permet de mesurer certains indicateurs en standard, explique également François Chauvin : taux d'intérimaires ne se présentant pas en début de mission, taux de missions interrompues avant échéance, délais de réponse à une demande, pourcentage de candidats retenus, évaluation des missions avec critères paramétrables, délai de signature des contrats, etc."
Afin d'éviter les erreurs d'interprétation et de saisie, des outils codifient les variables de chaque client ou optimisent l'achat de prestations intellectuelles.
Management de transition rime avec optimisation
"Une collaboratrice responsable d'un pôle achats, à la MGEN, a suivi son mari à l'étranger de manière extrêmement soudaine, raconte Martine Sivrière-Lhommé, directrice achats de la première mutuelle de la fonction publique, et ex-manager de transition. Nous avions d'importants projets en cours et j'avais immédiatement besoin de quelqu'un de robuste, à l'aise aussi bien avec les "soft kills" (des qualités humaines et relationnelles, NDLR) que les "hard kills" (les compétences techniques, NDLR). Un manager de transition achats convenait parfaitement, car ce sont des profils très confirmés, à même de prendre en charge des projets et responsabilités variés. Comme attendu, il a été immédiatement opérationnel."
À l'instar de cette directrice achats, 66,4 % des employeurs recourent au management de transition pour répondre à des besoins à court terme, révèle l'étude de Michael Page Interim Management, publiée en décembre 2014. Mais ce n'est pas tout : près de 65 % souhaitent une expertise externe et 50 % expliquent qu'il s'agit d'une bonne opportunité pour identifier des profils pour des postes à durée indéterminée, ainsi que pour "faciliter les processus de changement et de restructuration rapides". Enfin, dernière raison invoquée : l'optimisation des coûts.
Élargir le panel fournisseurs pour réduire les coûts
"Au moment d'une crise, la restructuration représente 20% de nos interventions ponctuelles dans les entreprises, tout comme le remplacement, et 60% des missions concernent la mise en place de nouveaux projets ou organisations", évalue Grégoire Cabri-Wiltzer, président de la Fédération nationale du management de transition et du cabinet d'experts en management de la transition Nim. Ainsi, pour les achats, "la plupart des missions consistent en la remise à plat de l'organisation du service ou son dépoussiérage, à la suite d'un départ à la retraite, par exemple, ainsi que la remise en cause de la stratégie, précise Bernard Rouas, manager de la transition achats au sein du cabinet H30. Le manager va établir un diagnostic et définir des objectifs avec le donneur d'ordre. Concrètement, ce peut être l'élargissement d'un panel fournisseurs pour diminuer les coûts ou le raccourcissement des délais dans les processus d'approvisionnement. C'est toujours un travail d'équilibre entre la technique et le management."
Audencia et H30 ont ouvert, en janvier 2015, à Paris, la troisième session du parcours "Accompagnement au management de transition" afin d'aider les managers expérimentés à développer la posture de manager de transition. Tarif : 4 800 euros. Sélection sur dossier de candidature.
Le management de transition séduit de plus en plus les employeurs dans la mise en place de nouveaux projets ou pour le remplacement à court terme d'un collaborateur. Bonus : des profils surdimensionnés et immédiatement opérationnels.
Diminuer les coûts et organiser la cellule achats
Faire appel à un manager de transition coûte-t-il moins cher que prendre une personne en CDD ou sur une mission d'intérim ? "Le coût pour la société est équivalent, mais s'ajoute la marge du cabinet de management de transition", analyse Grégoire Cabri-Wiltzer. "Le calcul des coûts varie en fonction des cabinets : soit un coefficient est appliqué sur le salaire du manager, auquel s'ajoutent les charges et la marge du cabinet, soit le portage salarial est choisi comme mode d'organisation, précise Béatrice Andurand, directrice associée Nim Europe. Globalement, le coût total journalier d'un manager de transition achats se situe entre 1 100 et 1 500?euros, en fonction des sociétés et des volumes d'achats, des profils, des secteurs, ou des problématiques."
"Un manager de transition revient plus cher qu'une personne en CDI, souligne quant à lui Benoît Durand-Tisnes, fondateur du cabinet de management de la transition Wayden, avec une grande fourchette entre 800 et 2 000 euros hors taxes par jour, toutes fonctions confondues." Emmanuel Buée, dirigeant H3O ressources de transition, nuance, néanmoins : "Si un manager de la transition est payé autant, voire plus, que ce qu'il pourrait gagner au sein d'une entreprise, il subit aussi des périodes d'intermission pendant lesquelles il n'est pas rémunéré. Sur une année, il gagnera donc généralement 20?% de moins."
Besoin de flexibilité
Pourtant, les bénéfices du recours à cet intérim "de luxe" dépassent largement les coûts financiers. "Dans une situation de croissance molle, entre 0 et 1%, les entreprises ont peur d'embaucher : le management de transition répond à un besoin de flexibilité", explique Olivier Wajnsztok, directeur associé du cabinet AgileBuyer, spécialisé dans le management de transition achats. Avec un gain immédiat pour la société, comme en rend compte Bernard Rouas, 48 ans et un bagage de onze ans dans ce mode de prestation : "L'une de mes dernières missions a consisté à augmenter la performance de l'entreprise de 50%, en impliquant les dirigeants et?les équipes."
