Recherche

Devoir de vigilance européen, un recul français... prag/dra-matique ?

La France, bien qu'à l'initiative de la directive européenne sur le devoir de vigilance, exige un report indéfini de ce texte, considéré comme trop contraignant pour la compétitivité des entreprises.

Publié par Denica Tacheva le - mis à jour à
Lecture
3 min
  • Imprimer
Devoir de vigilance européen, un recul français... prag/dra-matique ?

Adoptée en juin dernier, la directive européenne sur le devoir de vigilance vise à imposer aux multinationales des règles strictes en matière de respect des droits sociaux et environnementaux. Pourtant, à peine sept mois plus tard, le gouvernement français plaide pour un report de son entrée en vigueur, estimant que la réglementation freine les entreprises dans un contexte de concurrence internationale exacerbée.

Un texte phare fragilisé par un changement de cap

L'adoption de la directive européenne sur le devoir de vigilance en juin 2023 marque une avancée majeure sur les sujets ESG. Inspirée par la loi française de 2017, elle impose aux multinationales de prévenir les violations des droits humains et les atteintes environnementales tout au long de leur chaîne de production. Travail des enfants, esclavage moderne, déforestation, pollution des écosystèmes : le texte entend répondre à des pratiques souvent dénoncées par la société civile.

Le vent tourne en ce mois de janvier. Sous la pression du rapport Draghi publié en septembre, qui alerte sur le poids excessif des réglementations pour les entreprises, la France change radicalement de position. Lors du Conseil économique et financier des 21 et 22 janvier à Bruxelles, le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, demande plusieurs ajustements : le passage d'obligations de résultat à des obligations de moyens, une limitation drastique des entreprises concernées et l'exclusion du secteur financier des exigences supplémentaires. En clair, un affaiblissement considérable du texte.

Cette demande de révision s'inscrit dans une logique plus large : celle d'une "pause réglementaire" pour alléger les contraintes des entreprises européennes et les rendre plus compétitives face à des concurrents internationaux moins scrupuleux. Mais cette posture fait bondir les ONG, qui dénoncent une trahison des engagements pris face aux défis climatiques et sociaux.

Des enjeux de compétitivité contre la justice sociale et environnementale

Le discours du gouvernement français reflète une tension majeure entre deux visions du rôle des entreprises dans la société. D'un côté, les défenseurs du devoir de vigilance rappellent que cette directive est indispensable pour responsabiliser les multinationales face aux crises climatiques et sociales. De l'autre, les autorités françaises affirment que ce cadre législatif pénalise la compétitivité des entreprises dans un monde globalisé.

Les propositions françaises consistent à réduire le champ d'application de la directive : seules les entreprises européennes de plus de 5 000 salariés et 1,5 milliard d'euros de chiffre d'affaires mondial seraient concernées, contre 1 000 salariés et 450 millions initialement. Les multinationales hors Europe seraient également moins contraintes. Pour les ONG, ce recul est dramatique. " Cette position irresponsable risque de précipiter le détricotage d'un texte nécessaire face à la crise climatique et sociale ", déclarent des organisations comme Oxfam France ou Sherpa.

Au-delà des enjeux juridiques, cette controverse illustre un clivage profond sur la manière d'équilibrer développement économique et responsabilité sociétale. Alors que l'urgence climatique et les inégalités sociales appellent des réponses fortes, la demande française de révision de la directive risque de fragiliser l'ambition initiale d'une Europe pionnière en matière de droits sociaux et environnementaux. Une bataille législative et idéologique s'annonce donc dans les mois à venir.

Sur le même thème

Voir tous les articles Juridique

Livres Blancs

Voir tous les livres blancs

Vos prochains événements

Voir tous les événements

Voir tous les événements

S'abonner
au magazine
Se connecter
Retour haut de page