[Tribune] Devoir de vigilance des multinationales : victoire d'étape du projet de loi
Le texte, qui veut transformer une recommandation de diligence raisonnable en véritable obligation légale contraignante, en positionnant le devoir de vigilance comme le socle d'une évolution juridique inévitable, va être renvoyé en 2e lecture au Sénat... où il sera très certainement rejeté à nouveau
Je m'abonneCe mercredi 23 mars, les députés ont adopté en 2e lecture la proposition de loi sur le devoir de vigilance des entreprises donneuses d'ordre à une large majorité malgré la faible participation (32 voix contre 1). Le texte qui avait été rejeté en bloc par le Sénat en novembre dernier franchit donc une nouvelle étape... mais le plus dur reste à venir ! Les organisations patronales comptent bien peser de tout leur poids pour que le projet reste "lettre morte"...
Pour rappel, ce texte crée une obligation légale pour les multinationales implantées sur le territoire français d'identifier, prévenir et atténuer les atteintes aux droits de l'homme et à l'environnement, ainsi que les risques de corruption dans leurs chaînes d'approvisionnement internationales.
Cette obligation est assortie de sanctions financières pouvant atteindre 10M€. Le volet pénal initialement prévu a toutefois été abandonné en cours de route (cf. Atmosphère Internationale de mars 2015).
Ce qui n'empêche pas les syndicats de travailleurs et ONG, dont Sherpa et Peuples Solidaires à l'origine de l'initiative, d'afficher leur satisfaction au lendemain de son adoption à l'Assemblée Nationale.
Mais la prochaine étape du circuit législatif s'annonce déjà serrée !
Le texte va être renvoyé en 2e lecture au Sénat... où il sera très probablement rejeté à nouveau. Dans ce cas, la proposition de loi sur le devoir de vigilance devra passer en Commission Mixte Paritaire (CMP) avant son adoption définitive par l'Assemblée Nationale, que le rapporteur espère obtenir avant la fin de la session parlementaire, soit le 30 juin 2016.
Le Gouvernement a réaffirmé son soutien au projet et annoncé son souhait de voir entrer en application cette future loi sur la Responsabilité Sociale, Ethique et Environnementale Internationale (RSEEI*) des entreprises avant fin 2016, en parallèle de la transposition de la directive européenne sur le reporting extra-financier des multinationales.
Le Forum pour l'Investissement socialement responsable (FIR), qui regroupe des gestionnaires de fonds, des investisseurs, des spécialistes de l'analyse ESG, des consultants, des syndicalistes et des experts, s'est prononcé en faveur de la proposition de loi.
On peut s'étonner...
Même si certaines organisations patronales ne se cachent pas de pratiquer un lobbying appuyé auprès du corps législatif et de l'Etat pour que ce texte ne passe pas les prochaines étapes, c'est bien l'Assemblée Nationale qui devrait avoir le dernier mot à l'issue du processus parlementaire, pour autant que le gouvernement maintienne le cap !
On peut d'ailleurs s'étonner que ce projet de loi qui s'inscrit totalement dans la mouvance internationale actuelle de responsabilisation des donneurs d'ordre vis-à-vis de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs en matière de RSEEI déclenche encore autant de crispations : faut-il rappeler que les grandes entreprises, seules concernées pour l'instant, ont déjà pour la plupart intégré ces engagements dans leur stratégie corporate, ne serait-ce que pour satisfaire à leur obligation de reporting extra-financier ?
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Le flou juridique qui est reproché au texte vient principalement du fait que la proposition initiale a été en grande partie vidée de ses dispositions d'origine les plus précises, certes plus ambitieuses mais probablement prématurées dans le contexte économique et politique présent (responsabilité pénale, renversement de la charge de la preuve).
Toutes les incertitudes concernant le champ d'action, les modalités d'application et de suivi du plan de vigilance devraient être levées par les dispositions du Décret à venir (décembre 2016), qui constituera un véritable mode d'emploi pour les entreprises.
Ce texte va transformer une recommandation de diligence raisonnable en véritable obligation légale contraignante, en positionnant le devoir de vigilance comme le socle d'une évolution juridique inévitable, marquée par le passage de la "soft law" à la "hard law". La concomitance avec la législation communautaire en matière de reporting extra-financier devrait créer une dynamique forte dans ce domaine, tant à l'échelle européenne que mondiale.
* RSEEI : Responsabilité Sociale, Ethique et Environnementale à l'International
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