Disponibilité immédiate, compétences techniques pointues, adaptabilité, capacité à travailler en mode projet : les atouts des managers de la transition séduisent les entreprises qui, souvent, "achètent une compétence qu'elles ne possèdent pas en interne et voient arriver quelqu'un de surcalibré pour une mission donnée", relève, encore, Grégoire Cabri-Wiltzer. Sans oublier que "les managers de transition, en tant qu'extérieurs à l'entreprise, peuvent apporter une valeur ajoutée au-delà de toutes les luttes de pouvoir internes à la société", prône Benoît Durand-Tisnes. Le succès des missions est assuré, "lorsque le manager a réussi à passer, dans sa tête, d'une logique de statut - où il rechercherait des lauriers ou un CDI - à une logique de contribution - où la dimension affective est gommée et où il exprime son savoir-faire pour un temps donné."
Faire appel à un manager de transition coûte-t-il moins cher que prendre une personne en CDD ou sur une mission d'intérim ?
{Témoignage} "Le management de transition, une façon rapide d'acquérir de l'expérience dans des secteurs très différents"
"J'ai commencé ma carrière de façon traditionnelle dans les achats et la supply chain, avec de premières expériences dans les achats de production. Puis, au fil des opportunités, dans un groupe de cosmétiques dans lequel je suis restée une quinzaine d'années, je suis venue à travailler dans les achats indirects, afin de mettre en place les modules achats d'un ERP. J'ai quitté ce groupe en 2008, à la suite d'un plan social.
J'ai d'abord cherché un CDI, car, à 40 ans, je me trouvais trop jeune pour du management de transition, que je considérais plus adapté aux dix dernières années d'une carrière. Mais, le fait d'avoir exercé plusieurs fonctions et la relation privilégiée que j'ai pu entretenir avec les différents métiers de l'entreprise m'ont donné la légitimité nécessaire.
Je me suis fait référencer par plusieurs cabinets de management de transition. Début 2009, l'un d'entre eux m'a proposé une mission de six mois, afin de remplacer le directeur achats France du groupe pharmaceutique Roche, parti à la retraite. L'entreprise ne pouvait attendre le temps d'un processus de recrutement, car de nombreux projets avaient été lancés, à l'instar du changement d'organisation de la direction achats visant, notamment, à se rapprocher des métiers. À l'issue de ma mission, l'entreprise m'a proposé ce poste en CDI. Ainsi, j'ai occupé la fonction pendant deux ans et demi puis, à la fusion entre Roche et Genentech, j'ai quitté le groupe. J'ai alors recherché un nouvel emploi en CDI ou en tant que manager de transition.
J'ai ainsi décroché une mission de six mois dans les achats et l'approvisionnement chez Nexans (n° 2 mondial de l'industrie du câble) ; puis, une nouvelle opportunité s'est présentée, en juillet 2013, à la MGEN. La responsable achats précédente venait de démissionner pour suivre son conjoint à l'étranger. Les problématiques étaient assez similaires à celles de Roche, mais dans un secteur de services, une nouveauté, pour moi. Mon rôle consistait à mettre en oeuvre les recommandations faites par un cabinet de conseil pour optimiser l'organisation et monter en puissance sur les achats métiers, dans une logique de maîtrise des coûts, de respect du juste nécessaire et d'approche responsable. Là, encore, le poste a été à pourvoir, et comme ma mission avait été réussie, j'ai été embauchée en mars 2014.
Je suis un manager de transition un peu particulier, car je ne suis pas 100 % manager de transition, mais pas 100 % CDI non plus. Il n'y a pas de profil unique : il faut avant tout être curieux, adaptable, capable d'être immédiatement opérationnel, savoir travailler en mode projet et être suffisamment aguerri pour prendre en main des projets et des responsabilités variés. Moi, j'aime l'idée d'allier la partie stratégique - dans le cas de l'absence d'une personne clé, en situation de crise, dans des contextes de projets ou en période transitoire - et le volet opérationnel : c'est un équilibre plaisant. De plus, c'est une façon rapide d'acquérir de l'expérience dans des secteurs très différents. Cela aurait été plus long et plus compliqué en CDI. Mais le management de transition n'est pas en opposition avec le CDI, c'est une autre forme de collaboration, gagnant/gagnant : pour l'entreprise, l'opportunité d'intégrer un manager aguerri et, pour le professionnel, celle de piloter des projets variés.
Le conseil que je donnerais à un manager de transition est de ne pas se dire que l'on peut être en CDI, car cette posture sera un frein. Il faut, au contraire, être dans la mission, prendre du recul et vouloir atteindre les objectifs fixés : dans cet esprit-là, la mission sera menée à bien et pourra conduire à des opportunités, telles que d'autres missions ou des propositions de CDI."
Depuis 2009, Martine Sivrière-Lhommé, directrice achats de la MGEN, est manager de transition. Elle s'est confiée à la rédaction.
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